6 Janvier 2022
Bonjour, ami couteauphile.
Pour l'étape du jour, je t'invite à traverser l'atlantique en ma compagnie. C'est en effet en Oregon, dans la ville d'Oregon city, que nous partons à la rencontre de l'une des marques les plus connues au monde, aux côtés de Spyderco, Buck, CRKT, Böker et autres géants de la coutellerie industrielle internationale.
L'histoire de la marque au papillon n'est toutefois pas si ancienne qu'on pourrait le croire puisque c'est en 1980 seulement que son fondateur, Lester "Les" de Asis, rachète une petite manufacture en Californie et commence à produire ses premiers couteaux de façon artisanale. Descendant d'une famille de philippins, ses premiers modèles sont des balisongs, couteaux papillons typiques de ce pays. Son entreprise se nomme alors "Bali-Song® Inc."
Avec l'aide de son associé Jody Samson, chargé des émoutures, ses créations remportent un franc succès et Lester songe bientôt à lancer sa première production de série, le "model 68".
A l'occasion de cette transition à la méthode industrielle, Lester élargit son offre en y ajoutant quelques lames fixes et une poignée de pliants conventionnels, avant de renommer son entreprise "Pacific Cutlery Corp". Hélas, le manque d'expérience entraine d'importants problèmes de gestion des commandes et de contrôle qualité qui poussent bientôt l'entreprise à déposer le bilan. Nous sommes en 1987.
Mais l'entrepreneur ne se laisse pas abattre et croit au potentiel de ses créations. A peine le dossier de banqueroute déposé, il fonde en 1988 une nouvelle coutellerie. Pour ne pas répéter les erreurs du passé, il organise son processus autour de la chaine logistique et du contrôle qualité. Pour réduire les délais de livraison et améliorer l'homogénéité de ses pièces, ses couteaux ne seront pas faits-main (hand-mande) mais leurs pièces produites par des procédés industriels de haute précision, et assemblées à la main "sur le banc" (bench). Le concept -et la marque- Benchmade était né.
À la suite d'un démarrage satisfaisant, l'entreprise déménage en 1990 dans l'Orégon, véritable carrefour de la coutellerie US grâce à des lois particulièrement souples en matière de port d'arme et à la concentration d'un grand nombre d'acteurs de ce secteur (Kai USA, Gerber, CRKT, Leatherman...). La disponibilité dans cet état de nouveaux équipements à la pointe du progrès (ex. des lasers à haute puissance permettant de couper facilement des aciers trop durs pour les outils conventionnels) permet à Benchmade de moderniser ses chaînes de production et de construire progressivement la dimension qui est aujourd'hui la sienne.
Rapidement à l'étroit dans son usine de 1400m² à Clackamas, l'entreprise déménage à nouveau en 1996 vers son site actuel -Oregon city- pour des locaux occupant cette fois pas moins de 13.000m². Prêt à inonder le monde entier de ses productions, Benchmade joue désormais dans la cour des (très) grands.
Mais une grande marque de couteaux ne peut exister sans modèles iconiques. Et si le balisong modèle 68 de son fondateur a indéniablement marqué une époque, c'est surtout en s'appuyant sur le savoir faire de couteliers renommé tels que Mel Perdue et Warren Osborne et en sachant saisir les opportunités technologiques qui se présentaient (comme par exemple lorsque Bill McHenry et Jason Williams virent frapper aux portes de l'usine avec leur mécanisme de verrouillage révolutionnaire depuis devenu l'un des piliers de la marque sous le nom "Axis Lock") que l'entreprise a su forger son succès.
Le nom de Benchmade est en effet aujourd'hui associé à de nombreux couteaux reconnus pour leur design et leurs qualités. Il n'est pas un amateur qui n'a jamais entendu parler du "550 Griptilian" ou du plus récent "535 Bugout" tous deux sortis de l'usine orégonaise.
En haut le 550 Griptilian, en bas le 535 Bugout. Deux modèles équipés du célébrissime Axis-Lock et qui sont régulièrement considéré comme des références dans leurs catégories respectives.
Et au sein de cette liste de modèles iconiques, on trouve évidemment le modèle du jour: le "940 Osborne". Un couteau à l'écart des codes établis mais que cela n'a pas empêché de se forger une solide réputation.
Lester de Asis est décédé le 21 février 2020, moins de deux ans avant que cet article ne soit écrit. Son fils Jon dirige à présent l'entreprise. Mais l'entrepreneur américain aura été bien plus qu'un simple fabricant de couteaux: tout au long de sa carrière, il aura été un acteur majeur de la promotion de la coutellerie américaine, en co-fondant notamment le "American Knife & Tool institute" en 1997 et dont il aura été le premier président de 1998 à 2001. Ou encore la "Pacific Northwest Defense Coalition" qui, depuis 2014, décerne même un prix à son nom. Reconnu comme une personnalité incontournable de la communauté coutelière, il était également apprécié de son entourage pour ses autres engagements associatifs.
Le rapport avec le couteau du jour? Aucun. J'ai simplement pensé qu'il était juste de te faire connaître un peu mieux cet homme remarquable.
Le modèle 940 Osborne est nommé d'après le regretté Warren Osborne, à qui l'on doit ses lignes atypiques et son profil unique en son genre. Propriétaire de ranch, le designer concevait avant tout ses couteaux pour le terrain, désireux de créer des outils robustes et pratiques.
Ajouté au catalogue de Benchmade pour la première fois en 2000, le 940 Osborne fait partie de ces modèles qui rencontrent un tel succès que leur constructeur en multiplie les déclinaisons: le 940-1 dotés de plaquettes en fibre de carbone, le 940-2 muni de plaquettes en G10, l'édition limitée 940-2001 à manche en titane ou encore le 9400 à déploiement automatique... Les choix ne manquent pas. Il en existe même une version miniaturisée "945 Mini-Osborne" sortie en 2021 et sur laquelle je me permettrai d'ouvrir une courte parenthèse en fin d'article, car elle fait également partie de ma collection.
Après plus de 20 ans sur le marché, ce modèle est aujourd'hui encore cité comme une référence par bon nombre d'amateurs. Il était donc légitime que nous prenions le temps de pratiquer ensemble la vivisection d'une véritable légende vivante.
Le plus gros du caractère du 940 tient dans le profil de sa lame. Un profil baptisé "reverse tanto" par son créateur mais qui, dans les faits, s'apparente de façon argumentable à un "clip point" modifié ou encore un pied de mouton un peu ventru... Ahhh, nomenclature, quand tu nous tiens!
Longueur | 87mm |
Longueur de coupe | 84mm |
Hauteur | 21mm |
Épaisseur | 3mm |
Épaisseur derrière le fil | 0.7mm |
Angle d'émouture primaire | 5.05° |
Type d'émouture primaire | Plate |
Matériau | CPM S30V |
Dureté* | 60 HRC |
(* données constructeur)
Et quitte à la jouer fine sur les nomenclatures, pourquoi ne pas dire que ce profil n'est ni plus, ni moins, qu'un simple "Spey Point"? Ce profil est méconnu mais néanmoins parfaitement documenté et sa description correspond plutôt bien à la silhouette du 940! Je te laisse le soin d'aller en débattre avec les extrémistes de la catégorisation. Pour ma part, je trouve que ce profil est simplement très bien conçu.
Pour mes usages quotidiens, la forme du dos de la lame n'a pas la moindre importance tant qu'elle ne devient pas un handicap. Aussi, à géométrie de fil identique, le fait qu'un couteau soit clip point, drop point ou encore markun point (attention, jeu de mots!) ne fait aucune différence du moment que la hauteur et l'épaisseur de la lame lui permettent de progresser et de changer aisément de direction une fois engagé dans la matière, et que mon pouce soit susceptible d'y trouver un appui confortable.
Je n'utilise jamais un couteau pour piquer dans les gens ni pour dégonder une porte donc le fait que sa pointe soit acérée ou non, solide ou pas, n'a que peu d'importance en ce qui me concerne.
Pour les usages qui sont les miens, donc, la géométrie de cette lame se révèle particulièrement fonctionnelle. Sa section droite, qui semble d'autant plus interminable que son profil est allongé, permet des coupes longues et régulières effectuées d'un simple geste. Quand à l'arrondi qui se forme à l'approche de sa pointe, il permet d'utiliser efficacement le couteau contre un support. S'il ne se substitue aucunement à un couteau de cuisine dont on peut poser le fil à plat sur une planche à découper, le 940 permet néanmoins d'émincer des oignons relativement facilement ou encore de tailler sans effort de fins pétales dans un saucisson particulièrement sec.
La pointe, justement, si elle n'est pas aussi basse que sur un pied de mouton traditionnel, sa position sous l'axe médian de la lame et l'angle contenu du fil à son approche permet tout de même une utilisation de type "cutter" en tenant le manche à moins de 45° du plan de coupe, ce qui n'est pas anodin quand on voit que certains Drop Point particulièrement ventrus (et je ne parle même pas des profils à dos droit...) imposent de tenir le couteau quasiment perpendiculaire à la table.
Le F815 Hornet est un couteau très fonctionnel, mais il est moins adapté à ce genre de geste.
En revanche, la forme alambiquée de son dos, particulièrement en ce qui concerne la profonde contre émouture réalisée sur ses deux derniers tiers me laisse personnellement de marbre.
Un utilisateur expert saura sans doute m'instruire sur l'avantage de ce genre de découpe, personnellement, il ne change rien à mon quotidien.
Ce qui marche plutôt très bien, par contre, c'est la hauteur très contenue de cette lame: une fois engagée dans la matière, il est facile de la faire pivoter pour lui donner une autre direction. Besoin de couper un arrondi dans un morceau de carton? Au contraire d'un Hogue X5 planté sur ses rails, le 940 tourne et vire sans effort.
Côté épaisseur, on se situe dans la bonne moyenne pour un couteau de poche. Tandis que la tendance actuelle est à un épaississement contre-productif, les 3mm d'acier du Osborne se fraient un chemin dans la matière de façon raisonnablement aisée. Il aurait toutefois peut-être été possible d'améliorer sa capacité de coupe en créant un fil plus fin et une émouture plus haute/aigue, ce qui nous ramène une fois encore à la conception du "reverse tanto".
Avec une émouture pleine et un dos plus classique, la lame n'aurait pas pu conserver une épaisseur maximale constante pratiquement jusqu'à son extrémité. Au lieu de cela, la combinaison d'une émouture médiane/haute et d'une contre émouture permet d'affiner la matière tout en conservant une ligne robuste.
Plutôt handicapante pour les coupes verticales, cette géométrie pourrait en revanche présenter une prédisposition certaine à la perforation (ce qui expliquerait de fait son appellation "tanto") en permettant de former une pointe robuste puis, grâce à la contre émouture pratiquée plus en retrait, une section en losange, pénétrante à la façon d'une lance. Hélas, ne vivant pas dans un ranch ni dans tout autre environnement pouvant justifier un tel usage, je ne suis pas en mesure vérifier cette hypothèse.
Géométriquement, la lame du 940 reste néanmoins une véritable réussite, quelles que soient les situations triviales dans lesquelles puisse se trouver un utilisateur citadin. Même son ergot d'ouverture, excroissance qui tend à être gênante sur beaucoup de modèles concurrents, ne pose ici pas de problème majeur grâce à l'importante longueur de coupe disponible par ailleurs. Dans certaines situations, il contribue même à préserver l'articulation d'une salissure indésirable en servant de butée d'arrêt. C'est par exemple ce que j'ai pu constater en coupant bon nombre d'aliments qui auraient eu tôt fait de se précipiter dans la charnière si l'ergot n'avait pas stoppé mon geste.
Côté acier, il n'y a pas de quoi se plaindre du CPM S30V toujours utilisé par Benchmade sur pratiquement toute sa gamme en 2022, et dont le traitement thermique semble bien maîtrisé. Le 940 garde son mordant longtemps et si le lui rendre demande un minimum de patience, nous sommes encore loin du stade où cela devient rédhibitoire.
Et enfin pour ce qui est de l'esthétique, ses multiples facettes aux contours élaborés lui donnent une indéniable modernité malgré son âge avancé, et sa forme très allongée une certaine élégance. Mais je reste personnellement sur ma faim en ce qui concerne la finition. Le métal est en effet finement strié, comme brut d'usinage, jusque sur le fil qui a, dès la sortie de l'emballage, davantage l'apparence d'une fine dentelure que d'un poli miroir.
Quand au marquage, il offre un équilibre raisonnable. Présent sans être trop envahissant, il a le mérite de fournir à l'observateur toutes les références dont celui-ci a besoin pour identifier l'objet.
La marque et le modèle accolés d'un côté, la nuance d'acier et le designer de l'autre... Tout est là.
Malgré un profil effilé et une surface métallique peu propice à l'adhérence, l'excellent travail de découpe effectué sur ce manche lui procure une tenue en main de premier plan.
Longueur | 113mm |
Hauteur | 23mm |
Épaisseur | 10.5mm |
Platines | Acier inox |
Plaquettes | Aluminium |
Entretoise | Titane anodisé |
Il ne me semble pas déplacé de commencer par évoquer l'apparence de ce manche, qui reste lui aussi d'actualité malgré ses deux décennies d'existence. Bien que ses plaquettes soient faites d'une seule pièce, la forme de la rainure pratiquée pour symboliser les mitres et le retrait de matière à l'origine de la crête médiane située de chaque côté du manche lui donnent une dynamique parfaitement en phase avec son profil allongé. La couleur "vert militaire" choisie pour teinter l'aluminium a, elle aussi, quelque chose d'intemporel, à la fois futuriste et doté d'un cachet très "ex-union soviétique".
En revanche, le choix d'une entretoise anodisée de couleur violette plutôt flashy me plonge dans l'embarras. Sans être un expert des associations de couleur, ce mélange me semble plutôt maladroit. Ce rajout quelque peu bling-bling ne résonne pas, à mon avis, avec le caractère austère et sobre du reste du manche.
D'un point de vue ergonomique, par contre, il n'y a pas d'hésitation à avoir: le manche du 940 est une vraie réussite. Assez long pour héberger quatre doigts malgré une garde assez reculée qui maintient l'index à une distance respectable du fil, il joue de ses contours pour remplir la paume, ce que sa hauteur et son épaisseur plutôt modestes ne laissent pourtant pas présager.
Le 940 est donc aussi à l'aise entre les phalanges que saisi à pleine main, position dans laquelle la courbure de son dos va chercher le contact avec la peau.
La texture dépolie dont bénéficie l'aluminium permet en outre à ce dernier d'offrir une adhérence tout à fait satisfaisante et les fines dentelures pratiquées sur les platines rendues apparentes au niveau du pouce et de l'index contribuent à offrir une prise solide sans pour autant se révéler trop vite agressives pour la peau.
Le clip de poche, en revanche, constitue une véritable source d'inconfort en plus d'être laid et de laisser dépasser le couteau de la poche: sa pointe exagérément saillante agresse la main avec le même enthousiasme qu'elle manifeste lorsqu'elle s'en prend à la peinture de la voiture contre laquelle vous laissez votre poche frotter par inadvertance.
Véritable standard du catalogue, l'Axis-Lock est aux Benchmade ce que le Virobloc est à l'Opinel. Mais derrière ce nom barbare se cache un mécanisme de verrouillage complètement ambidextre, pratiquement infaillible et dont la seule limite se trouve dans la robustesse du manche, ce dont le 940 Osborne ne manque pas avec ses platines en acier et ses plaquettes en aluminium.
Pour ce qui concerne les modalités d'ouverture, ce modèle propose deux options. Pour commencer, il y a l'ergot de pouce, plutôt bien positionné et que l'on peut accompagner d'un bout à l'autre de sa course ou projeter d'une pichenette grâce à la simili détente que le mécanisme de verrouillage arrive à simuler de façon très convaincante.
Alternativement, il est possible de libérer l'Axis Lock pour laisser la lame pivoter sous l'effet de la gravité ou d'un coup de poignet.
Grâce au poids -et donc à l'inertie- de la lame, le mouvement est très fluide et le verrou s'engage dans un claquement sec, nonobstant l'absence de roulements à billes. De simples rondelles de bronze phosphoreux assurent en effet le job tout en étant par nature moins susceptibles à l'encrassement. Ce choix rend le couteau particulièrement adapté aux conditions extérieures, bien que la complexité mécanique du système de verrouillage le rende, lui, plus prompt à s'encrasser que le simple ressort d'un Liner Lock.
Pas de souci non plus en fermeture: une fois le couteau rôdé par quelques jours d'utilisation récréative, la sensation initiale que l'Axis Lock est "collé" disparait et une légère traction sur l'axe suffit à laisser la lame retomber dans sa gouttière, sans qu'à aucun moment les doigts ne se trouvent sur sa trajectoire.
Même si son entretien est significativement plus délicat qu'un liner/frame lock (et que certains utilisateurs se plaignent de la fragilité des ressorts omega), le mécanisme de Benchmade est une véritable réussite. Le fait que le concept ait été allègrement recyclé par SOG aux US ou encore Tarrerias-Bonjean en France depuis que son brevet est tombé dans le domaine public est un indice qui ne trompe pas.
Si le 940 Osborne est indéniablement long, la finesse de son profil lui permet toutefois de se faire relativement discret dans la poche dont il n'occupe qu'une étroite bande verticale. Sa silhouette dénuée d'excroissances en fait par ailleurs un compagnon agréable, sur lequel on ne craint pas de tomber lorsque l'on glisse sa main dans la poche. En outre, et malgré ses dimensions, ce modèle bénéficie d'un poids relativement contenu (83g) qui en ajoute à l'agrément de l'utilisateur.
Là où les modalités de transport pêchent en revanche, et cette remarque est hélas toujours valable en 2022 pour une grande partie du catalogue de Benchmade, c'est pour ce qui concerne la géométrie du clip de poche pourtant ambidextre et pointe en haut (ce qui correspond plutôt bien à mes attentes). Avec sa forme de spatule et son extrémité saillante, il n'est ni agréable à regarder, ni confortable à serrer dans la main, ni même inoffensif pour les surfaces qui passent à proximité de la poche où il réside.
Et là où le port profond semble être une norme relativement bien établie depuis quelques années, le 940 et bon nombre de ses confrères continuent de dépasser des poches de façon ostentatoire.
Alors certes, le succès de la marque permet de trouver aisément sur le marché des clips de remplacement produits par des sociétés tierces, et le fait que l'entraxe de leurs vis de fixation soit parfaitement standard permet d'adapter un clip "custom" sur pratiquement n'importe quel modèle du catalogue... Mais cela ne dispense pas le fabricant de faire l'effort d'intégrer à ses couteaux un accessoire natif à la hauteur des standards modernes.
En ce qui concerne le fait de se promener en ville avec le 940 Osborne dans la poche, ou encore de le poser sur la table du restaurant en lieu et place de l'immonde couteau à steak dentelé que le restaurateur aura mis à disposition, la chose est rendue objectivement délicate par les dimensions imposantes de sa lame et son apparence déstabilisante pour le non-initié. En ajoutant à cela son caractère parfaitement illégal, cela fait beaucoup de bonnes raisons pour se contenter de l'emporter avec soi uniquement lors des sorties en nature ou des séances de bricolage à l'atelier.
D'une manière générale, on ne peut pas qualifier les productions américaines de "bon marché", surtout une fois l'atlantique traversé et les taxes afférentes appliquées. Le 940 ne fait pas exception à la règle. Proposé entre 200 et 250€ hors promotions, le profane que je suis peine à justifier l'achat de ce modèle à son plein tarif.
Je n'ai objectivement pas grand chose à reprocher à la qualité d'assemblage et aux finitions de ce couteau, même si j'aurais tout de même apprécié des flancs satinés au lieu de striés et une émouture secondaire mieux polie. Le centrage de la lame est impeccable, l'articulation parfaitement réglée et le couteau coupe raisonnablement bien dès la sortie de l'emballage.
Mais encore une fois, dans cette même gamme de matériaux (acier premium, manche alu), le LionSteel Rok affiche un niveau de finition objectivement supérieur et multiplie les exclusivités technologiques pour un tarif similaire. Et si l'on s'intéresse au LionSteel Thrill dont les dimensions sont par ailleurs comparables et la réalisation tout aussi qualitative si ce n'est plus, la facture est réduite de plus d'un quart!
Ce phénomène s'observe également sur de nombreux autres modèles de la marque: les tarifs pratiqués par Benchmade souffrent de la comparaison avec la concurrence. Et si ce n'est pour le prestige de l'entreprise, rien ne semble justifier cet écart. Or le prestige d'une marque n'est hélas pas très utile lorsque, le couteau en main, on se retrouve face à la tâche.
Pour résumer ma pensée: trop cher.
Comme je l'ai annoncé en début d'article, il existe également une version miniaturisée du 940 Osborne, le 945 Mini-Osborne. Un couteau qui, à défaut d'être réellement "mini", perd tout de même deux bons centimètres et quelques dizaines de grammes, ce qui le place dans la catégorie des couteaux de taille moyenne là où son ainé peut objectivement être qualifié de "grand".
Cette version fait précisément suite à une demande récurrente des habitués de la marque de disposer d'un modèle doté des mêmes qualités, mais mieux adapté à un usage occasionnel et quotidien.
La réduction de taille opérée sur le 945 place effectivement le couteau dans une toute autre catégorie, et pourrait justifier à elle seule un article dédié, mais ce dernier contiendrait beaucoup trop de redites dans la mesure où les lignes originales du Osborne sont, elles, demeurées inaltérées. Je me contenterai donc de mettre en lumière les différences que cette miniaturisation implique.
Au niveau de la lame, la perte sèche d'un bon centimètre place la pointe plus près des doigts et permet davantage de précision, ce qui n'est pas désagréable étant donné la position très en recul imposée par la garde.
En outre, la réduction de taille ayant été réalisée suivant les trois dimensions, la lame est également moins haute et plus fine (2.7mm) ce qui la rend d'autant plus pénétrante et maniable. L'utilisateur y perd évidemment en robustesse et en longueur de coupe, et pourra se sentir limité sur certaines tâches, mais le résultat se prête effectivement plus volontiers aux petits besoins triviaux du quotidien.
Du côté du manche, hormis le fait que j'ai jeté mon dévolu sur une version 945-1 en G10 à l'esthétique dérivée du 940-1 et non du 940 "de base" (ce qui fait qu'il accuse quelques différences structurelles comme par exemple un dos complètement évidé), il se distingue évidemment de son ainé par des dimensions réduites qui placent sa prise en main à la limite entre quatre et trois doigts et demi, de même qu'elle compromet le positionnement au creux de la paume.
C'est le genre de prise en main qui fait qu'on s'imagine moins facilement s'attaquer à un tronc d'arbre.
Et, encore une fois, si cette modification est préjudiciable à l'utilisation du couteau dans un contexte forestier ou campagnard, elle ne pose pas de souci tant qu'il s'agit d'ouvrir des colis et d'éplucher des pommes.
Du côté du clip de poche, on ne constate hélas toujours pas d'amélioration et on commence à s'interroger sur la politique du constructeur, s'agissant d'un modèle sorti en 2021, soit deux ans après le 535 Bugout qui bénéficie -lui- d'un clip profond de série. Équipé d'une pointe toujours aussi saillante, ce clip agresse tout ce qui passe à sa portée. Un peu plus moderne dans ses lignes que son prédécesseur, il ne fait cependant toujours pas l'effort d'être replié à la base pour permettre au couteau de disparaître complètement dans la poche.
En définitive, le 945 constitue une alternative intéressante aux amateurs des lignes du 940 qui cherchent un modèle plus discret et moins susceptible d'effaroucher les collègues de bureau. D'un point de vue purement technique, il est en revanche difficile de multiplier les arguments pour le préférer à d'autres modèles conçus avec un usage "EDC" dès le départ.
Car les lignes et le profil de lame du 940 ont en premier lieu été optimisés pour un couteau aux dimensions généreuses et à usage clairement extérieur. Et si elles brillent certainement dans ce domaine, le fait de les miniaturiser ne les rend pas automatiquement idéales pour l'usage quotidien.
En définitive, on peut voir le 945 avant tout comme un hommage destiné à permettre aux amoureux du 940 d'emmener un "Osborne" avec eux lorsqu'ils quittent le ranch.
Objectivement, je pense ne pas être équipé pour apprécier le 940 à sa juste valeur. Pour les usages qui sont les miens, il s'agit d'un couteau soit trop long, soit pas assez massif. Mais je ne conteste en revanche pas le moins du monde le fait qu'il puisse complètement satisfaire un certain profil d'utilisateur dont le mode de vie permet d'exploiter toutes les qualités de ce design atypique mais fonctionnel.
C'est aussi un couteau que je trouve trop cher, dans sa version originale comme miniaturisée. Et c'est certainement là la rançon de son succès incontestable.
Pourtant, je ne peux nier éprouver une certaine fierté à avoir dans ma collection un modèle aussi iconique, même si je n'en ai pas nécessairement l'usage. Car le 940 fait partie des "cases à cocher" du collectionneur obsessionnel dans la mesure où il est véritablement unique en son genre.
Au quotidien, j'avoue avoir plus de facilité à glisser le 945 dans ma poche lorsque l'envie m'en prend, même si je sais qu'il ne sera pas nécessairement l'outil optimal en comparaison d'autres modèles en ma possession. Mais son originalité, le caractère récréatif de son mécanisme d'ouverture/fermeture et ses prestations néanmoins irréprochables lorsqu'il s'agit de couper en font un compagnon agréable. Gadget superflu? Sans doute. Gadget désirable? Indéniablement.
Notre prochaine étape n'est pas encore arrêtée. Il se peut que nous partions faire un saut dans le temps d'un siècle ou de quelques millénaires. A moins que nous ne jetions notre dévolu sur une destination low-cost aux délectables imperfections.
N'hésite pas, cher lecteur, à partager tes souhaits si le cœur t'en dit. D'ici là, bon voyage et à la prochaine fois.