Les pragmatiques
189*
Carbone | 0.95% |
---|---|
Manganèse | 0.4% |
Phosphore | 0.03% |
Sulfure | 0.05% |
Le micrographe ci-dessus provient du blog de Larrin Thomas: Knife Steel Nerds
Dureté usuelle | 55 HRC |
---|---|
Résilience(1) | 3/5 |
Mordant du fil(2) | 4/5 |
Tenue du tranchant(1) | 1/5 |
Facilité d'affûtage(2) | 5/5 |
Résistance à la corrosion(1) | 0/5 |
(1) D'après les mesures expérimentales de Knife Steel Nerds
(2) D'après mon expérience empirique, étant donné les géométries de lame à ma disposition
Le 1095 est l'un des représentants les plus notoires de la grande famille des aciers dits "carbone", qui regroupe, selon les interlocuteurs: tous les alliages simples de fer et de carbone (pour ceux qui s'intéressent un minimum à la métallurgie) ou "tout ce qui n'est pas inox" (pour les autres).
S'agissant des experts auto-proclamés qui ouvrent plus volontiers leur clapet que leur bouquin de chimie, il n'est pas rare non plus d'entendre en leur compagnie des énormités telles que "seul l'acier carbone coupe convenablement" ce qui, nous l'avons déjà évoqué à de nombreuses reprises dans les pages de ce blog, est une connerie monumentale.
Mais au delà de la simple caricature, le fait de ne pas être "supérieur par principe" aux aciers (faiblement ou fortement) alliés ne rend pas pour autant un acier carbone (au sens métallurgique du terme) dénué d'intérêt: très économique, sa composition simple lui permet de ne contenir aucun carbure exotique. Lors de sa trempe, seules des lamelles de cémentite se forment en plus ou moins grand nombre dans sa structure martensitique saturée en carbone, et en fonction de la quantité disponible de ce dernier. Cette dynamique thermochimique basique rend particulièrement aisé le contrôle de la dureté et de la résilience du produit fini. Ce n'est pas pour rien que les premiers cours de métallurgie commencent tous par une présentation des composés eutectoïdes simples.
Et si la résistance à l'abrasion de ces aciers est anecdotique en comparaison des alliages contenant une forte densité de carbures de vanadium, de niobium et/ou de tungstène, et que leur résistance à la corrosion est tout simplement inexistante; ils sont en revanche très économiques à produire, bénéficient d'une bonne résilience si leur taux de carbone reste bas (ce qui n'est pas le cas du 1095) et s'avèrent ridiculement faciles à affûter et à entretenir.
Alors que les noms "CPM [trucmuche]", "M390" ou encore "MA5" sont des marques possédées par les fonderies qui les produisent et suffisent donc à en identifier l'origine, le terme "1095" appartient à la nomenclature métallurgique, au même titre que les désignations "440[pouet]", "420[bidule]", "D2" ou encore "X[machin]Cr[chouette]MoV[chose]". En d'autres termes, un 1095 donné peut provenir de n'importe quel fourneau sur la planète du moment que sa composition respecte la norme établie. Cela signifie qu'il est possible, selon sa provenance, de constater des écarts quand à la qualité du processus ayant abouti à sa fabrication. Fort heureusement, la relative simplicité de son traitement thermique a naturellement tendance à limiter les dérives.
S'il n'est pas le plus robuste des "aciers (au) carbone" en raison de sa concentration élevée en carbone qui le rend hypereutectoïde et donc parsemé de carbures de fer, le 1095 n'en reste pas moins largement utilisé pour les lames de grande dimension et/ou d'extérieur en raison d'un coût de production particulièrement abordable et d'une bonne capacité à résister aux abus. Grâce à une dureté intentionnellement limitée par un traitement thermique adéquat, son fil se plie, se tasse, mais ne rompt généralement pas.
En outre, l'absence notable de carbures exotiques dans sa matrice cristalline lui permet de former sans effort un fil d'une très grande finesse en comparaison des aciers fortement alliés les plus grossiers, ce qui peut effectivement donner au profane la fausse impression qu'il "coupe mieux" que ces derniers, à effort d'affûtage égal.
A contrario, l'utilisateur du 1095 devra composer avec un tranchant qui s'émousse à une vitesse stupéfiante et une absence totale de résistance à la corrosion. La patine caractéristique qui se développe à sa surface au contact de solutions acides constitue toutefois pour de nombreux utilisateurs un critère recherché autant du point de vue esthétique que pratique: une fois cette patine formée, l'alliage résiste davantage à la corrosion et qu'un utilisateur éclairé aura soin d'entretenir une "patine" protectrice afin d'éviter que sa lame ne rouille purement et simplement.