14 Décembre 2021
Salutations, voyageur amateur.
Cette introduction sera relativement courte car nous avons déjà eu l'occasion de découvrir ensemble l'histoire de l'entreprise italienne Lionsteel dans un article précédent. Aussi, nous nous épargnerons une redite en nous contentant d'évoquer la constante volonté de cette marque de proposer des modèles toujours plus innovants.
Une volonté incarnée à la perfection par le couteau du jour, modèle grâce auquel l'entreprise remporta en 2018, l'année de sa sortie, le "Manufacturing Quality Award" au Blade Show d'Atlanta. Il faut dire que cette réalisation, qui implémente pas moins de 5 brevets exclusifs, affichait clairement son ambition de démonstrateur technologique de la marque.
Tout ce que Lionsteel savait faire de mieux cette année là, on le retrouve donc dans le Rok: un modèle qui nous propulse dans le futur et fait passer la plupart des réalisations concurrentes pour des représentants obsolètes d'un passé lointain. Dessiné par le designer star de la marque, Michele "Molletta" Pensato, ce modèle ne surprend pourtant pas grâce à ses lignes somme toute assez quelconques. C'est donc bel et bien dans les détails qu'il faut aller chercher le diable.
Cela fait plus d'un an que le couteau du jour a établi une résidence permanente dans ma poche, ce qui m'amène à penser que je dispose d'une certaine expérience à son contact. Il serait toutefois faux de croire que ce privilège lui vient d'une quelconque supériorité sur les autres pièces de ma collection et j'infirmerai d'ailleurs cette hypothèse en lui écrivant un article sans concession, qui pointera du doigt aussi bien ses nombreuses qualités que ses incontestables défauts.
Mais alors pourquoi donc ce modèle particulier bénéficie-t-il d'une place récurrente à mes côtés? La raison de cet état de fait est hélas tristement prosaïque: c'est le seul couteau que je possède en double exemplaire (parce que les Opinels, ça ne compte pas).
Je ne sais pas comment ça se passe pour les autres mais, à titre personnel, l'une de mes hantises lorsque je fais l'acquisition d'une pièce haut de gamme et/ou en édition limitée, c'est d'imaginer cette dernière détériorée par le temps et l'usage. C'est la raison pour laquelle j'assume complètement le fait d'acquérir certains modèles avec la ferme intention de ne PAS les utiliser, ou de les réserver à des occasions exceptionnelles au cours desquelles je prendrai mille précautions pour leur éviter toute déconvenue. Cela fera peut-être bondir l'amateur pour qui un outil est fait pour être utilisé, pour "vivre et vieillir", mais le collectionneur que je suis retire un grand satisfecit à simplement posséder et contempler certaines de ses pièces. Est-ce là ce qui fait la différence entre un amateur et un collectionneur? Vous avez deux heures.
Quoi qu'il en soit et sans rentrer dans les détails, après qu'un événement fortuit ait souillé la pureté virginale de mon premier Rok, je ne pus résister à la tentation -lorsque l'occasion se présenta- d'en acquérir un second exemplaire à un tarif avantageux, avec l'objectif de lui faire occuper la place laissé vacante dans ma vitrine par son aîné désormais condamné à subir tous les outrages d'un quotidien en ma compagnie.
En noir, c'est le vilain petit canard, celui auquel je n'épargne rien. En satiné, la pièce de collection.
Car une fois la première rayure subie, une fois son clone métallique à l'abri derrière sa paroi de verre, je n'ai plus eu le moindre scrupule à traiter ce couteau d'exception comme il le méritait, c'est à dire comme un outil certes un peu cher mais conçu pour endurer les pires tortures.
Et il en a vu du pays, ce Rok Aluminium revêtu de noir! Je précise en effet son matériau et sa tenue car il en existe de nombreuses déclinaisons selon que le manche est en titane ou en alu, que sa lame est en acier damas, en acier brut ou en acier enduit... Et les prix des modèles les plus exclusifs, sortis en série limitée à l'occasion des 50 ans de l'entreprise, ont de quoi faire frémir les bourses les plus endurcies.
Les 50 pièces numérotées de cette édition anniversaire en acier damas et damas de titane se sont tout de même vendues à 2000€ l'unité.
J'ai pour ma part jeté mon dévolu sur les versions aluminium qui présentent l'avantage d'être proposées à un tarif beaucoup moins extravagant et qui, en plus de ne pas afficher de handicap évident par rapport aux versions titane, se payent en outre le luxe d'exister dans un coloris rouge provocant très "italiano" parfaitement raccord avec la teinte du "Thrill" de ma collection.
Si l'on fait abstraction de leur finition de surface, qui donne aux différentes versions des lames du Rok des caractères bien différents, leur profil trapu et leur épaisseur de beefsteak ne trompent personne: elles sont faites pour le gros oeuvre.
Longueur | 83mm |
Longueur de coupe | 82mm |
Hauteur | 29.5mm |
Épaisseur | 4.5mm |
Épaisseur derrière le fil | 1mm |
Angle d'émouture primaire | 4.35° |
Type d'émouture primaire | Plate |
Matériau | M390 |
Dureté* | 60 HRC |
(* données constructeur)
Pour un couteau qui se veut avant-gardiste, il est surprenant de constater à quel point le profil de sa lame est conventionnel: un drop point polyvalent mais loin d'être révolutionnaire, habillé pour toute originalité d'une simple contre émouture sur les deux derniers tiers de son dos. Ses dimensions lui offrent une longueur de coupe parfaitement satisfaisante au quotidien, qu'il s'agisse de travaux de bricolage ou de tâches alimentaires et le casse-goutte qui orne la base de son fil en facilite l'affûtage par ailleurs délicat. Pour ce qui est des gouttes à proprement parler, le tenon du flipper se révèle largement plus efficace dans le rôle de la protection contre les écoulement en formant, lorsqu'il est présent -nous y reviendrons par la suite-, une garde profonde une fois le couteau ouvert.
Réalisée dans un acier de premier ordre, réputé autant pour sa dureté et ses résistances à l'usure et à la corrosion supérieures à la moyenne que pour sa fragilité notoire, cette lame se révèle délicate à affûter, nécessitant patience et savoir-faire (à défaut d'outils spécifiques tels qu'une meule à guide) pour en obtenir un tranchant réellement agressif qui, en contrepartie, bénéficiera d'une durée de vie indéniablement confortable.
La difficulté de cette opération d'affûtage en incombe non seulement à la nature de l'acier qui constitue cette lame, mais également à son épaisseur superfétatoire. Avec pas moins de quatre millimètres et demi de matière sur le dos et un millimètre entier derrière le fil, ce couteau rivalise en effet sans peine avec des modèles conçus pour la survie en milieu post-apocalyptique. Cette profusion de métal, parfaitement inhabituelle sur un couteau pliant, peut s'expliquer par différentes hypothèses, mais l'amélioration de la qualité de coupe n'en fait manifestement pas partie.
Est-ce pour compenser la fragilité du M390, s'agissant d'un couteau conçu dans son ensemble comme un véritable tank? Est-ce pour satisfaire un courant de mode favorisant ce genre de débordement viril et inutile? Est-ce une contrainte technique liée à la manière dont le manche est réalisé (ce qui semble peu probable au regard du travail réalisé sur le Thrill)? Est-ce dans le but de permettre à l'utilisateur d'utiliser ce couteau de façon inavouable en tant que pied de biche de fortune???
Toujours est-il que cette géométrie de barre-à-mine nuit de façon évidente à la capacité que possède cette lame à traverser de part en part l'objet que l'on tente de couper en deux, et cela malgré une émouture aussi haute que possible. Si lui former un fil acéré relève de l'ordre du possible avec suffisamment d'obstination, son propriétaire ne peut en revanche rien faire pour en altérer la géométrie. Ainsi, quelle que soit la qualité du tranchant dont il dispose, son pouvoir de coupe restera toujours en retrait.
Lors des préparations culinaires, par exemple, impossible d'émincer quoi que ce soit avec le Rok: fruits et légumes se fendent et éclatent au delà du premier centimètre, tandis que le fromage lui oppose une résistance farouche et que la citrouille l'immobilise aussi sûrement qu'un merlin dans une souche. Pour ce qui est de l'ouverture des lettres et colis, on n'est guère plus gâté: difficile de faire glisser pratiquement un demi centimètre de métal entre deux feuilles de papier ou de carton. Pour tailler du bois, trancher une corde ou débiter une côte de bœuf en revanche, c'est "finnegueure inne zeu nôze".
À cette géométrie désavantageuse lorsqu'il s'agit des coupes en profondeur vient de surcroît s'ajouter, pour l'exemplaire que j'utilise au quotidien, un revêtement mat certes attirant pour les amateurs du style "militaire" mais doté d'une texture légèrement rugueuse qui ne facilite pas non plus sa progression dans la matière.
Ce revêtement ayant en outre la fâcheuse tendance à s'estomper ou à disparaître avec l'usure superficielle de la lame (pour un résultat rarement heureux) je ne peux que recommander la version satinée du Rok, que cela soit pour l'exposition ou pour un usage quotidien.
Pour le manche, on attaque fort avec la construction monobloc baptisée SOLID (brevet n°1), qui a fait la réputation de LionSteel et constitue l'une des 5 brevets exclusifs implémentés sur ce modèle.
Longueur | 114mm |
Hauteur | 28.5mm |
Épaisseur | 14mm |
Châssis monobloc | Aluminium |
Pour créer ce manche monobloc, un unique parallélipipède de métal (en l'occurrence ici d'aluminium, mais le Rok existe aussi en diverses déclinaisons de titane) est taillé par une fraiseuse à commande numérique dotée de multiples axes pour former ce qui deviendra par la suite un manche à la solidité et la rigidité optimales.
En plus du caractère définitivement cool de ce procédé, le fait même que le manche ne soit pas constitué de deux moitiés que l'on peut (dés)assembler à loisir impose au concepteur un certain nombre de défis techniques que ce dernier a su relever avec élégance. Le montage de la charnière sur roulements à billes, en premier lieu, n'a pas pu être réalisé de façon traditionnelle: platine, roulement, lame, roulement, platine. Au lieu de cela, les roulements sont logés dans l'épaisseur de la lame et le tout est glissé dans la gouttière. Il en va de même pour l'axe de butée en ouverture-fermeture qui ne peut être une simple tige de métal montée dans deux trous aveugles. Encore une fois, le fabricant italien a pallié au souci avec une solution intelligente sur laquelle nous reviendrons plus en détail lorsque nous évoquerons son articulation.
Si le manche est donc intégralement métallique, le motif de surface réalisé par les machines à commandes numérique lui offre néanmoins une adhérence tout à fait acceptable sans se révéler abrasive pour autant.
Ses dimensions généreuses et son profil relativement neutre permettent une excellente prise en main et une bonne variété de positions, que cela soit au creux de la paume ou entre les phalanges, et toujours avec quatre doigts bien installés.
Des contours arrondis et intégralement chanfreinés, une découpe intelligente au niveau de l'index, une gouttière aux rebords adoucis et surtout le clip de poche totalement rétractable H-WAY (brevet n°2) contribuent enfin à éliminer toute source d'inconfort potentiel pour donner naissance à une véritable réussite ergonomique.
En complément du guillochage réalisé à la base du dos de son (épaisse) lame, le manche du Rok offre donc à son utilisateur un confort d'utilisation remarquable pour un couteau de ce calibre.
D'un point de vue esthétique, ses lignes relativement ordinaires sont embellies par des motifs résolument modernes et une quincaillerie toute droite sortie d'une dystopie steampunk.
Le travail de rainurage réalisé sur le dos de ce manche contribue également autant à la réussite esthétique du Rok qu'à son allègement. Et si ce couteau est loin de concourir pour autant dans la catégorie des poids plumes, nos poches lui savent néanmoins gré du moindre effort fait dans ce sens.
Seul défaut notable observé sur la version aluminium, et dont j'ignore s'il est également présent sur les déclinaisons titane qui ne sont peut être pas teintées de la même manière: le coloris du manche n'est pas réalisé dans la masse et l'usure superficielle du métal tend à faire disparaître ce dernier, que cela soit à la suite d'une utilisation ordinaire ou d'un affûtage maladroit.
Et en même temps, cela contribue indéniablement à lui donner un certain charme... Le charme de l'outil qui sert.
En dépit de ce point, je peux sans hésiter avancer que ce manche m'a donné pleine satisfaction au cours de la longue période écoulée en sa compagnie et ne doute pas le moins du monde qu'il continuera à en être ainsi au cours des années à venir.
Nous avons déjà évoqué la charnière montée sur roulements à billes dont l'assemblage pourrait expliquer en partie l'épaisseur relativement importante de la lame du Rok (qui doit pouvoir héberger les roulements avant que l'ensemble ne soit glissé dans la gouttière), mais avons fait l'impasse sur l'axe de butée utiliser pour délimiter les mouvements d'ouverture et de fermeture.
Pour éviter d'avoir à percer un trou dans l'épaisseur du manche, comme cela a été fait l'année suivante sur le Thrill, les ingénieurs ont imaginé pour le Rok une butée située à l'intérieur même de la charnière. C'est donc la raison pour laquelle le pivot, côté gauche/frame lock, arbore une forme trapézoïdale que LionSteel a choisi de décorer du nom de son couteau:
Ainsi, si la lame pivote autour de l'axe située approximativement entre le "R" et le "O" de "Rok", un second axe logé celui-ci à la base du "K" vient s'insérer dans une rainure circulaire pratiquée sur le talon de la lame et dont les extrémités délimitent sa course.
La susdite course de la lame prend en l'occurrence fin sur un épais frame lock taillé, lui aussi, à même la masse de métal. La base de son ressort est, chose peu commune, affinée à la fois sur sa face intérieure et extérieure:
Compte tenu de la différence de dureté entre l'acier de la lame et les métaux dont sont susceptibles d'être fait le manche (aluminium ou titane) et donc le ressort, l'extrémité de ce dernier est en outre garnie d'une cale en acier destinée à en préserver l'intégrité.
Enfin, comble du raffinement, pour éviter au ressort d'être accidentellement écarté au delà de son axe et de voir sa tension déréglée, celui-ci est protégé par une rondelle anti-débordement similaire au "overtravel stop" que l'on retrouve sur les production de Rick Hinderer telles que le ZT 0562 ou encore le Kershaw Cryo.
Mais similaire seulement car cette rondelle-ci présente sur sa face intérieure une excroissance qui, une fois placée contre le ressort en faisant pivoter la rondelle, bloque tout mouvement de retrait de ce dernier et empêche ainsi le couteau de se déverrouiller accidentellement.
Ce mécanisme, nommé très à propos "Rotobloc" par LionSteel constitue l'une des cinq innovations exclusives dont ce couteau est doté (brevet n°3).
Mais même sans ce mécanisme, le verrouillage du Rok inspire la robustesse. Peut-être même un peu trop: Si celui de mon exemplaire "satin" offre la juste retenue et accepte de libérer sa lame sans faire trop de difficultés, le ressort de mon premier Rok "black" était tellement raide à la sortie de l'emballage que je me suis demandé, lors de sa toute première utilisation, si le Rotobloc ne s'était pas engagé par erreur tant il m'était difficile de replier mon couteau même en m'y prenant à deux mains.
Ce n'est donc qu'après un démontage du Rotobloc en bonne et due forme et un réglage empirique de la tension du susdit ressort par torsion progressive que j'ai pu commencer à envisager de manipuler ce couteau à une seule main. Un an plus tard, et si mon pouce est devenu avec le temps assez musclé pour débloquer le frame lock sans trop de difficulté, je suis forcé d'admettre que cette opération n'est toujours pas une partie de plaisir. Comparativement, mon deuxième Rok est beaucoup plus souple et agréable à manipuler, ce qui me conduit à penser que cet aspect est susceptible de varier grandement d'un exemplaire à l'autre.
Il reste à présent la question de savoir comment la lame arrive au contact du fameux frame lock, autrement dit quelles sont les modalités d'ouverture du Rok.
Par défaut, celui-ci propose une expérience à base de flipper, c'est à dire un tenon de métal fixé à la base de la lame et qui affleure au dos du manche lorsque cette dernière est repliée.
Un classique, qui fait toujours son petit effet.
Dans ce mode, l'agrément d'ouverture du Rok dépend grandement de l'intensité de la détente et des frottements liés à la pression du ressort. Ici encore, mes deux exemplaires offrent des sensations très disparates. Le premier peine à s'ouvrir avec fluidité et ne se contente que d'un "clic" un peu mou en fin de course, tandis que le second offre une expérience proche de l'exemplarité.
Et comme mon premier Rok, le "Black", souffre de surcroit de l'usure de son flipper qui se décolore avec l'usage, il s'avère en définitive moins attrayant que son homologue à tout point de vue.
Heureusement, pour ceux qui ne sont pas convaincus par l'action du flipper et/ou qui trouvent incommodant la présence du tenon de métal à la base de la lame (lequel forme une excroissance potentiellement inconfortable en poche lorsque le couteau est fermé et gène l'accès à la base du fil lorsqu'il est ouvert), LionSteel a pensé à tout! Lorsque je disais précédemment que le tenon était "fixé" à la base de la lame, ce n'était pas un abus de langage ni une erreur: le tenon du flipper est bel et bien vissé à la lame, juste derrière le casse-goutte, et par conséquent parfaitement amovible.
Cette idée, baptisée ReF (Removable Flipper) par LionSteel (brevet n°4) permet en quelques tours de vis de transformer son couteau à flipper en véritable couteau de gentilhomme que l'on déplie calmement avec les deux mains en pinçant l'épais dos de sa lame entre le pouce et l'index.
Après avoir installé la vis d'habillage fournie avec le couteau, un observateur candide ne se doutera jamais que le Rok ait pu être fourni avec un flipper. Ainsi libéré de cette petite excroissance, il devient plus confortable à porter, se dote d'une apparence plus civilisée et libère l'accès à la base de son fil. Une véritable transfiguration.
En procédant à cette ablation, l'utilisateur du Rok s'impose néanmoins trois contreparties: l'impossibilité d'ouvrir le couteau à une main -évidemment-, la réduction significative de la profondeur sécurisante de sa garde et l'augmentation du risque de se replier la lame sur le bout du doigt. Lors de la fermeture d'un frame lock/liner lock (surtout si celui-ci est récalcitrant et nécessite de forcer le geste), un tenon a en effet tendance à venir appuyer sur le dessus de l'ongle du pouce avant que le fil de la lame n'ait la possibilité d'entailler la chair.
Sans cet arrêt obligatoire, une lame que l'on replie avec un peu trop d'enthousiasme peut causer quelques dégâts.
Innovant et astucieux, le "Removable Flipper" a finalement le mérite de proposer aux divers utilisateurs du Rok des modalités adaptées à leurs goûts et leurs usages.
D'un poids conséquent causé principalement par sa lame inutilement épaisse, le Rok ne se laisse pas facilement oublier dans la poche. Ses contours sont en revanche suffisamment doux pour ne pas se révéler agressifs lorsque, la bise soufflant, on glisse une main à ses côtés pour chercher quelque réconfortante chaleur derrière la couture du pantalon.
Mais ce qui fait surtout l'intérêt du Rok du point de vue de ses modalités de port, c'est évidemment son clip rétractable HWAY "Hide What Annoys You" (brevet n°2) qui présente la particularité de se fondre littéralement dans le manche lorsque le couteau n'est pas fixé sur le rebord de la poche. Nous avons déjà eu l'occasion d'étudier ce mécanisme en détail au cours de notre premier article dédié à un couteau Lionsteel, aussi je tenterai d'éviter toute répétition.
Idée simple, réalisation ingénieuse, bénéfice évident.
C'est donc en pressant sur le bouton situé côté droit du pommeau que l'on neutralise l'action du ressort intégré au mécanisme et fait surgir le clip du rangement d'où il attend sagement qu'on le sollicite. Une manipulation qui pose manifestement souci à certains internautes qui ne tarissent pas de critiques au sujet de ce mécanisme "peu pratique", "difficile à utiliser" et "à cause duquel on fait régulièrement tomber le couteau par terre".
En toute honnêteté, je n'ai jamais rencontré de telles difficultés, que cela soit avec le Thrill ou avec les Rok en ma possession. Peut-être ai-je intuitivement trouvé la "bonne façon" de m'y prendre? Peut-être mes doigts, rompus à l'exercice quotidien du clavier, ont-ils développé une dextérité surnaturelle? Quoi qu'il en soit, le rangement de mes couteaux ainsi équipés se fait sans le moindre souci en suivant ces trois étapes simples:
Sans déconner, c'est tellement évident que je le faisais sans même m'en rendre compte jusqu'à ce qu'il faille que je l'explique à un Youtubeur à gros doigts.
J'ai vu des vidéastes intellectualiser le processus de toutes les manières possibles, analyser la manière dont le clip pourrait ou ne pourrait pas saillir de façon suffisante pour accrocher le rebord de la poche, tenter de pousser le bouton dans toutes les directions possibles pour faire basculer la languette de métal d'avant en arrière... Mais ces démonstrations sont toujours faites dans le vide, devant une caméra, et l'analyse s'arrête systématiquement au stade spéculatif sur un échec présupposé de la manœuvre.
Mais tous ceux qui ont pris le risque de s'éloigner du confort de l'objectif et de tester le Rok dans la vraie vie le savent: une fois sur la couture d'un pantalon, rien de tout cela ne fait de différence: juste ça marche!
Au moment où l'extrémité du clip arrive en contact avec le rebord de la poche, si celui-ci n'est pas suffisamment écarté du manche, il est naturellement repoussé vers l'arrière par la couture du pantalon. Ce faisant il pivote et s'écarte jusqu'à se glisser comme un charme là où on l'attend.
Tu penses que j'exagère? Je vais te surprendre: après avoir malencontreusement tordu le clip de mon Rok "Black" dans ces circonstances improbables, j'ai démonté ce dernier pour le redresser. Incapable de le remettre parfaitement à plat, j'ai préféré le replier plutôt "trop" que "pas assez", ce qui fait qu'en comparaison d'un modèle neuf, son extrémité est encore moins saillante que la normale:
Et bien même dans cette configuration, je n'ai pas la moindre difficulté à le remettre en place. Ça t'en bouche un coin hein? Non, sérieusement, quoi qu'on puisse te raconter sur le clip HWAY, attends de l'essayer par toi même avant de te faire un avis: il y a des utilisateurs chez lesquels ça ne tilte pas, et d'autres pour qui ça coule de source.
Alors évidemment, le fait qu'il soit pointe en haut et exclusivement droitier ne va pas plaire à tout le monde, mais la complexité du mécanisme explique aisément le fait qu'on ne puisse pas le retourner à loisir. Il laisse également l'extrémité du pommeau dépasser de la poche de façon visible, le tissu ne pouvant s'engager plus loin que l'axe qui le rattache au manche. Mais ces détails ne sauraient en aucun cas ternir à mes yeux la coolitude absolue de ce mécanisme.
Pour en finir avec ce chapitre, nous pouvons enfin aborder le thème de l'acceptabilité sociale: avec son frame lock doublé d'une sécurité par Rotobloc, le Rok ne peut en aucun cas compter sur une quelconque forme d'ambiguïté légale pour se faire tolérer par la maréchaussée. Et dans l'éventualité où celui-ci ne se ferait pas confisquer par les forces de l'ordre, il y a fort à parier pour que sa taille imposante, son profil massif, son mode d'ouverture principal vif et bruyant et sa couleur criarde ne soit pas de nature à attirer la sympathie aux soirées de l'ambassadeur.
En d'autres termes, c'est avant tout un couteau que l'on garde pour soi, pour le plaisir de la belle mécanique et de l'outil. Un plaisir qui ne se partage qu'entre amateurs avertis.
On pourra argumenter que des couteaux à frame lock, châssis métallique et lame en acier premium peuvent être dénichés sous la barre symbolique des 200€, mais les candidats ne se bousculent pas au portillon. Et aucun d'entre eux ne peut se vanter d'afficher les mêmes mensurations ni d'avoir bénéficié de procédés de fabrication aussi sophistiqués qu'un manche monobloc.
C'est pourquoi, dans sa version aluminium/lame satinée à 240€, le Rok constitue une proposition très raisonnable au regard de la concurrence. Les 20€ supplémentaires demandés pour la version à lame enduite semblent en revanche injustifiés face aux déconvenues imposées par ce revêtement. Quand aux versions titane, et titane/damas disponibles respectivement pour 370€ et 490€, on rentre à mon sens dans le domaine du superflu.
Dans sa version la plus rationnelle (alu/satinée) donc, qui se trouve être celle que je recommanderais si mon opinion avait une quelconque valeur, le Rok offre un excellent rapport qualité/matériaux/prix. Comme tout ce qui sort des ateliers du lion de Maniago, les finitions et les assemblages ont fait l'objet d'un soin ostentatoire et l'on ne peut regretter, pour ce qui est de mon expérience propre, qu'une inconstance dans le réglage de la tension du frame lock. L'émouture secondaire était bien symétrique en sortie de boite et la lame parfaitement centrée sur les deux exemplaires malgré le frame lock trop enthousiaste de l'un d'entre eux. Bref, du beau boulot.
Cerise sur le gâteau, LionSteel livre son Rok dans un coffret équipé d'une puce NFC offrant un accès dématérialisé à la garantie du couteau ainsi qu'à toutes les informations nécessaires à son entretien. Un programme exclusif baptisé "LionSteel NFC" (brevet n°5) et uniquement disponible avec le Rok.
Si l'on fait le bilan de tout ce que nous avons vu, il n'y a donc pas de grande surprise à constater que le Rok a permis à son créateur de remporter une récompense pour la qualité de ses processus et de ses réalisations.
Ce couteau est indéniablement entaché de défauts: une lame inutilement épaisse, un frame lock trop vigoureux sur la moitié de mes exemplaires et l'existence d'une déclinaison dotée d'un revêtement noir mat au bénéfice discutable, mais il n'en reste pas moins une pièce d'exception tant pour le collectionneur que pour l'amateur averti ou encore l'utilisateur à la recherche d'un outil robuste et durable. Redoutable dans un atelier, dans le jardin, en forêt et même en mer, le Rok est de ceux dont on apprend à abuser avec respect (surtout lorsqu'on le possède en double).
Et puisqu'il est question de mer, je vous invite à me suivre pour la prochaine étape de notre voyage, à la découverte d'un couteau de marin. Et même de mon premier couteau de marin. Une pièce acquise à l'époque lointaine et bénie où, ignorant tout des tenants et aboutissants de la coutellerie, le jeune moniteur de voile que j'étais dépensait son premier salaire avec insouciance pour faire l'acquisition d'un outil qui, il l'espérait, allait le suivre durant de longues années.
Bonne journée.