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Escapades coutelières

Voyage autour du monde à la découverte de couteaux d'ici et d'ailleurs

Benchmade "550 Griptilian": la référence?

Benchmade "550 Griptilian": la référence?
Mise en bouche

Salutation, assidu lecteur.

Et si je te qualifie d'assidu, c'est parce que je me doute bien que tu t'es rendu compte de la paresse intellectuelle dont j'ai fait preuve en intitulant cet article "la référence?". Il ne t'a en effet pas échappé que j'ai déjà utilisé cette formule pour ma critique du Benchmade 940 Osborne, et que j'ai à peine été plus inventif lorsqu'il a fallu se pencher sur le cas du Benchmade 535-3 Bugout...

Cependant, paresse intellectuelle ou non, il est difficile d'argumenter que les deux modèles sus-cités ne constituent pas des références dans leurs domaines de prédilection. Et si chacun est libre d'apprécier ou non leurs qualités respectives, on ne peut nier le fait que ces couteaux servent plus souvent qu'à leur tour de point de comparaison pour la presse spécialisée dès lors qu'une nouveauté semble susceptible de les détrôner.

Or, il en va de même pour le cas du jour: sans te gâcher la surprise quant à mon verdict au sujet du Griptilian, il est un fait avéré que cette création de Benchmade fait office, depuis plus de vingt ans déjà, de mètre-étalon sur le créneau des gros pliants utilitaires.

Alors, réputation méritée ou simple coup de génie marketing qui a su traverser les décennies? C'est ce que nous allons voir.

Présentation générale

A ce stade de notre relation, il me semble superflu de te faire une présentation de la marque Benchmade. Si la mémoire te fait défaut et si le sujet t'intéresse, je t'invite à consulter l'article qui y est consacré.

Avance rapide jusqu'en 2001 donc. Ce printemps là, Benchmade surfe littéralement sur le succès du 940 Osborne, sorti l'année précédente et aussitôt devenu iconique. Fort de son succès, la marque américaine présente alors au grand public son tout dernier modèle: le "Griptilian" dessiné par Mel Pardue, un coutelier tout aussi célèbre que Warren Osborne, et réalisé dans des matériaux pour le moins audacieux.

Pour l'époque, le concept est presque aussi révolutionnaire que l'a été le Bugout deux décennies plus tard: recouvrant des platines minimalistes qui occupent moins de la moitié de la surface totale du manche, une paire de plaquettes en plastique moulé permettent à la fois une substantielle économie de poids et une liberté d'expression inédite dans les volumes. Le manche du Griptilian est sculpté dans l'espace et recouvert d'une texture anti-dérapante. Il offre un "Grip" alors inédit chez Benchmade, et qui lui vaut son nom.

Le modèle fait un carton et se trouve au fil des années décliné en une multitude de variantes.

Initialement réalisé en acier 154CM, avec une émouture creuse, deux profils de lame sont proposés dès la sortie du Griptilian: le 550 avec son pied de mouton et son orifice d'ouverture, et le 551 avec son drop-point et ses ergots de pouce.

Les deux frangins.
Les deux frangins.

Les deux frangins.

La différence entre ces variantes ne se résume pas à l'agrément d'ouverture et à l'esthétique générale du profil car le 551 dispose d'un tranchant plus tendu à sa base et d'une pointe plus relevée. Il y a donc réellement une volonté de proposer deux expériences de coupe distinctes.

Un peu plus tard, la production bascule vers du CPM S30V et de l'émouture plate, ce qui est perçu comme une régression pour les puristes au point que le 550 "originel" se reverra officieusement rebaptisé "550HG" (Hollow Grind) par contraste, et que son prix se mettra à flamber sur le marché de l'occasion.

En parallèle, ou avant... ou après... il est difficile de retracer l'historique exacte de toutes ces variations, les versions miniaturisées du 550 et 551 "Griptilian", baptisées respectivement 555 et 556 "Mini-Griptilian", voient le jour et viennent occuper le créneau du couteau d'usage quotidien.

Les deux mini-frangins
Les deux mini-frangins

Les deux mini-frangins

Le tout s'accompagnant évidemment d'une débauche d'éditions spéciales, exclusives ou saisonnières, offrant au fil des années des choix d'acier plus "premium" (tel que le CPM 20CV ou le M390) et/ou des plaquettes en G10 ou encore en fibre de carbone... Sans compter sur la prolifération de fournitures "custom" réalisées par des tiers, à qui la manne financière potentielle générée par le succès de ces modèles n'a évidemment pas échappé: clips de poche en titane, quincaillerie personnalisée, plaquettes G10 ou encore micarta... Tout y passe.

Difficile donc, en 2023 de choisir "un Griptilian" tant l'offre est variée. Pour ma part, et afin de goûter à une expérience aussi proche que possible du modèle original, j'ai jeté il y a douze mois de cela mon dévolu sur la version "classique" du 550/S30V, bien qu'abâtardie par son émouture plate.

Retour d'expérience...

Une lame efficace

...Et en même temps, vu la taille du bousin, le contraire aurait été franchement étonnant!

Mel Pardue a su lui donner une identité forte.

Mel Pardue a su lui donner une identité forte.

Caractéristiques techniques
Longueur 89mm
Longueur de coupe 85mm
Hauteur 33mm
Épaisseur 3mm
Épaisseur derrière le fil 0.7mm
Angle d'émouture primaire 4.11°
Type d'émouture primaire Plate
Matériau CPM S30V
Dureté* 60 HRC

(* données constructeur)

Parce que bon, on ne va pas se mentir, le Grip' (pour les intimes) n'est pas ce qu'on peut appeler un "petit" couteau. Avec pratiquement 9cm de lame, il est même plutôt vachement impressionnant lorsqu'on le prend en main pour la première fois.

La courbure régulière de son fil, qui pourrait justifier à elle seule un débat houleux (et que je ne souhaite pas avoir) quant à la classification de cette lame dans la catégorie de "pied de moutons", offre un bon agrément et permet de faire rouler ce fil dans l'assiette ou sur un plan de travail.

Parce que oui, on "peut" utiliser le Griptilian pour la préparation alimentaire, même si ce n'est évidemment pas son domaine de prédilection. La longueur disponible permet de venir à bout de la plupart des consommables sans pour autant compromettre la propreté de la charnière. En revanche, on se trouvera rapidement bloqué par la garde du couteau, qui empêche d'exploiter la seconde moitié du tranchant sur une planche à découper.

Inutile d'espérer aller plus loin.

Inutile d'espérer aller plus loin.

C'est donc pour le bricolage et les activités de plein air que cette lame a principalement été conçue. Si on ne peut en aucun cas la comparer avec une barre à mine, sa hauteur conséquente a pour effet de placer une importante quantité de matière au dessus de l'émouture, offrant à cette lame une résistance accrue. En d'autres termes, on ne craint pas de bourriner dessus.

Cette géométrie, manifestement pensée pour optimiser la résistance, soulève d'ailleurs la question de la transition du 154CM vers le CPM S30V. Permettant certes une meilleure longévité de tranchant, cet acier n'en est pas moins légèrement moins résilient que son prédécesseur, du fait notamment de son importante densité en carbures divers et d'été.

Je n'ai personnellement aucun grief contre le S30V: quoi qu'en disent les snobs, il reste un excellent acier de coutellerie et présente un équilibre de qualités tout à fait en adéquation avec mes usages citadins. Je n'ai toutefois pu m'empêcher de me poser cette question lorsque, à l'issue d'une manœuvre a priori anodine, je constatai que ma lame s'était délestée d'un demi millimètre de matière à son extrémité.

C'est vraiment la première fois que ça m'arrive sur un couteau en général, et sur un Benchmade en particulier.

C'est vraiment la première fois que ça m'arrive sur un couteau en général, et sur un Benchmade en particulier.

Pourtant, je n'étais pas en train de dégonder une porte: j'essayais simplement de décoller -sans forcer- une agrafe plantée dans du carton... Manque de bol? Alignement malchanceux de carbures? Amorce de rupture créée lors d'une manipulation précédente? Serait-ce arrivé avec une lame en 154CM??? Je n'aurai vraisemblablement jamais de réponse à ces questions, mais le fait est que mon Griptilian, ce modèle dont on nous vante la longévité et la robustesse, est le premier de mes couteaux à avoir jamais failli de la sorte.

Et pourtant je suis plutôt un mec du genre soigneux avec ses outils... Au point de refuser de les utiliser dans une assiette si celle-ci n'est pas en bois!

Mais passons à autre chose et parlons à présent de l'émouture: elle forme un angle tout à fait dans la norme et n'est donc pas un obstacle à la progression dans la matière, pas plus que l'épaisseur totale tout à fait ordinaire de cette lame. Ce qui pose parfois souci en revanche, notamment pour les coupes de précision, c'est l'épaisseur de son fil. Certainement dimensionné lui aussi pour maximiser la robustesse, le tranchant du Griptilian est pour le moins grassouillet.

Si cela ne se ressent pas dans la plupart des situations, il suffit de mettre le Grip' en compétition directe avec un modèle au fil plus fin (comme par exemple son cadet le Bugout) pour que la différence de comportement devienne évidente. Sur un morceau de saucisson bien sec par exemple, le premier peine à débiter des steaks et a tendance à s'échapper de la matière pour venir claquer sur la planche dès qu'on cherche à couper trop fin, tandis que le deuxième nous permet sans effort de produire de véritables pétales de viande séchée.

Côté confort en revanche, il n'y a rien à redire: conséquence de l'emplacement et du diamètre de l'orifice d'ouverture, le dos de cette lame est affublé d'une bosse qui n'est pas sans évoquer les productions du concurrent Spyderco. Il en résulte, pour le pouce de l'utilisateur, une surface d'appui relevée juste ce qu'il faut, décorée d'un bosselage accrocheur sans être agressif, et qui procure une agréable sensation de contrôle sur la plupart des gestes de coupe.

Une configuration qui fonctionne.

Une configuration qui fonctionne.

Aussi, bien que la main soit relativement éloignée de la base du fil par la configuration du manche, l'utilisateur n'a pas pour autant l'impression que son couteau lui échappe des mains.

D'un point de vue purement esthétique, Benchmade nous propose ici la célèbre finition "brute de fraisage" que nous avions découvert sur le Osborne: l'émouture est donc garnie de fines stries parfaitement parallèles et qui évoquent l'idée que le fabricant ne s'est pas particulièrement foulé sur les finitions.

Au prix du machin, on aurait au moins pu espérer un petit satiné...

Au prix du machin, on aurait au moins pu espérer un petit satiné...

En dehors de ce détail, la ligne d'émouture est bien marquée (en même temps...) et les différentes annotations pratiquées sur le flanc de la lame ne sont pas exagérément encombrantes: côté droit, le logo de Benchmade; et côté gauche, celui du designer accompagné de la nuance d'acier utilisée.

Tout à fait règlementaire.
Tout à fait règlementaire.

Tout à fait règlementaire.

Un manche reptilien

En choisissant d'appeler son modèle "Griptilian", Benchmade a créé un mot valise combinant le terme "Grip", supposé évoquer l'exceptionnelle prise en main de son manche; et "Reptilian" (reptile), un suffixe qui inspire l'image d'un prédateur robuste.

Or, si l'on ne peut contester le "grip" procuré par les généreux volumes de ce manche; le côté "reptile", lui, illustre hélas davantage le comportement de ses finitions de surface pour le moins... prédatrices.

Ya à boire et à manger!

Ya à boire et à manger!

Caractéristiques techniques
Longueur 118mm
Hauteur 33mm
Épaisseur 16mm
Platines Acier inox
Plaquettes Résine polyester "Valox™"

D'un point de vue purement géométrique, le manche du Griptilian est une réussite incontestée: assez long pour accueillir toute la main, y compris lorsque celle-ci appartient à un bucheron; sa hauteur, son épaisseur et sa forme remplissent à la perfection le creux de la paume et assurent une prise en main solide pour les tâches les plus ambitieuses.

Pas de panique, il y a de la place pour tout le monde.

Pas de panique, il y a de la place pour tout le monde.

Une garde conséquente évite tout glissement accidentel en direction de la lame. Relativement éloignée de la base du fil, cette garde impose une position plutôt "en recul" mais qui ne donne pas pour autant la sensation que le couteau s'échappe vers l'avant. En effet, le centre de gravité de l'ensemble étant situé en arrière du pivot, juste au dessus de l'index, le Griptilian offre un bon équilibre et restitue plutôt bien l'impression que la main est connectée au tranchant.

Évidemment, cette "distance" entre la main et le fil -et à fortiori la pointe- réduit la précision des gestes les plus exigeants, mais il serait absurde de vouloir comparer le comportement du Griptilian avec la maniabilité et la précision d'un scalpel; tout comme il serait absurde de juger la qualité d'un scalpel en essayant de s'en servir pour monter un bivouac.

Cet aspect purement géométrique traité, il est temps de s'intéresser à la matière qui constitue la substantifique moelle de ce manche. Et à ce sujet, la premières impression qui saute aux mains de l'utilisateur c'est...

PLASTIIIIIIIIQUE!!!

Des marques d'injection qui en disent long.

Des marques d'injection qui en disent long.

Alors oui, la résine Valox™ est légère, certainement incassable, et procure de façon évidente à ce manche toute la rigidité que l'on est en droit d'attendre d'un couteau de travail...

...Mais la sensation qu'elle renvoie à l'utilisateur est tout sauf agréable. Pour décrire avec précision ce que j'ai ressenti la toute première fois que j'ai saisi mon Grip en main: ce manche "sonnait creux". D'ailleurs, en grattant la texture dont il est recouvert du bout de l'ongle, il fait un bruit creux.

La raison de cet état de fait n'est pas bien compliquée: ce manche est effectivement rempli de vide. Car cet ancêtre du Bugout posait en effet dès 2001 les bases de l'architecture "poids plume" qui a fait le succès de son successeur.

Des demi-platines, et beaucoup de vide.

Des demi-platines, et beaucoup de vide.

Si les platines du Grip ne sont pas aussi anorexiques que celles du Bugout, elles avaient néanmoins déjà largement entamé leur cure d'amincissement, au point de n'occuper que 3/4 de la longueur totale du manche et moins de la moitié de sa surface. Tout le reste de cette poignée est donc constitué d'un habillage en Valox largement ajouré afin d'en limiter le poids au maximum.

Le résultat, c'est que Griptilian est étonnamment léger au regard de ses dimensions, et qu'il "sonne creux". Deux propriétés qui, combinées, nuisent à l'impression de robustesse et de durabilité que ce couteau est supposé véhiculer.

Mais nous ne parlons ici que de ressenti et non de factuel, car si je n'ai personnellement pas eu l'occasion de mettre en défaut la robustesse de ce manche, de nombreux internautes se sont donnés cet objectif avant moi et peu sont arrivés à leurs fins. "Built like a tank" (construit comme un tank) est au contraire le retour qu'en font la majorité des utilisateurs.

Le ressenti de l'utilisateur a toutefois un impact important sur le degré de confiance qu'il accorde à son outil ainsi que le budget qu'il est disposé à lui consacrer. Et à ce titre, le Griptilian échoue à mon avis doublement. Non seulement il sème inutilement le doute quant à sa capacité à résister à l'effort, mais il fait également se demander si son tarif en valait vraiment la peine.

Un autre domaine dans lequel il échoue, et cette fois de façon plutôt lamentable, c'est le confort. J'ai jusqu'ici parlé de l'excellente géométrie du manche et de la solidité de la prise en main qui en découlait, mais j'ai consciencieusement évité de parler du plaisir que l'on avait à maintenir cette prise plus de quelques secondes car je voulais garder le "meilleur" pour la fin.

À nous deux maintenant...

À nous deux maintenant...

Alors que le bosselage réalisé sur le dos de la lame est objectivement plutôt agréable pour le pouce de son utilisateur, l'intégralité du manche semble avoir été conçu pour susciter au mieux de la gêne, au pire de l'inconfort, chez celui qui aurait l'outrecuidance de vouloir le saisir à main nues.

Pourtant, les choses se présentaient plutôt bien: ses contours sont arrondis, les transitions entre ses différents faces progressive, il n'y a ni angle vif ni surface mal positionnée pour créer un quelconque point de pression susceptible de devenir douloureux...

...mais sous le prétexte de vouloir maximiser le "grip" de sa poignée, le designer a jugé utile de l'affubler de multiples apparats aux effets désastreux.

Parlons, pour commencer, des multiples lignes dessinées en relief le long de ses tranches. Sur et sous le pommeau, derrière la garde et à la base du dos de la lame:

Avec des gants, ça passe crème. A mains nues et s'il faut forcer un peu, c'est plus la même.

Avec des gants, ça passe crème. A mains nues et s'il faut forcer un peu, c'est plus la même.

Au repos, on les sent. En action, on les sent encore plus!

Combinées, sur la face ventrale du manche, à une gouttière de rangement de la lame dont l'angle intérieur n'a pas du tout été cassé, ces excroissances s'enfoncent volontiers dans la peau dès que la pression des doigts se fait excessive.

Plus en avant, le sort de l'index et du pouce n'est pas beaucoup plus enviable: à l'avant du manche, les platines affleurent et ajoutent aux arêtes de plastique leur propre bosselage, plus fin et aussi plus agressif que celui réalisé sur le dos de la lame.

Ici, c'est "la bourse ET la vie"!

Ici, c'est "la bourse ET la vie"!

N'oublions évidemment pas la texture hyper agressive réalisée sur les flancs du manche, dont le motif "en pyramide" accroche certes très bien aux gants de jardinage, mais n'est pas d'un contact des plus agréables pour mes petites mains fragiles d'informaticien.

Et attends un peu de voir comment ça te bouffe une poche...

Et attends un peu de voir comment ça te bouffe une poche...

Enfin, chemise sur le marteau, le clip de poche ne se contente pas d'être objectivement très laid (ce qui ne posait peut être pas problème il y a 22 ans, mais commence quand même à devenir gênant quand on voit ce que fait la concurrence); il est également notoirement inconfortable avec son extrémité saillante qui s'enfonce volontiers dans la chair à la moindre pression soutenue.

Percera? Percera pas?

Percera? Percera pas?

Tu l'auras compris, à défaut d'être en permanence équipé d'une paire de gants de chantier, je trouve personnellement que le manche du Griptilian est un véritable tue l'amour. Son ergonomie véritablement excellente est hélas gâchée par un niveau d'inconfort qui n'est surpassé que par des modèles intentionnellement sadiques (oui, je sais, je pousse le bouchon un peu loin en comparant le Griptilian au SOG Vulcan, mais on retrouve hélas sur le second tous les défauts que je reproche au premier -l'inverse n'étant évidemment pas vrai-).

Avec des gants, en revanche, rien à dire. Le Grip tient bien en main et on ne ressent pas la moindre gène. Chacun en tirera ses propres conclusions...

Et pour clore cette apologie peu glorieuse, je ne peux m'empêcher d'ouvrir et de refermer tout aussi vite une brève parenthèse sur le passe lanière aménagé (à mon avis personnel) beaucoup trop loin du pommeau pour présenter un intérêt quelconque: tout morceau de corde volontairement installé à cet endroit venant inévitablement compromettre le confort de la paume de l'utilisateur.

Une articulation aux normes ISO-2001

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'Axis Lock était un mécanisme indéniablement révolutionnaire... en 2001.

Et on ne va pas se mentir non plus, c'est aujourd'hui encore l'un de mes mécanismes préférés, si ce n'est MON mécanisme préféré: fiable, ludique, inoffensif pour les doigts et parfaitement ambidextre, il remplit tous les critères qui font à mes yeux (et à ceux de beaucoup d'amateurs) un verrouillage idéal.

Cependant, dans le cas du Griptilian, il souffre, après deux décennies de bons et loyaux services, et faute d'avoir jamais subi la moindre mise à jour, d'une certaine forme d'obsolescence face à une concurrence débridée qui rivalise d'imagination pour l'implémenter de façon toujours plus ludique depuis que son brevet est tombé dans le domaine publique.

Mais commençons par le commencement.

Grâce à son orifice d'ouverture largement accessible, le modèle 550 propose trois modalités d'ouverture distinctes: avec le pouce (d'une pichenette ou en accompagnant la lame tout au long de sa course), d'une pichenette du majeur (le fameux Spyder-flick) ou encore par gravité/inertie en actionnant le mécanisme pour libérer la lame.

Il y en a un peu plus, je vous le mets?
Il y en a un peu plus, je vous le mets?
Il y en a un peu plus, je vous le mets?

Il y en a un peu plus, je vous le mets?

Peu importe la modalité choisie, il faudra de toutes façons surmonter la viscosité d'une charnière montée sur rondelles en bronze phosphoreux et non sur roulements à billes: ces derniers étant à la fois moins robustes et plus susceptibles de s'encrasser, ce choix fait tout à fait sens dans le contexte d'un couteau d'extérieur à usage plutôt intensif.

Moyennant la possession d'un tournevis à embout torx t8, il est aisé d'ajuster le serrage de la charnière pour trouver un juste équilibre entre fluidité et absence de jeu dans la lame. On peut alors s'adonner à l'une des méthodes sus citées.

Le Spydie-flick est délicat: l'index ayant tendance à appuyer sur l'extrémité de l'axis lock et à en bloquer le mouvement, la lame se retrouve souvent freinée de façon intempestive. Ce phénomène, couplé à la détente "élastique" et non "binaire" que crée par nature l'Axis Lock, fait que c'est un exercice dans lequel je n'obtient que des succès sporadiques, et uniquement si j'accompagne mes tentatives d'un énergique mouvement du poignet.

Il en va de même pour la pichenette du pouce: la position de l'orifice et la forme proéminente de la garde empêchent d'exercer une poussée parallèle à l'axe du manche et la détente élastique de l'Axis Lock tend initialement à ramener la lame à son emplacement de départ. Aussi, à moins d'être également accompagnées d'un vigoureux coup de poignet, mes tentatives se soldent plus souvent qu'à leur tour par un déploiement incomplet.

Accompagner la lame d'un bout à l'autre de sa course se fait évidemment sans le moindre souci, mais ne procure pas non plus de plaisir particulier en comparaison d'autres méthodes plus "fun".

Il nous reste donc la dernière (et "vraie") façon de déployer un Axis Lock: libérer le mécanisme et jouer du poignet. A ce petit jeu, le Griptilian se comporte comme on l'espère: le poids de la lame lui donne toute l'inertie nécessaire pour bondir jusqu'à sa destination, et elle s'y immobilise sans effort ni rebond contre sa butée d'ouverture...

...sauf que...

...sauf que la nature évidée du manche fait agir ce dernier comme une véritable caisse de résonnance, et que l'ouverture du Griptilian, un tant soit peu dynamique soit-elle, se solde systématiquement par un CLOC étonnamment sonore et creux, le genre qui réveillerait un ours en pleine hibernation.

C'est bon, mémé a terminé sa sieste...

C'est bon, mémé a terminé sa sieste...

Entendons-nous bien, je n'ai rien contre les mécanismes qui s'engagent de façon volontaire. Je suis même plutôt du genre à frissonner au son du >CLAC< bien net et précis d'un Frame Lock en titane... mais franchement, il y a des limites. Il suffit que je fasse joujou avec mon Griptilian dans le sous-sol pour que ma femme entende le boucan depuis la cuisine où je l'autorise à passer son temps libre.

Trop c'est trop.

Et puis ce n'est pas non plus comme si ce son était agréable d'une quelconque façon. Parce qu'on ne parle pas du bruit d'un mécanisme qui s'engage, mais juste du boucan produit par deux pièces métalliques (lame et butée) qui s'entrechoquent devant une caisse de résonnance en plastique. S'il fallait comparer ce vacarme à quelque chose de connu, le seul exemple qui me traverse l'esprit serait celui d'un couvercle de petit pot Blédina ("Le clac à l'ouverture est votre garantie fraicheur!"), amplifié par un mur de son de teknival. Tu vois le délire?

Bref, quand on y regarde avec deux décennies de recul, l'agrément à la fois mécanique et sonore de l'Axis Lock "sauce Griptilian" fait vraiment pâle figure face à des implémentations modernes de Crossbar Lock telles que celles du Bestech Slasher, du Kershaw Covalent ou même du frangin Bugout.

Un port délicat

Encore une fois, le Griptilian est un couteau étonnamment léger compte tenu de ses dimensions. Ses 106g ne sont donc pas un problème majeur pour l'emmener avec soi au quotidien. Non. Le problème c'est... Tout le reste.

On peut commencer en douceur avec le format imposant de ce couteau qui, même replié, prélève une importante part du capital-poche disponible et l'empêche de se faire facilement oublier. De plus, les diverses aspérités responsables du manque de confort de son manche s'avèrent tout aussi problématiques lorsque, le couteau en poche, on souhaite y glisser la main pour des raisons que l'on ne devrait pas avoir à justifier.

Enchaînons avec la texture pyramidale réalisée à la surface des plaquettes: non contente d'être désagréable au toucher, elle est également particulièrement agressive pour la couture du rebord de la poche. Serrée contre cette dernière par un clip on ne peut plus zélé, un cycle d'insertion/extraction répété a tôt fait d'en venir à bout.

Enfin, dernier détail mais non des moindres... Le CLIP DE POCHE (hurlement de terreur au lointain).

Il n'y avait pas plus tendance... dans les années 80.

Il n'y avait pas plus tendance... dans les années 80.

Doté d'une esthétique pour le moins discutable, avec sa forme de spatule et sa gravure "BENCHMADE" à la finition très "guerre froide", il présente au moins l'avantage d'être orienté pour un port pointe en haut et de pouvoir être fixé des deux côtés du manche. En revanche, sa pointe saillante représente une menace pour tout ce qui passe à proximité et son enthousiasme (combiné à la texture du manche) immobilise le couteau dans la poche d'une façon pratiquement irréversible. Il faut limite arracher le tissu pour l'en extraire.

Or, à moins de vivre dans une centrifugeuse, je ne vois pas bien ce qui justifie une telle force de retenue.

Et puis, évidemment, ce clip impose un port saillant. Foutrement saillant même!

Chérie, C'EST MOÂÂÂÂÂH!
Chérie, C'EST MOÂÂÂÂÂH!

Chérie, C'EST MOÂÂÂÂÂH!

Pour quiconque envisage de passer un tant soit peu inaperçu avec ce truc qui dépasse de la poche, le pari est perdu d'avance. Et que l'on ne vienne pas me sortir l'argument du "ouiiii, mais il faut que le couteau soit super accessible au cas où il faudrait s'en servir dans une situation d'autodéfense...".

Déjà, ta gueule: si tu as vraiment peur pour tes miches, achète-toi un taser ou un spray lacrymo, comme ça tu ne risqueras pas de tuer accidentellement ton agresseur supposé, ni de lui donner une bonne raison (et un outil) de te faire plus de mal que nécessaire. Ensuite, de l'autodéfense avec une lame au profil pied de mouton, je rigole. Enfin, même si le pommeau dépassait de 10cm du rebord de la poche, bon courage pour arracher à l'improviste ce clip-sangsue particulièrement tenace.

Bref, je ne vois aucune raison de ne pas s'intéresser aux nombreux modèles de clips "profonds" disponibles auprès des fournisseurs tiers, comme celui dont j'ai fait l'acquisition quelques jours à peine après avoir reçu mon exemplaire du Griptilian.

À la limite, c'est un peu moins pire.

À la limite, c'est un peu moins pire.

Sauf que, le clip de base étant installé "à plat" sur le manche, Benchmade n'a évidemment fait aucun effort du côté de la visserie à la fois saillante et installée sur un renflement du pommeau.

Tu vois où je veux en tenir?

Tu vois où je veux en tenir?

Résultat des courses, le clip de remplacement est contraint de saillir plus que de raison pour aménager la place nécessaire à faire glisser le tissu par dessus les têtes de vis, et se trouve lui même fixé "en altitude". L'ensemble, une fois monté, occupe un espace déraisonnable et aggrave encore le confort tout relatif du manche.

Ma paume: "Tout cela ne me dit rien qui vaille".

Ma paume: "Tout cela ne me dit rien qui vaille".

Et pour ce qui est du facteur d'acceptabilité sociale, ni les dimensions ni l'aspect du 550 Griptilian ne seront de nature à le rendre tolérable aux yeux des profanes. Il est par conséquent déconseillé de s'en servir à la cantine.

Un rapport qualité/prix qui divise

J'ai lu à de nombreuses reprises que le Griptilian était "le parfait exemple d'un couteau de qualité proposé à un prix abordable" et je dois confesser que je ne partage pas cet avis.

Sans contester la qualité de l'assemblage mécanique (lame parfaitement centrée, affûtage d'origine irréprochable, Axis Lock ajusté à la perfection...) je suis en revanche beaucoup plus réservé pour ce qui concerne la réalisation du manche. Entre le choix du matériau plastique qui n'évoque définitivement pas la coutellerie haut de gamme, et le traitement réservé à ce plastique, j'ai le sentiment que Benchmade peine à justifier les 150€ réclamés pour ce modèle.

Les traces d'injection du plastique sont visible sur le pommeau, l'assemblage des plaquettes laisse apparaître une gouttière abrupte et accumulatrice de crasse, et les excroissances pratiquées pour en améliorer l'adhérence manquent clairement de finesse, au point que certains utilisateurs passent le manche de leur couteau au papier abrasif pour le rendre supportable en main.

Et bon courage pour nettoyer ça.

Et bon courage pour nettoyer ça.

En définitive, je trouve que le tarif du Griptilian est difficilement justifié, comme c'est malheureusement le cas pour la majorité des productions de Benchmade. J'ai le sentiment que l'acheteur paye pour beaucoup le prestige de la marque et je doute sincèrement qu'après 20 ans de succès, les coûts de R&D du Griptilian n'aient pas encore été amortis.

Une conclusion sans équivoque

Si ce n'était pour l'inconfort notoire de son manche, j'aurais sans peine admis l'idée que le Griptilian ait été, lors de sa sortie, une référence incontestable à la fois en termes d'innovation et d'agrément d'usage. En outre, il parait évident qu'une telle production ne peut pas bénéficier de deux décennies de succès commercial sans un minimum de qualités reconnues.

Mais cela n'interdit pas pour autant d'émettre des avis contradictoires, ce dont je ne me prive pas: étant donné l'expérience qui est la mienne, je ne peux m'empêcher de contester la légitimité de sa réputation. J'ai d'ailleurs du mal à croire qu'aucun des nombreux et fervents supporters du Griptilian n'ait jamais ressenti le moindre inconfort en compagnie de ce modèle, et le fait que de nombreux accessoiristes tiers proposent des plaquettes, des clips et des visseries de remplacement pour ce couteau en particulier est un signe qu'il y avait bel et bien une opportunité d'amélioration.

Or, à en juger à la qualité de certaines de ces options alternatives, je n'exclus pas l'hypothèse que le succès du Griptilian trouve un début d'explication dans la disponibilité de ces pièces de rechange. Je n'écarte pas l'idée que le Griptilian soit aussi apprécié, non pas en dépit de ses défauts évidents, mais grâce à la disponibilité de solutions permettant de les contourner. Dans cette éventualité, le Griptilian ne serait pas estimé en tant qu'objet fini mais en tant que plateforme: une plateforme à partir de laquelle chacun peut assembler son couteau "idéal" moyennant l'injection de moyens supplémentaires.

Et pour corroborer cette hypothèse, j'ai noté qu'un nombre inhabituel d'articles ou de vidéos vantant les mérites du "Griptilian" présentaient en réalité un couteau largement modifié, qui avec des plaquettes en fibre de carbone, qui avec un clip en titane... Or, le couteau ainsi présenté méritait sans aucun doute les louanges dont il était l'objet, mais peut-on dans ce cas prétendre légitimement s'adonner à la critique du Griptilian?

Encore une fois, je ne remets pas en cause la géométrie du duo lame/manche imaginée par Mel Pardue: elle frôle effectivement la perfection pour l'usage qui lui est dédié. Mais c'est dans la réalisation de cette géométrie et le choix des matériaux que Benchmade s'est permis de prêter le flanc à la critique, autant que dans son immobilisme bi décennal.

Nan parce que franchement, admettons que je sois passé à côté d'un truc essentiel et que ce modèle, sans la moindre modification, ait effectivement pu être le meilleur couteau de poche du monde à l'époque de sa sortie... On a quand même fait un petit bout de chemin depuis vingt ans! Et toute référence qu'il soit, le Griptilian fait objectivement aujourd'hui figure de référence obsolète, rattrapée par une concurrence toujours plus acharnée, inventive... et bon marché.

Car, tout à fait honnêtement, si une version "revue et corrigée" de ce couteau devait voir le jour, avec un manche à la texture plus agréable et qui ne "sonne pas creux", un clip amélioré et une esthétique générale plus soignée, il y aurait là de quoi sérieusement craquer.

Autrement dit, il "suffirait", pour en faire une véritable référence, que Benchmade intègre "de série" les nombreuses améliorations proposées par les fournisseurs tiers...

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C
J'ai le 551 et ...bien trop cher pour ce que c'est le manche fait vraiment toc ! Les marques US ( Bench, Spy, zT..) exagèrent .On trouve de 'l'excellent chinois bien moins cher et pourtant aussi bon voire meilleur que ces marques. <br /> je ne suis pas non plus un grand fan des aciers de la mort qui tue , très chers et souvent inutiles sauf pour le marketing. Avec l'expérience et l'âge, je suis de plus en plus attiré par les couteaux qui ont une âme, un histoire, des couteaux authentiques, traditionnels, bien acceptés socialement, qu'on a toujours dans la poche...merci pour ton excellent blog !
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U
On est bien d'accord! La plupart de ses défenseurs ont tendance à survendre les qualités du Griptilian et à justifier son tarif injustifiable.