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Escapades coutelières

Voyage autour du monde à la découverte de couteaux d'ici et d'ailleurs

Hogue "X5": l'échec critique

Hogue "X5": l'échec critique
Introduction

Cher lecteur bonjour,

Après notre séjour en chine à la découverte de couteaux dont la qualité n'a d'égale que l'originalité, il est temps de retourner dans la patrie du dollar et du pétrole à la rencontre d'une création beaucoup plus mitigée.

Avant que l'on ne me fasse dire ce que je n'ai pas dit, je précise dès à présent que j'ai un grand respect pour la coutellerie américaine. Les États-Unis comptent dans leur rang les couteliers les plus renommés du monde et leurs aciéries sont à l'origine de certains des alliages les plus performants connus à ce jour. S'il ne fallait retenir que le meilleur de la production industrielle US, je n'aurais qu'à citer une marque comme Zero Tolerance pour illustrer le niveau d'excellence dont sont capables certaines lignes de production dans ce pays...

...mais, comme partout, cela ne signifie pas pour autant que tout ce qui en vient vaut son poids en or. Nous en avons déjà fait récemment la triste expérience en découvrant le SOG Vulcan, et nous sommes sur le point d'accomplir un doublé en la matière.

Si me contraindre à n'utiliser exclusivement que le Vulcan pendant une semaine avant d'écrire la première ligne de son article n'a pas été une partie de plaisir, la période préparatoire au cours de laquelle le Hogue X5 a remplacé tout autre outil dans ma poche s'est davantage apparentée à une très longue séance de torture. Et j'oserais même avouer que j'en suis arrivé à précipiter la rédaction de cet article pour y mettre un terme.

Pourtant, les choses se présentaient plutôt bien.

C'est l'histoire d'un officier de police de la ville de Los Angeles, Guy Hogue, qui trouvait que la poignée de son arme de service n'était pas confortable. Il décida alors de s'en fabriquer une sur mesure. La qualité de sa réalisation était telle que bientôt un collègue lui réclama la même, puis un autre, et encore un autre... Après quelques années à fournir ainsi ses proches en travaillant sur son temps libre, il décida en 1968 de quitter son emploi pour se lancer à plein temps dans cette activité. La qualité et le confort de ses réalisations lui permirent de rencontrer rapidement le succès et son entreprise se retrouva quelques décennies plus tard avec un catalogue proposant des poignées pour pas moins de 16 marques d'armes à feu ainsi que des holsters et des crosses de fusil produits dans quatre usines réparties sur l'état de Californie.

En 2011, l'entreprise se lance dans la fabrication de couteaux et déménage alors ses quartiers dans le Nevada, de façon à se soustraire à une législation trop contraignante sur le port des couteaux et notamment de type automatique. Parce que oui, aux États-Unis, le port d'un flingue est un droit constitutionnel, mais le fait d'avoir un couteau dans la poche peut vous mener en taule dans certains états...

Mais je digresse.

Avec plus de 43 ans d'expérience dans la fabrication de poignées ergonomiques, l'arrivée de Hogue sur le secteur de la coutellerie était plutôt de bon augure, et c'est l'éventualité de tomber sur une véritable perle de confort et de praticité qui m'a fait franchir le cap de tester l'une de ses productions en dépit d'une apparence plutôt pas en phase avec mes goûts.

Présentation générale

Dessiné par l'ex-marine/artiste-martial/coutelier Allen Elishewitz et introduit au catalogue de Hogue en 2016, le X5 incarne lors de sa sortie la quintessence de la collection.

Proposé en deux tailles de lame: 3.5 pouces (environ 8.8 cm) comme le couteau du jour, et 4 pouces (environ 10 cm); il a en outre bénéficié de plusieurs déclinaisons de forme et de couleur depuis sa sortie.

Ainsi, en plus du noir intégral "tactique" de son édition originale, on a pu voir dans le commerce des déclinaisons acier/sable, acier/olive ou encore des éditions limitées telles que la "SIG Sauer" au coloris bronze/noir en hommage au fabricant d'armes éponyme.

Par ailleurs, une version baptisée "wharncliffe" est également disponible dans les deux tailles, pour les amateurs de lames au profil chelou.

On pourrait tout aussi bien dire de ce profil qu'il s'agit d'un "compound grind modified reverse tanto", ça n'aiderait pas davantage l'acquéreur potentiel à deviner ce qui l'attend.

On pourrait tout aussi bien dire de ce profil qu'il s'agit d'un "compound grind modified reverse tanto", ça n'aiderait pas davantage l'acquéreur potentiel à deviner ce qui l'attend.

Pour les profanes, le "wharncliffe" est à l'origine un profil relativement classique et très proche du pied de mouton. Bon nombre d'amateurs -dont je fais partie- ne s'embarrassent d'ailleurs même pas à faire la différence tant la frontière entre ces deux silhouettes est ténue et perpétuellement sujette à débat.

Mais dans le cas du X5 baptisé ainsi, on se demande vraiment où les marketeux sont allés chercher la ressemblance avec ce profil. Avec ses deux émoutures consécutives, son fil interrompu par un angle, son dos concave et sa pointe brisée, il faut vraiment beaucoup d'imagination pour retrouver ses petits.

On pourrait toutefois en dire autant du modèle "Spear Point" que je suis sur le point de te présenter: les responsables du département "trouvage de noms qui claquent" n'ont vraisemblablement jamais tapé "profil de lame" sur google...

Quoi qu'il en soit, les différentes moutures du X5 avaient pour ambition, comme je l'ai déjà dit, d'illustrer l'année de sa sortie tout le savoir faire du constructeur en matière de coutellerie "since 2011" (autrement dit, depuis cinq ans). Proposé de surcroît à un tarif le classant clairement parmi les modèles haut de gamme, on ne peut que nourrir des attentes élevées, lesquelles sont hélas vouées (désolé si je pète l'effet de surprise) à être déçues.

Une lame maladroite

Avec son profil trapu et triangulaire, sa base inhabituellement haute et la crête saillante sur son dos, cette lame à l'apparence indéniablement agressive ne ressemble à rien de connu.

Sans déconner, vous lui confieriez votre petit dernier?

Sans déconner, vous lui confieriez votre petit dernier?

Caractéristiques techniques
Longueur 87.5mm
Longueur de coupe 85mm
Hauteur 34mm
Épaisseur 4mm
Épaisseur derrière le fil 0.8mm
Angle d'émouture primaire 4.57°
Type d'émouture primaire Plate
Matériau CPM 154 revêtement cerakote
Dureté* 59 HRC

(* données constructeur)

Il y a pas mal de choses à dire sur cette lame, aussi commençons par ses bons côtés: L'acier dont elle est constituée, sans être exceptionnel pour un couteau de cette gamme de prix présente néanmoins d'excellentes propriétés mécaniques et permet sans trop d'efforts de former un fil très mordant, poli miroir en sortie d'usine, et soutenu par une émouture à l'angle relativement aigu mais laissant cependant pas mal de matière derrière le fil.

Dotée d'une bonne longueur de coupe à peine entamée par un casse-goutte de bon aloi, son tranchant présente un arrondi agréable à l'usage, bien que partiellement inexploitable lors des coupes contre support à cause d'un flipper proéminent qui entre en contact avec la table avant la base du fil (comme c'est le cas pour de nombreux couteaux munis de ce mécanisme).

Enfin, la base large de son dos constitue un point d'appui confortable pour le pouce qui aurait la chance d'y trouver refuge (nous y reviendrons...), et le dessin formé par la crête située plus en avant résonne de façon agréablement symétrique avec les lignes du manche.

Il faut avouer que cet équilibre est plutôt agréable à l'œil.

Il faut avouer que cet équilibre est plutôt agréable à l'œil.

Voilà, c'est fait. Ça n'a pas été long.

Intéressons nous aux points négatifs à présent, sers-toi un verre et installe-toi confortablement, parce qu'on est parti pour passer un bon moment ensemble.

Il y a évidemment son apparence délibérément agressive combinant des lignes tendues et un revêtement mat très "tacticool", qui se pose là comme un appel du pied à un public d'excités de la gâchette sans doute déjà familier des autres productions de la marque, et dans lequel je ne me reconnais absolument pas.

Et puis ce nom "Spear Point", il sort d'où d'abord? Dans la littérature, cette dénomination est associée à des lames dont le dos et le tranchant sont globalement symétriques, ce qui n'est pas du tout le cas ici. En outre, le dos d'une lame au profil spear point est souvent affûtée sur tout ou partie de sa longueur. Or ici la contre émouture présente sur le dos de la lame n'est que purement symbolique et n'a pour seule utilité que de rendre le couteau inconfortable lorsqu'il est replié.

Mais le plus gros souci vient évidemment de sa géométrie sans concession, à cause de laquelle la lame souffre pour commencer d'un manque de maniabilité dû à sa hauteur déraisonnable: une fois engagée dans la matière, il devient très difficile de la faire pivoter pour changer la direction d'une coupe. Le X5 file droit devant lui jusqu'à atteindre la sortie du tunnel ou faire marche arrière.

Cette même hauteur place également le fil loin du pouce ou de tout autre doigt qui viendrait prendre appui sur le dos de la lame pour un geste de précision et rend l'utilisation de cette lame pour les petits travaux du quotidien relativement maladroite.

Le simple fait de couper un fruit en tirant la lame vers le pouce devient un véritable défi lorsqu'il n'y a pas la place à glisser le susdit fruit entre la lame et le pouce.

Avec presque trois centimètres et demi de hauteur, il ne reste plus beaucoup de place pour caser la poire.

Avec presque trois centimètres et demi de hauteur, il ne reste plus beaucoup de place pour caser la poire.

De plus, s'agissant un gros couteau, on peut s'attendre à une lame relativement épaisse et on n'est pas déçu. Avec 4mm bien tassés sur son dos, ce couteau peine à progresser profondément dans la matière en dépit d'une émouture à l'angle pourtant raisonnable grâce à la hauteur démesurée de cette lame.

Ce n'est donc que sur son dernier tiers, à l'approche de la pointe, que l'on peut profiter d'une finesse relative et progresser sans effort. La partie la plus utile et la plus sollicitée du tranchant est donc également celle qui se situe le plus loin des mains. Un constat qui en ajoute encore à la maladresse globale du couteau.

Et pour terminer ce tour d'horizon des handicaps dont souffre cette lame: son revêtement mat, sans doute très classe pour les amateurs de ce type de finition, offre aux flancs une texture rugueuse qui, de mon ressenti, ne facilite pas le travail de coupe.

Un manche désastreux

Si je m'étais permis de ne pas respecter la structure habituelle de mes articles, j'aurais gardé ce chapitre pour la fin, en guise d'apothéose. Car si l'arrivée d'un spécialiste des poignées ergonomiques sur le marché de la coutellerie suscite à juste titre de fortes attentes quand à la qualité de ses manches, le X5 réussit dans ce domaine l'exploit remarquable de faire pire que tout ce qui existe ailleurs!

Si vous lui trouvez, à lui aussi, un air agressif; c'est normal: il en veut à vos doigts!

Si vous lui trouvez, à lui aussi, un air agressif; c'est normal: il en veut à vos doigts!

Caractéristiques techniques
Longueur 121mm
Hauteur 35mm
Épaisseur 15mm
Châssis Aluminium
Inserts G10

Difficile de décider par où commencer, car il n'y a pas un centimètre carré sur ce morceau de métal qui ne soit pas délibérément conçu pour faire souffrir son propriétaire.

Pourtant, le soin apporté à sa conception est indéniable et la qualité de son assemblage évidente: les inserts en G10 destinés à apporter l'adhérence qui manque à l'aluminium sont parfaitement ajustés; le châssis, à la fois robuste et léger, est usiné au pouillème de millimètre et le designer a poussé les petites attentions jusqu'à équiper son pommeau d'une cale amovible destinée à combler l'espace prévu pour accueillir l'exemplaire "gaucher" du clip de poche fourni avec le couteau (car la pièce est -évidemment- asymétrique).

Une délicate attention pour permettre aux gauchers qui le souhaitent de se faire défoncer la paume comme leurs amis droitiers.

Une délicate attention pour permettre aux gauchers qui le souhaitent de se faire défoncer la paume comme leurs amis droitiers.

Face à ce déballage de précautions, on ne peut qu'arriver à la conclusion que l'inconfort absolu de ce manche est complètement intentionnel. Dès la première prise en main, on imagine sans le moindre effort l'équipe R&D de Hogue en train de se taper sur la cuisse à l'idée qu'un acheteur masochiste a cassé sa tirelire pour s'infliger cette punition.

Par où commencer? Difficile à dire car la prolifération des excroissances et autres arêtes douloureuses rend le sujet épineux... au sens propre. L'importun qui se met à serrer inopinément cette machine de torture entre ses doigts en prévision d'un travail rendu exigeant par l'épaisseur de sa lame (exemple: couper une simple rondelle de saucisson) est soudain saisi de la désagréable impression d'avoir tenté d'essorer un hérisson.

L'index.

C'est sans aucun doute le plus mal loti de la famille. Condamné à prendre appui dans une empreinte dont le fond est pratiquement affûté (oui, oui), le moindre écart de conduite lui vaut de terminer sur une paire d'excroissances taillées en pointe dans l'unique but de lui faire regretter son impertinence.

Ceci n'est (hélas) pas un photomontage...

Ceci n'est (hélas) pas un photomontage...

Majeur et annulaire.

Battant en retraite, les deux doigts qui suivent trouvent refuge sur l'étroite corniche d'une falaise abrupte. Les rebords de la gouttière de rangement de la lame sont en effet, eux aussi, à la fois étroits et anguleux, de sorte à se révéler désagréables au contact.

Flash info: le métal, ça coupe!

Flash info: le métal, ça coupe!

Auriculaire.

À la traine, le petit dernier n'a d'autre choix que de se faire une place à cheval sur un pommeau taillé en pointe ou d'aller au contact du clip de poche anguleux. Toute pression exercée sur l'une ou l'autre de ces surface se soldant inévitablement par un rappel à l'ordre douloureux.

C'est un pic! C'est un roc! Que dis-je, c'est une péninsule!

C'est un pic! C'est un roc! Que dis-je, c'est une péninsule!

Aussi, en dépit d'une longueur de manche généreuse (plus grande encore que sur un Morakniv Pro S) responsable par ailleurs de l'encombrement important de ce couteau, le manche réussit l'exploit d'imposer à son utilisateur une prise à trois doigts et demi à peine.

La paume.

Si l'extrémité du clip de poche ne pose -pour une fois- pas trop de problème, c'est au contraire sa base exagérément saillante qui pénètre avec enthousiasme dans la chair au moindre effort soutenu.

Il y en a un peu plus, le vous le laisse?

Il y en a un peu plus, le vous le laisse?

Le pouce.

Celui que l'on pourrait croire privilégié par la présence d'un large méplat sur le dos du manche, lequel est généreusement prolongé par la base de la lame, se trouve en réalité contraint, par le truchement des empreintes forçant la position des autres doigts, à adopter un appui très en recul mettant son articulation en contact direct avec l'angle marquant la naissance du susdit méplat. Douleur garantie à la moindre pression excessive.

Tu croyais pouvoir t'en sortir sans encombres hein? Petit malin!

Tu croyais pouvoir t'en sortir sans encombres hein? Petit malin!

D'une manière plus générale, la position sine qua non imposée par les reliefs psychédéliques de ce manche ne nuit pas qu'au confort du pouce car, très en recul par rapport à une lame qui souffre déjà de sa géométrie pataude, la main se trouve largement derrière le centre de gravité du couteau et perd la sensation d'être directement connectée au tranchant.

Le couteau donne l'impression de tomber vers l'avant et sa lame d'être inutilement éloignée de la main. Bref, rien qui ne donne en vie de s'en servir.

Allo, la lame? C'est moi: la main. Tu m'entends???

Allo, la lame? C'est moi: la main. Tu m'entends???

Et pour ceux qui s'obstinent envers et contre tout à tenter de préparer l'apéro avec ce machin, la distance qui sépare la lame des doigts dissipe une grande partie de l'énergie dédié à la coupe, laquelle doit être compensée en accentuant son effort, ce qui se solde par une douleur accrue au contact des contours vicieux de ce manche, tel les maillons d'une chaîne dans le grand cycle de la perversité.

En résumé, ce couteau n'encourage pas le moins du monde à un mouvement vertical de coupe mais incite davantage son propriétaire à se contenter de gestes d'estoc n'ayant pour seule finalité possible que de piquer la viande d'un hypothétique adversaire... Bref, tout ce que j'abhorre dans la façon dont on peut détourner l'outil de son usage premier.

Une articulation osée

Car oui, il fallait l'oser pour tenter l'association d'un flipper et d'un button lock. Ce mécanisme de verrouillage n'est en effet pas réputé pour offrir au flipper la détente dont il a besoin pour fonctionner de façon optimale.

Pour résoudre cette équation, Hogue a supprimé le verrouillage en position fermée du button lock traditionnel, et inséré à l'intérieur de sa charnière un mécanisme destiné à créer le susdit effet de détente.

Un mécanisme mystérieux, et a priori tellement compliqué à assembler et à entretenir, que le fabricant a jugé bon de souder ses vis de charnière à la colle pour prévenir tout démontage par l'utilisateur final. Une décision qui fait grincer des dents bon nombre d'amateurs dont je fais partie: hors de question d'expédier mon couteau aux États-Unis pour un simple nettoyage de routine!

Pour lutter contre cette détente objectivement récalcitrante et les frottements significatifs qui l'accompagnent, Hogue a installé un imposant flipper à la forme inhabituelle puisque légèrement recourbé vers l'avant et donc (évidemment) inconfortable à l'usage.

On s'amusera néanmoins à constater que la combinaison de ce flipper, de l'axe de la charnière et du bouton de verrouillage dessine en haut du manche une silhouette qui n'est pas sans évoquer une sympathique tête de piaf joufflue.

Et nous appellerons ce pokémon "Piafkachu"

Et nous appellerons ce pokémon "Piafkachu"

Une fois l'inconfort surmonté et la pression sur le flipper suffisante, la lame accepte enfin de se déplier, ce qu'elle fait plutôt laborieusement compte tenu des frottements importants générés à la fois par le contact avec le piston, une charnière dépourvue de roulements à billes pourtant standards dans cette gamme de prix, la nature intrinsèque et mystérieuse de sa détente et certainement aussi un serrage excessif de l'axe qu'il est impossible d'ajuster pour les raisons évoquées plus haut.

Tout cela réunit fait que l'ouverture complète n'est obtenue qu'à l'aide d'une pression importante sur le flipper (outch!) et/ou un petit coup sec du poignet pour inciter la lame à finir la route toute seule. Loin d'être convaincante, cette action n'en est pas moins étonnamment bruyante, au point de réveiller un amphi d'étudiants pendant leur cours du vendredi matin.

Impossible d'ignorer que le piston du button lock s'est engagé, tant celui-ci sonne creux et sec, signifiant ainsi à son propriétaire qu'il s'est installé et n'a pas l'intention de se laisser déloger.

En effet, l'absence de biseau sur le talon de la lame et le caractère parfaitement cylindrique du piston de verrouillage ont pour conséquence que le contact entre ces pièces se fait selon un plan parfaitement perpendiculaire à l'effort de fermeture. Pour se libérer, les deux pièces doivent donc glisser l'une contre l'autre sans possibilité de s'écarter ce qui, à cause des frottements engendrés par la pression, donne l'impression que le mécanisme est "collé".

Une fois décollé par une pression significative sur son bouton (re-outch!), le verrouillage libère la lame qui accepte tant bien que mal, grâce à son poids imposant et en dépit des frottements de la charnière, de retourner en direction de son logement sous l'effet de la pesanteur ou d'un léger coup de poignet. Cependant à l'approche de la ligne d'arrivée, celle-ci est stoppée net dans son élan par le mécanisme de détente. Il faut donc en finaliser la fermeture en poussant sur le dos de la lame qui s'engage alors en un nouveau claquement sonore.

La fermeture du couteau n'est donc pas plus récréative, fluide ni discrète que son ouverture.

Comme évoqué plus tôt, le button lock est très difficile à désengager volontairement. Le risque que cela puisse arriver accidentellement dans un scénario d'utilisation ordinaire semble donc tout simplement irréaliste. NÉANMOINS, le fabricant a tout de même jugé nécessaire d'adjoindre une sécurité à son système de verrouillage sous la forme d'un second bouton, à glissière celui-là, qui bloque le mouvement du premier.

OK. Mais une question reste en suspens: qu'est-ce qui bloque le blocage du mécanisme de verrouillage?

OK. Mais une question reste en suspens: qu'est-ce qui bloque le blocage du mécanisme de verrouillage?

Cet ajout vraisemblablement superflu ne se justifie donc à mon sens que par une volonté de la part de Hogue d'évoquer le cran de sureté des armes à feu dont le public historique de l'entreprise est tellement friand. De mon point de vue, cette manœuvre relève par conséquent uniquement du fan-service et cache difficilement une intention délibérée de faire basculer le couteau-outil traditionnel dans la catégorie des armes de combat rapprochées susceptibles de provoquer une explosion de testostérone chez les sujets en manque de bam-bam tacatacatac.

Une politique en profond désaccord avec mes convictions.

Un port catastrophique

À la manière dont j'ai évoqué plus tôt le désastre ergonomique que constitue ce manche, il n'y a que peu de surprises à constater que l'idée même de placer ce couteau dans une poche relève d'un désir incontrôlé d'automutilation (ou de principes absurdes consistant à tester un couteau pour de vrai avant d'écrire à son sujet, ce dont se sont manifestement abstenus bons nombre d'auteurs-internautes qui ne tarissent pas d'éloges sur ce modèle).

Depuis que je me trimbale avec ce porc-épic au fond de la poche, j'ai pris l'habitude de l'appeler "le destructeur". Et je dis bien "au fond de la poche" car son clip plutôt vigoureux associé à la texture carrément abrasive de ses inserts en G10 ont eu raison de la couture de mon Jean's en l'espace de quelques jours!

A J+3, j'ai décidé d'arrêter les frais...

A J+3, j'ai décidé d'arrêter les frais...

Fixé sur son clip, le couteau ne "tient" pas dans la poche, il y est irrémédiablement greffé telle une tumeur dont le retrait ne peut s'opérer sans dommages collatéraux.

Je n'ai donc pu "profiter" de l'agréable compagnie de ce danger ambulant qu'en le déposant tout au fond de ma poche, là où il en garde jalousement un usage tellement exclusif qu'y glisser la main donne l'impression de jouer à la roulette russe avec six balles dans le barillet: la question n'est pas de savoir si on va se faire mal, mais sur quelle aspérité vicieuse cela va se produire.

De la crête agressive qui fait office de dos de lame, au flipper protubérant, en passant par les multiples perversités aménagées sur le manche, le couteau multiplie les pièges.

Alors nous avons placé des pièges à loup ici et là, des fléchettes empoisonnées là, et de ce côté ce sont des mines qui protègent l'entrée.

Alors nous avons placé des pièges à loup ici et là, des fléchettes empoisonnées là, et de ce côté ce sont des mines qui protègent l'entrée.

En ajoutant à cela un poids conséquent dû à une lame excessivement massive et un encombrement à la limite du ridicule, on se demande rapidement pourquoi on insiste.

Et je ne parle même pas du facteur d'acceptabilité sociale qui... non. Juste non.

Un rapport qualité/prix absurde

On peut au moins concéder à Hogue le fait d'avoir respecté le concept du "haut de gamme" sur un point, c'est le prix de son engeance. Proposé à pas moins de 280€ lors de sa sortie, il s'impose comme rival des productions de série les plus qualitatives du marché.

Pourtant ses matériaux, s'ils sont loin d'être médiocres, ne rivalisent en rien avec ce que la concurrence propose dans cette gamme de prix: le X5 se place, avec sa lame en CPM 154 et son manche en aluminium, face à une concurrence à base de CPM S35VN/M390 et de titane. Il ne joue définitivement pas dans la même cour.

A ce tarif, les finitions sont -évidemment- exemplaires (il ne manquerait plus que ça!), les ajustements impeccables et le fil bénéficie même d'un polissage miroir inhabituel pour une production industrielle. Mais le problème ne vient évidemment pas du soin apporté à cette réalisation. Même avec les meilleurs attentions du monde, un concept de merde engendre toujours un couteau de merde.

L'hérésie ergonomique que constitue cette création est d'autant moins pardonnable que Hogue a construit sa réputation sur le confort de ses utilisateurs et semble subitement déféquer sur ses valeurs en nous pondant cette abomination. Alors où sont passés les 280€ que le fabricant demande pour cette pièce d'exception?

Dans la R&D? Je rigole: il ne faut pas plus de cinq secondes à un enfant pour se rendre compte de la tonne d'erreurs absurdes commises avec ce design. Je sais de quoi je parle, je l'ai fait tester à mon gosse de 8 ans.

Dans les matériaux? Désolé, ça ne prend pas: on trouve sans difficulté des couteaux faits des mêmes quantités de matières premières à moins de 150€.

Dans la complexité du mécanisme? Je serai ravi d'abonder dans le sens de cette hypothèse si seulement le fabricant avait jugé bon de me laisser démonter mon couteau!

Dans le concept original? Là encore, des marques comme Böker plus, CIVIVI ou CRKT contredisent sans peine la croyance populaire selon laquelle un bon design se paye nécessairement cher.

Dans l'image de marque de Hogue? Sans aucun doute, mais la marque n'en sort définitivement pas grandie.

Conclusion

Voilà, cher lecteur. Tu pensais qu'on avait touché le fond avec le SOG Vulcan ou encore le Maassepänpuukko de Benjamin Albrycht? Le Hogue X5 est la pelle qu'il te manquait pour creuser plus encore.

Si cette étape aura été utile? J'espère au moins qu'elle aura servi à mettre en évidence la liste pratiquement exhaustive des erreurs qu'un concepteur de couteau est susceptible de commettre, et dont il faut se méfier lors qu'une acquisition potentielle.

La prochaine fois, nous remonterons le niveau avec un couteau de gabarit similaire, mais bien mieux conçu. Et pour varier les plaisirs, nous essayerons désormais d'alterner les gemmes et les cailloux, comme nous l'avons fait au cours de nos dernières étapes.

D'ici là, passe une bonne journée.

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