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Escapades coutelières

Voyage autour du monde à la découverte de couteaux d'ici et d'ailleurs

CIVIVI "Appalachian Drifter": le gentilhomme

CIVIVI "Appalachian Drifter": le gentilhomme
Salutations distinguées

Cher voyageur bonjour.

Pour cette étape de notre périple, je t'invite à te munir d'une pipe et d'un bon verre de scotch car nous partons à la rencontre d'un vrai gentleman comme on n'aurait jamais cru en voir débarquer de chine.

Lors de notre précédente rencontre, je t'ai présenté un bref historique de l'entreprise WE Knife Co. Ltd. et de sa marque de couteaux haut de gamme WE Knife. A cette occasion, j'avais brièvement parlé de la création en 2018 par l'entreprise d'une seconde marque, CIVIVI, dédiée celle-ci aux modèles d'usage quotidien et abordables.

Le succès de ce "spin-off" (comme on le dit dans les séries américaines) fut immédiat et la marque, dont on pourrait traduire littéralement le nom par "BonheurJoieJoie" en chinois, se met dès son apparition à aligner les récompenses. Ses modèles "Backlash" et "Anthropos" sont élus "Meilleur rapport qualité-prix" par les lecteurs du magasine "KnifeNews" en 2018 et 2019 respectivement, et le modèle "Elementum" sorti en 2019 rafle le "Best Buy Award" au Blade Show 2021 (c'est à dire à la première occasion, puisque le salon de 2020 a été annulé pour cause de pandémie).

Depuis sa sortie, le phénomène Elementum a littéralement envahi les médias spécialisés et n'a toujours pas fini de faire parler de lui puisqu'en plus d'un nombre astronomique de déclinaisons de couleurs et de matériaux, il en sort chaque année de nouvelles versions telles que le "Mini Elementum", le "Button Lock Elementum" à ouverture assistée ou encore l'Elementum à lame fixe. Considéré grâce à son excellent rapport qualité-prestations-prix comme "le meilleur EDC actuel" (EDC = every day carry: à porter au quotidien) par bon nombre d'amateurs, on ne compte plus les articles et les vidéos qui lui sont dédiés.

Cependant, pour de multiples raisons dont la principale est sans doute la volonté de ne pas refaire ce qui a déjà été fait cent fois, ce n'est pas de l'Elementum dont je vais parler pour mon premier article consacré à la marque CIVIVI mais d'un autre modèle plus confidentiel et auquel je porte une affection personnelle, il s'agit du Rustic Gent II... Pardon, de l'Appalachian Drifter!

Respectueuse présentation

Le moins que l'on puisse dire avec CIVIVI, c'est que WE Knife Co. Ltd. a parfaitement senti la tendance du marché occidental à la fashionisation de la coutellerie "EDC" et l'émergence de consommateurs avides de pouvoir personnaliser à loisir leur accessoire de mode préféré. C'est la raison pour laquelle, avant même de se tourner vers des fournisseurs de pièces détachées "custom" pour acquérir plaquettes et visserie personnalisées, les clients de CIVIVI peuvent compter sur une quantité astronomiques de déclinaisons et d'options disponibles de série et renouvelées chaque année.

Proposé dès 2018, année de lancement de la marque, le "Rustic Gent" occupait alors (comme son nom le suggère assez bien) le rôle du couteau de gentleman moderne aux lignes traditionnelles. Doté de courbes qui ne sont pas sans évoquer le légendaire "Buck 110" avec sa lame en clip point et son manche en arc de cercle, il est équipé d'un verrouillage par cran à pompe et s'ouvre avec les deux mains.

Le Rustic Gent, gentilhomme rustique.

Le Rustic Gent, gentilhomme rustique.

Son manche bicolore juxtapose avec goût le micarta et la fibre de carbone, dans une variété de teintes susceptibles de satisfaire tous les publics. L'acquéreur a le choix entre une lame en D2 qui offre d'excellentes prestations à un prix très abordable, ou une version damas plus exclusive privilégiant l'esthétisme. Dépourvu de mécanisme de fixation, il se porte dans un étui en cuir doté de son propre clip de poche. C'est un couteau fonctionnel et élégant que je connais plutôt bien et apprécie au point d'en avoir offert un exemplaire à un proche dans l'espoir de le convertir à ma passion.... Et ce n'est pas le genre de pari que l'on fait avec n'importe quel modèle!

Quelle ne fut donc pas ma surprise de tomber en 2020, au cours d'une séance de lèche-vitrine virtuelle, sur un "nouveau" modèle intitulé "Appalachian Drifter"

L'Appalachian Drifter... La différence est frappante non?

L'Appalachian Drifter... La différence est frappante non?

Au premier abord, j'ai cru à une erreur de la part du site marchand. Puis dans un second temps à une mauvaise contrefaçon. CIVIVI abandonne en effet sur ce modèle la mitre en fibre de carbone pour un manche uni relativement triste, et recouvre sa lame d'un revêtement grisâtre plutôt morose tout en conservant strictement le même profil. Tout donc semblait évoquer la copie mal ficelée d'un concurrent asiatique peu scrupuleux. Il n'en était rien.

En me renseignant plus en détail sur ce "dérapeur des Appalaches", je pus enfin identifier les différences introduites par CIVIVI, en comparaison de son prédécesseur, sur ce modèle mêlant tradition et modernité. Des différences qui justifient, selon le fabricant en tout cas, de l'avoir doté d'un tout nouveau nom: Les modalités d'ouverture/fermeture ont changé, les modalités de transport ont changé et les matériaux ont changé. En définitive, il ne reste plus du Rustic Gent que la silhouette.

Malgré l'indéniable dégradation esthétique apportée par la transition à un manche uni et une lame enduite, les nouvelles modalités d'usage associées à ce modèle suffirent à susciter mon intérêt et à me décider à lui faire une place dans ma collection. Une place que je ne regrette pas de lui avoir trouvée.

Une lame de gentilhomme

Plus encore qu'en observant son profil longiligne et racé, c'est en pinçant cette lame entre ses doigts que l'on comprend tout de suite qu'elle n'est pas faite pour les travaux lourds.

Vu comme ça, un seul mot me vient à l'esprit: "Finesse".

Vu comme ça, un seul mot me vient à l'esprit: "Finesse".

Caractéristiques techniques
Longueur 75mm
Longueur de coupe 72mm
Hauteur 20mm
Épaisseur 2.5mm
Épaisseur derrière le fil 0.2mm
Angle d'émouture primaire 3.86°
Type d'émouture primaire Creuse
Matériau CPM S35VN
Dureté* 60 HRC

(* données constructeur)

Qu'elle est fine, cette lame, mon dieu qu'elle est fine! Si ce n'était pour son acier premium doté de caractéristiques mécaniques de premier plan, on aurait presque peur de s'en servir.

Si ses 2.5mm d'épaisseur la placent indéniablement aux côtés de ses consœurs traditionnelles, en contraste avec les parpaings de métal que la mode actuelle nous inflige, c'est sans compter sur le fait que la susdite épaisseur est mesurée sur la partie droite de son dos. Une fois passé l'angle du clip point, elle ne fait que s'affiner jusqu'à sa pointe pour ne laisser sur le dernier centimètre qu'une mince feuille de métal susceptible de traverser sans effort les matériaux les plus récalcitrants.

En associant à cette finesse inhabituelle une émouture concave parfaitement dosée et un acier capable de supporter une géométrie très précise, CIVIVI a posé les bases pour que n'importe quel rémouleur en herbe puisse transformer cette lame en véritable scalpel. Dès sa sortie de l'emballage, l'Appalachian Drifter mord dans le poil de l'avant-bras comme un pit-bull affamé dans une saucisse en forme de pantoufle. Et après quelques jours d'usage occasionnel, une poignée de passages sur le cuir suffit à lui rendre son appétit d'origine. Histoire de pousser le vice, j'ai même testé une séance de rasage traditionnel qui s'est avérée parfaitement efficace à défaut d'être pratique. Pour être tout à fait clair, sa géométrie laisse si peu de matière derrière le fil que l'on serait presque tenté d'imaginer la comparaison avec un coupe-chou.

Son ventre bien dosé donne à ses sept centimètres de fil une longueur adaptée aux tâches qui lui incombent, et démarre sur un casse-goutte très appréciable pour la facilité d'affûtage, qui donne à ce profil la touche moderne et fonctionnelle qui manque à ses inspirations traditionnelles.

Évidemment, la contrepartie de cette géométrie sans concession, c'est la robustesse de cette lame, ou plutôt son manque de... Idéale pour les travaux de précision nécessitant une grande acuité ou encore pour les tâches alimentaires modérément contraignantes, on n'imagine pas une seconde s'attaquer à un morceau de bois dur et bien noueux avec cette pièce en dentelle d'acier. Ce n'est même pas la peine d'imaginer se servir de sa pointe pour faire levier ou d'attaquer une coupe avec le fil en biais, les conséquences ne seraient que trop prévisibles. Cette lame se destine donc exclusivement à des usages que je qualifierai de "mondains". Le bricolage, le jardinage et le camping ne font définitivement pas partie de ses attributions. Voilà pour le programme "gentleman".

Ses qualités mécaniques mises à part, l'esthétisme de cette lame me laisse personnellement sur ma faim. Pas particulièrement attiré par le rendu visuel du clip-point qui m'évoque invariablement le caricatural Bowie (le "couteau de Rambo" pour les profanes), je ne peux pourtant nier à ce profil particulier une élégance certaine très en phase avec son usage de prédilection. Mais ces lignes objectivement plaisantes sont hélas ternies par une finition "stonewashed" à la teinte très sombre qui ne met pas son acier en valeur comme le fait le satiné d'un Rustic Gent.

(La finition "stonewashed" consiste, comme pour les pantalons Jean's, à placer la lame dans un tambour avec des pierres et à laisser la force centrifuge faire son œuvre.)

En revanche, une qualité indéniable que l'on peut accorder à l'ensemble des couteaux sortant des usines de WE Knife Co. Ltd., c'est la sobriété de leurs marquages. C'est bien simple: la seule marque présente sur cette lame fait mention à l'acier dont elle est constituée, et celle-ci est tellement discrète que même en la cherchant on n'est pas sûr de la trouver.

Tel un caméléon, ce texte n'apparaît qu'avec l'éclairage et l'angle d'observation adéquat.

Tel un caméléon, ce texte n'apparaît qu'avec l'éclairage et l'angle d'observation adéquat.

Un manche de gentilhomme

Pour accompagner une lame aussi originale, il fallait un manche sortant tout autant de l'ordinaire. Mais s'il emprunte avec succès les lignes de son prédécesseur, une contrainte de réalisation mal assumée le place hélas en retrait par rapport à ce dernier.

Nan, c'est sûr, c'est loin d'être dégueu...

Nan, c'est sûr, c'est loin d'être dégueu...

Caractéristiques techniques
Longueur 93mm
Hauteur 19mm
Épaisseur 13mm
Platines Acier inoxydable
Plaquettes Micarta

Doté d'une ergonomie très satisfaisante au regard de l'usage réservé à ce couteau, le manche de l'Appalachian Drifter offre une prise confortable et neutre à quatre doigts, entre les phalanges, grâce à ses plaquettes bombées et sa bonne épaisseur. Sa seule source d'inconfort potentiel se trouve du côté de son clip de poche, qui constitue au passage un ajout remarquable par rapport au Rustic Gent et sur lequel nous aurons l'occasion de revenir.

Esthétiquement, l'abandon du cran à pompe (un choix sur lequel nous aurons l'occasion de disserter lorsque nous parlerons de l'articulation) permet à CIVIVI d'évider complètement le dos du manche et d'offrir un aspect plus moderne encore au couteau.

Moins traditionnel, ce parti pris n'en est pas pour autant désagréable.

Moins traditionnel, ce parti pris n'en est pas pour autant désagréable.

En outre, les platines bénéficient du même traitement de surface que la lame, ce qui a le mérite de créer un ton sur ton agréable.

La vis de charnière marqués du "C" de "CIVIVI" lui apporte également une petite touche à la fois sobre et distinguée.

Ni trop, ni pas assez, juste ce qu'il faut.

Ni trop, ni pas assez, juste ce qu'il faut.

Et la manière dont un passe-lanière est aménagé dans son pommeau par la combinaison d'une découpe dans les plaquettes et d'une entretoise (en micarta) percée lui procure un atout pratique supplémentaire sans pour autant compromettre son aspect extérieur.

Par rapport à l'orifice pratiqué de part en part dans 90% des manches, cette approche ne manque pas de classe.

Par rapport à l'orifice pratiqué de part en part dans 90% des manches, cette approche ne manque pas de classe.

En définitive, ce manche aurait été exempt de tout reproche s'il n'avait pas eu à souffrir de la comparaison avec son prédécesseur.

La juxtaposition de mitres en carbone criantes de modernité et de plaquettes en micarta à l'aspect plus régressif créait sur le Rustic Gent un contraste visuel marquant entre deux époques et lui donnait un aspect réellement original et plaisant que l'on ne retrouve pas sur les plaquettes pleines et monotones de son successeur.

Hélas, la conception même de l'Appalachian et de son mécanisme d'ouverture/fermeture atypique interdit l'adjonction de vis à l'endroit où celles-ci auraient été nécessaires pour fixer des demi-plaquettes à la sauce Rustic. Les designers de chez CIVIVI n'ont donc pas eu d'autre choix que de partir sur des plaquettes entières fixées au pommeau et à la charnière. Une contrainte qui, soit dit en passant, n'aurait pas eu de conséquences esthétiques aussi malheureuses si ces mêmes concepteurs avaient eu le cran d'assumer cette uniformité jusqu'au bout au lieu de suggérer maladroitement la transition avec des mitres inexistantes à l'aide d'une double rainure à l'aspect franchement discutable.

Par contre ça, c'est vraiment limite!

Par contre ça, c'est vraiment limite!

Cet usinage, loin d'apporter une quelconque plus-value à l'harmonie des lignes de ce manche, rappelle au contraire en permanence à qui l'aurait oublié que de véritables mitres auraient pu se trouver là en d'autres circonstances.

On ne sera d'ailleurs pas surpris de constater que sur le modèle "Appalachian Drifter II" sorti en 2021, les ingénieurs ont d'ores et déjà corrigé le tir en réintégrant les fameux habillages en fibre de carbone après avoir changé une fois de plus le mécanisme d'ouverture/fermeture pour passer cette fois à la combinaison classique "flipper/liner lock".

Une articulation de gentilhomme

L'articulation justement, parlons-en puisque ça fait un moment que je tourne autour du pot.

Lorsque j'ai découvert la combinaison de mécanismes régissant l'ouverture et la fermeture de ce couteau, cela a été pour moi le principal facteur motivant son acquisition. À la fois original, ludique, et absent de ma collection, elle présente en outre l'avantage non négligeable de rendre ce modèle presque légal dans l'hexagone.

En effet, tu auras noté, cher lecteur, que j'ai jusqu'ici évité avec soin de parler de verrouillage. Et pour cause: ce couteau ne se verrouille pas, que cela soit en position ouverte ou fermée. À la manière d'un cran plat, sa lame est simplement maintenue en position par un effort suffisant pour l'empêcher de se déplacer de manière inopinée, tout en gardant à l'esprit que son propriétaire doit inévitablement utiliser cet outil de façon adéquate afin d'éviter des gestes susceptibles d'aboutir à la perte d'un doigt d'autant plus probable que sa lame est tranchante.

Dans son principe même, donc, cette articulation contraint encore plus le couteau à un usage mondain qu'il ne l'est déjà par la géométrie de sa lame et de son manche. Cela ne constitue toutefois pas un défaut majeur dès lors qu'on en fait l'acquisition en toute connaissance de cause.

Mais là où le cran plat n'aurait pas constitué une curiosité justifiant à elle seule l'achat de ce modèle, c'est la combinaison d'un flipper et d'une double-détente qui donne à l'Appalachian Drifter son originalité moderne et font à mes yeux tout son attrait. Parce que je si possédais déjà des couteaux à flipper, et si je possédais déjà un couteau à double détente, mais je n'avais encore jamais joué avec la combinaison de ces deux mécanismes.

Si tu es familier avec certains de mes articles précédents ou simplement amateur de couteaux, le terme "flipper" ne devrait pas de surprendre. Pour les autres, il s'agit d'une excroissance de métal formée à la base de la lame et qui dépasse du dos du manche lorsque celle-ci est repliée. En tirant sur cette excroissance, l'utilisateur lutte contre la force qui retient la lame en position fermée (la plupart du temps, la détente d'un liner lock ou d'un frame lock, mais pas toujours) et, passé une certaine tension, libère cette dernière qui se projette alors vers sa position ouverte.

La particularité du flipper de l'Appalachian Drifter est d'être très petit, peu saillant, et placé de manière à affleurer devant le manche et non sur son dos:

Pour un peu, on ne s'en rendrait même pas compte.

Pour un peu, on ne s'en rendrait même pas compte.

Beaucoup plus discret mais pas plus difficile à manœuvrer qu'un flipper traditionnel comme j'ai pu en présenter avec le ZT 0652 ti ou plus récemment le WE Knife 605M, il présente la différence significative de se fondre complètement dans le manche au lieu de former une garde proéminente une fois le couteau ouvert.

Et hop, disparu!

Et hop, disparu!

Sans égaler dans son agrément d'utilisation les deux exemples cités plus tôt, il est néanmoins tout à fait plaisant à manipuler, notamment grâce à une charnière montée sur roulements à billes et à une détente parfaitement dosée.

La détente, justement, est assurée par la "double détente" qui joue ici le rôle rétentif du cran plat. "Mais quésako qu'une double détente?" te demandes-tu peut-être avec la curiosité qui te caractérise. Rien de plus simple: derrière ce terme barbare se cache simplement le principe de la détente d'un liner lock, mais appliqué également à la position ouverte.

Pour les plus étourdis (et ceux qui ont la flemme de cliquer sur le lien ci-dessus): lorsqu'un couteau à mécanisme liner lock est fermé, une bille située à l'extrémité du ressort découpé dans sa platine vient s'insérer dans un orifice aménagé sur le flanc du talon de la lame, empêchant celle-ci de se mouvoir librement tout en acceptant de la libérer lorsqu'un effort suffisant est exercée

Dans le cas de la double détente, un second orifice est pratiqué à la base de la lame, et dans lequel la bille du ressort s'insère également lorsque le couteau est complètement ouvert. La lame est donc "maintenue" et non "verrouillée" car aucune découpe dans le talon de la lame ne permet au ressort de venir s'engager dans l'espace inter-platines. Et pour faire bonne figure, comme ce mécanisme ne nécessite aucune manipulation à caractère asymétrique pour être libéré (contrairement au liner lock dont il faut repousser le ressort vers la platine d'où il provient), on peut l'installer des deux côtés du manche pour renforcer son action et neutraliser les effets négatifs d'une pression latérale (décentrage de la lame, usure de la charnière...), ce que CIVIVI ne n'est pas privé de faire

C'est pas forcément évident à deviner comme ça, mais il y a bel et bien un ressort dans chaque platine.

C'est pas forcément évident à deviner comme ça, mais il y a bel et bien un ressort dans chaque platine.

Il résulte de cette combinaison une utilisation réellement ludique, en ouverture comme en fermeture, puisque la lame se déplie en un claquement sec et aigu malgré les frottements conséquents des ressorts latéraux, et se replie d'une simple pression de l'index sur son dos, sans qu'il soit nécessaire de placer un quelconque bout de viande sur sa trajectoire.

Les butées d'ouverture et de fermeture sont assurée par un axe logé à l'intérieur même de la charnière afin de permettre au flipper, placé de façon atypique, de basculer de l'une à l'autre de ses positions sans rencontrer d'obstacle sur sa route. Cette particularité a également pour conséquence d'évider complètement le dos du couteau de la charnière jusqu'à l'entretoise de pommeau, ce qui n'est pas sans lui octroyer une certaine élégance.

Une modalité de port de gentilhomme

Commençons par évoquer le passe-lanière auquel je faisais référence dans le chapitre dédié au manche: extrêmement utile sur un Rustic Gent qu'il fallait sortir d'un étui pas toujours coopératif, il se révèle dans le cas de l'Appalachian Drifter tout aussi dispensable que sur n'importe quel autre couteau à clip de poche: élément de personnalisation incontournable pour certains adeptes de nœuds et de perles, accessoire ergonomique apprécié pour d'autres munis de pattes d'ours en guise de mains, je n'ai personnellement eu l'utilité d'un tel aménagement que sur un seul de mes couteaux destiné à un usage marin et dépourvu de tout autre modalité de port.

Le clip de poche, puisque ce couteau en est équipé, est exclusivement réservé à un usage droitier et pointe en haut. Un détail d'autant plus regrettable que le couteau étant parfaitement ambidextre par ailleurs, on n'aurait pas craché sur une paire de trous filetés supplémentaire pour pouvoir l'adapter aux gauchers.

Profond à souhait et aussi sobre qu'élégant, il bénéficie par ailleurs du même traitement de surface que la lame et les platines, ce qui le met en harmonie avec ces dernières. Son extrémité un poil saillante ne génère pas d'inconfort particulier dans les conditions d'utilisation dédiées à ce couteau.

Fancy sans être kitsch, sobre sans être triste, ce clip est une vraie réussite.

Fancy sans être kitsch, sobre sans être triste, ce clip est une vraie réussite.

Le couteau lui-même est peu encombrant et très léger. Ses formes douces n'agressent pas les mains qui se glissent au fond de la poche dont il garde l'entrée. Il constitue grâce à ces atouts un compagnon agréable et discret.

Enfin, si sa pointe extrêmement acérée (et avec laquelle il m'arrive de me piquer plus souvent qu'à mon tour) peut susciter une inquiétude justifiée chez l'observateur, le fait que le couteau ne se verrouille pas, associé à son apparence indéniablement distinguée, aura plutôt tendance à en faire un sujet acceptable en société.

Un rapport qualité/prix de gentilhomme

Après avoir secoué le marché avec des productions d'une qualité inattendue dans la tranche des 50€-60€, CIVIVI s'est permis une montée progressive de ses tarifs sur une partie de ses modèles.

L'Appalachian Drifter fait partie de ces élus "haut du milieu de gamme" dont le prix avoisine les 100€. A ce stade néanmoins, on observe une montée en qualité des matériaux avec le remplacement de la valeur sûre D2 contre un CPM S35VN premium.

La qualité des finitions est de haut vol, on ne peut observer sur mon exemplaire qu'un léger décentrage de la lame mais, en dehors de ce point, aucun détail ne laisse transparaître une production à moins de 100€ et encore moins d'origine asiatique.

C'est pas la fin du monde mais c'est le genre de détail auquel il faut s'attendre quand on quitte le domaine du haut de gamme.

C'est pas la fin du monde mais c'est le genre de détail auquel il faut s'attendre quand on quitte le domaine du haut de gamme.

En définitive, pour un amateur de couteaux modernes à l'inspiration traditionnelle recherchant un outil léger et élégant pour les petites tâches du quotidien, c'est un investissement que l'on peut faire les yeux fermés.

Bilan classe

Voilà donc un petit couteau bien plaisant et pas ruineux qui fera la joie des amateurs comme des fashionistas. Un bel exemple de ce qu'une marque comme CIVIVI peut apporter au marché de la coutellerie et à sa clientèle actuelle.

Mais les marques émergentes sur le créneau occupé par ce jeune constructeur chinois sont nombreuses et la concurrence est rude. En sortant des modèles de plus en plus luxueux et au tarif à la hausse, CIVIVI floute progressivement la frontière qui la sépare du catalogue WE Knife et prête le flanc à une concurrence qui n'attend que cela pour CIVIVI-iser la marque comme elle l'a elle même fait avec les acteurs historiques occidentaux.

Des CJRB aux Bestech et QSP en passant par le plus installé Ruike, les propositions asiatiques qualitatives et bon marché ne manquent pas depuis la fin des années 2010 et seul l'avenir nous dira qui sortira vainqueur de ce combat de titans.

Pour notre prochaine étape, nous traverserons l'océan pacifique et partirons à la rencontre d'un modèle américain qui incarne à mon sens l'antithèse de l'Appalachian Drifter: un couteau onéreux et mal conçu illustrant à merveille ce qu'une marque qui souhaite se lancer sur le créneau du haut de gamme est capable de faire de pire. 

D'ici là, passe une bonne journée de gentilhomme.

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C
Bonjour,<br /> Je partage globalement ton avis sur ce couteau avec cependant une critique concernant le système de "double détente " qui pour moi n'est pas très sécurisant car la rétention de la lame n'est pas suffisante .
Répondre
U
J'imagine que chaque exemplaire est susceptible d'avoir un réglage sensiblement différent qui influe sur la force de rétention. En outre, chacun a ses propres attentes en fonction de la manière dont il utilise son couteau et ta critique est tout à fait légitime.<br /> <br /> A titre personnel, le seul geste "à risque" que je m'autorise avec un couteau non verrouillé (c'est à dire autre qu'une coupe perpendiculaire à l'axe de la lame), c'est le tartinage: si la lame ne se replie pas sous l'effort lorsque j'étale du beurre bien dur, c'est que la retenue est "suffisante pour les usages que je lui réserve".<br /> <br /> En revanche, je n'irai jamais utiliser ce couteau pour autre chose, car la retenue serait alors clairement insuffisante.