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Escapades coutelières

Voyage autour du monde à la découverte de couteaux d'ici et d'ailleurs

M390 / CPM 20CV / CTS-204P / Duratech 20CV

Le M390 procure un tranchant durable à ce Radius Ti, lauréat du prix de l'innovation 2019.

Le M390 procure un tranchant durable à ce Radius Ti, lauréat du prix de l'innovation 2019.

Catégorie

Les premiums

Première apparition

1989

Composition
Carbone 1.9%
Chrome 20%
Molybdène 1%
Tungstène 0.6%
Vanadium 4%
Manganèse 0.3%
Silicium 0.7%
Micrographe
Le M390 sous le microscope du dr Larrin Thomas

Le M390 sous le microscope du dr Larrin Thomas

Le micrographe ci-dessus provient du blog de Larrin Thomas: Knife Steel Nerds

Propriétés
Dureté usuelle 61 HRC
Résilience(1) 2/5
Mordant du fil(2) 4/5
Tenue du tranchant(1) 4.5/5
Facilité d'affûtage(2) 1/5
Résistance à la corrosion(1) 4.5/5

(1) D'après les mesures expérimentales de Knife Steel Nerds

(2) D'après mon expérience empirique, étant donné les géométries de lame à ma disposition

Présentation

Il est amusant de remarquer que la création de l'acier le plus plébiscité par l'industrie coutelière en 2020 remonte à la toute fin des années 80.

Produit rendu possible par une métallurgie des poudres alors en plein essor, cet acier à haute teneur en vanadium créé par la firme autrichienne Böhler sous le nom M390 possède également des taux inhabituels de carbone, et de chrome qui, combinés à ses autres adjuvants, lui procurent une résistance à l'abrasion tout simplement phénoménale couplée une résistance à la corrosion de premier plan et une dureté élevée. Conçu pour l'industrie du moulage par injection, où les pièces ne sont rentables que si elles supportent plus de 10.000 cycles d'utilisation sans se déformer, cette spécialité reste aujourd'hui encore son champ d'application principal.

Alors comment se fait-il qu'il ait fait son apparition dans le monde de la coutellerie? Et surtout, pourquoi si tardivement? Ce n'est en effet qu'en 2010 que le M390 et ses clones américains ont commencé à être utilisé à grande échelle par les couteliers, c'est à dire longtemps après les SPG2, Elmax, S90V et S30V pourtant créés plus tardivement.

Évidemment, l'usage de cet alliage en coutellerie était inéluctable: sa dureté élevée et ses carbures de taille raisonnable permettent de former un fil d'une grande précision qui, combiné à son incroyable résistance à l'usure, semble ne jamais vouloir rendre l'âme. En ajoutant à cela une résistance à la corrosion hors normes, il en résulte des lames dont la durée de vie augmente proportionnellement avec l'espacement de leurs entretiens. Ce n'était donc qu'une question de temps avant qu'un coutelier n'en explore les capacités, ce qui se produisit en Europe dès la toute fin des années 90. Mais le prix particulièrement dissuasif de cet alliage, sa piètre usinabilité, et le fait que le M390 ait toujours généré suffisamment de profits sur son marché de prédilection pour que Böhler n'éprouve pas le besoin de diversifier sa clientèle, ont largement contribué à rendre cet usage confidentiel.

En 2005, alors que l'acier autrichien commence doucement à faire parler de lui dans le petit monde de la coutellerie et que Böhler continue d'ignorer ostensiblement ce marché, une entreprise américaine du nom de Latrobe (alors membre du groupe Timken) identifie l'opportunité et commence à tester et promouvoir son "Duratech 20CV". Une copie conforme de la recette du M390 produite, elle aussi, par le procédé de la métallurgie des poudres.

Curieusement, l'émergence de ce clone contribuera dans les années qui suivront à faire connaître le M390 et à en assurer le succès. Les deux alliages vont dès lors cohabiter sur le marché, ne se différenciant que par leur nom et leur pays d'origine.

Un an plus tard, en 2006, Latrobe se sépare du groupe Timken et s'en trouve dépourvu de capacités de production propres. L'entreprise doit alors sous-traiter sa production, et la suite des événements laisse à penser que c'est Crucible qui récupère le contrat (et la recette), comme nous allons le voir.

En 2009, un troisième acteur du nom de Carpenter lance son propre clone baptisé "CTS-204P". Ce sont donc désormais trois concurrents qui se disputent le marché, mais toujours pas de "CPM 20CV" en vue.

En 2011, Carpenter rachète Latrobe, ce qui met fin aux contrats de sous-traitance de ce dernier. La production du Duratech 20CV est en effet désormais assurée par Carpenter (ce qui se résuma probablement à un simple changement d'étiquette sur une partie de ses stocks de CTS-204P). C'est alors que Crucible Industries lance dans la foulée son CPM 20CV sorti de nulle part: sa recette est identique à celle du Duratech 20CV et son processus de production semble déjà bien rodé... De là à conjecturer que Crucible le produisait déjà depuis quelques années pour quelqu'un d'autre et s'était soudain trouvé en situation de devoir/pouvoir le vendre à son compte, il n'y a qu'un pas.

A compter de 2011, ce sont donc pas moins de quatre clones qui se disputent la part du lion: le M390 "original" produit par Böhler, le CTS-204P produit par Carpenter, le Duratech 20CV produit également par Carpenter mais vendu par Latrobe et le CPM 20CV produit par Crucible (et vraisemblablement vendu par Latrobe sous le nom Duratech 20CV avant le rachat de ce dernier par Carpenter). Bref, un joyeux foutoir qui a dû donner du grain à moudre aux avocats spécialisés dans le droit de la propriété intellectuelle.

Or, en ce début des années 2010, un profond changement de mentalités est en marche: à l'issue de décennies de matraquage publicitaire, les amateurs de couteaux ont enfin fini par accepter l'idée de payer au prix de l'or des matériaux aux qualités inutilement excessives (titane, "super aciers" et consors). Car si l'acquéreur d'une lame faite en M390 écope d'une double amende (prix élevé de la matière première et coût de transformation rédhibitoire), est-il seulement capable d'en apprécier la supériorité? Tout à fait honnêtement, pour l'immense majorité des amateurs de couteau de poche, une lame en M390 de 4mm d'épaisseur coupe le saucisson de l'apéro avec beaucoup plus de difficultés qu'un Opinel bien affûté.

Quoi qu'il en soit, dans ce nouveau contexte propice à l'émergence de matériaux superfétatoires, le M390 se fit la place qu'il méritait: ses faiblesses (fragilité notoire, difficulté d'affûtage, prix élevé) le prédestinent logiquement aux lames de petite taille, mais le simple fait qu'il suffise aujourd'hui de marquer "M390", "CPM 20CV" ou l'un de ses autres synonymes sur un couteau pour être certain de lui trouver un acquéreur mène inévitablement à l'apparition de monstruosités à la limite de l'incohérence.

Cela n'enlève rien aux qualités de cet alliage, mais incite à un minimum de discernement lors du choix de son couteau. Car s'il est indéniablement l'un des meilleurs aciers du moment, il n'est pas pour autant adapté à tous les usages, particulièrement pour ce qui concerne les lames destinées à subir de mauvais traitements.

Pour le reste, et pour ceux qui peuvent se l'offrir: rien à dire, c'est de la bonne came. Mais de la bonne came qui nécessite beaucoup de patience pour ce qui est de l'affûtage.

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