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Escapades coutelières

Voyage autour du monde à la découverte de couteaux d'ici et d'ailleurs

Bruno Sauzedde "Le Thiers® Rotosphère": exercice de style

Bruno Sauzedde "Le Thiers® Rotosphère": exercice de style
Hey, ça faisait un bail!

Bonjour, lecteur.

Après un hiatus de quelques semaines au cours duquel j'ai jugé bon de te laisser te reposer, je t'invite à présent à reprendre la route avec moi. Le voyage sera d'une durée raisonnable car notre destination se trouve dans l'hexagone. L'itinéraire pourrait même te sembler familier car nous retournons à Thiers pour nous intéresser à un couteau bien de là-bas... le Thiers.

Si les nombreux touristes qui papillonnent aujourd'hui dans les boutiques de la ville sont familiers avec ce modèle à l'élégance indéniable, il est intéressant de noter que ça n'était pas le cas il y a 25 ans. En effet, la forme qui caractérise "le Thiers" n'a été imaginée qu'en 1994, à la suite d'un double constat: premièrement celui que la "ville des couteaux" ne disposait pas de son modèle propre, et deuxièmement celui que la contrefaçon massive du modèle "Laguiole" nuisait à l'économie thiernoise.

Un artisanat sans représentant

A première vue, l'équation pourrait sembler insoluble: comment la cité des lames pouvait-elle prétendre produire 80% des couteaux faits en France, alors même qu'elle ne disposait pas du moindre modèle pour faire concurrence aux Laguiole, Aurillac, Garonnais, Pradel, Aveyronnais, Langre, Poisson, London, Normand, Coursolle, Nontron, Aubrac, Armoric, Corse et autres innombrables modèles traditionnels régionaux?

Mais poser la question ainsi, c'est oublier que l'immense majorité des susdits couteaux régionaux est précisément produite... a Thiers! Un oubli courant qui profite au commerce des revendeurs régionaux et nuit à la reconnaissance de l'artisanat Thiernois.

Qu'il est tentant et facile de s'approprier la qualité du travail d'un autre, lorsque ce travail porte notre propre nom! Je fis d'ailleurs la désagréable expérience de cette pratique lors d'une visite dans la charmante ville médiévale de Locronan (Bretagne) durant l'été 2019: ma curiosité attisée par une coutellerie nommée "BREIZH KONTELL" ("le couteau breton" en breton) et affichant les mentions "artisan fabricant" sur sa vitrine ainsi que de nombreuses photos d'atelier sur ses murs, j'engageais la conversation avec la vendeuse au sujet des divers modèles de son présentoir.
"- Vous faites ces couteaux vous-même?
- (presque choquée par ma question) Évidemment monsieur, chaque couteau vendu ici est fabriqué dans nos ateliers!
- Sur place?
- Sur place!
- À Locronan?
- (après un moment d'hésitation) sur place... dans nos ateliers... à Thiers."

Quelle transparence! Combien de clients avant moi sont passés dans ce point de vente, persuadés de contempler le talent des artisans bretons? Trop à mon goût. Et peut-être aussi à celui des thiernois dont on s'approprie ainsi les mérites.

Un artisanat plagié

Outre la crise de notoriété que subissent des artisans dont le travail est associé à des régions où ils n'ont jamais mis les pieds, les thiernois ont également souffert de la contrefaçon massive dont a été victime l'appellation "Laguiole" pendant plus de 20 ans.

Contrefaçon? En réalité pas exactement puisque l'appellation "Laguiole" n'avait jamais été légalement protégée. C'est en constatant cela qu'un entrepreneur du Val-de-Marne a eu l'idée de déposer en 1993 le nom "Laguiole" et l'abeille qu'on lui associe à l'institut national de la propriété intellectuelle, avant de créer une vingtaine de marques vendant aussi bien des couteaux fabriqués au Pakistan et en Chine que du linge de maison ou des engrais. Il aura fallu deux décennies d'une bataille juridique pleine de rebondissements pour que la commune obtienne en 2019 l'annulation des susdites marques et récupère le droit d'utiliser son propre nom. Suite à cette victoire, elle fit enfin en mars 2021 une demande tardive mais nécessaire d'Indication Géographique Protégée. En dépit de cela et à ce jour, il est encore possible d'appeler "Laguiole" un couteau fabriqué n'importe où et n'importe comment.

Or les couteliers thiernois, qui fabriquaient ce que l'on pourrait ironiquement appeler les "véritables Laguioles faits à Thiers" furent touchés de plein fouet par l'importation massive de produits étrangers à l'appellation trompeuse. Et si la dernière forge encore en activité dans le village même de Laguiole (judicieusement nommée "La Forge de Laguiole") tout comme les artisans alentours n'eurent d'autres choix que d'attendre l'issue de ce procès fleuve, les fabricants thiernois saisirent dès le début de cette histoire l'opportunité d'explorer d'autres options.

Une réponse originale

C'est pour ces deux raisons principales que la "Confrérie du Couteau Le Thiers" fut fondée en 1993 avec pour objectif d'imaginer un modèle représentatif de la ville, de son artisanat, et dont la propriété intellectuelle soit dûment protégée. Couteliers, designers et passionnés se sont réunis, et ont élaboré les lignes de ce qui deviendrait le couteau "Le Thiers®" et l'ont accompagné d'un cahier des charges précis définissant les conditions nécessaire pour obtenir cette appellation.

Contrairement au Laguiole ou à l'Aubrac, "Le Thiers®" n'est donc pas une appellation d'origine mais bien une marque déposée. Une marque un peu particulière puisqu'elle est à usage collectif: cela signifie que tous les membres de l'association "La Confrérie du Couteau Le Thiers" peuvent en produire leur propre version et y associer leur nom, à la condition expresse d'en respecter le cahier des charges qui spécifie, entre autres choses, que sa production doit être entièrement réalisée sur le bassin thiernois.

Et si tous les couteaux "Le Thiers" respectent de fait les mêmes lignes générales, chaque artisan dispose néanmoins d'une bonne marge de manœuvre pour exprimer sa créativité.

Bon ok, mais le rapport avec le couteau du jour dans tout ça?

Et bien merci d'avoir posé la question, cher lecteur.

Le couteau du jour est justement un Thiers®, comme tu l'as déjà deviné en découvrant le titre de cet article, et pas n'importe lequel puisqu'il s'agit à mon avis personnel de l'une des interprétations de ce modèle parmi les plus audacieuses qu'il m'ait été donné de croiser.

Présentation générale

Imaginé par Bruno Sauzzede, qui n'est autre que le gérant de l'entreprise FACOSA qui produit ce modèle en série, Le Thiers "Rotosphère" doit son nom à un mécanisme d'ouverture et de maintien original en forme de plug anal.

Le nouveau cauchemar des urgentistes en proctologie

Le nouveau cauchemar des urgentistes en proctologie

Prenant le contrepied d'une production quasi-exclusivement composée de modèles à cran forcé, le designer sort des sentiers battus et de sa zone de confort, pour faire le pari d'une esthétique originale qui ne peut laisser personne indifférent.

Car si le couteau ouvert se conforme aux attentes de tout acquéreur d'un modèle "Le Thiers®", son apparence lorsqu'il est fermé casse les codes établis et crée la surprise chez l'observateur.

En le regardant ouvert, on ne s'attend pas forcément à ça...
En le regardant ouvert, on ne s'attend pas forcément à ça...

En le regardant ouvert, on ne s'attend pas forcément à ça...

Il s'agit donc d'une création qui, bien que conforme au standard établi par la "Confrérie du Couteau Le Thiers", se démarque de ses homonymes grâce à son indéniable originalité, tout en restant évidemment 100% réalisée à Thiers.

La lame faite à Thiers

Dotée d'un profil parfaitement calibré, cette lame est immédiatement reconnaissable par l'amateur averti.

Pas de doute, c'est un "Le Thiers®"

Pas de doute, c'est un "Le Thiers®"

Caractéristiques techniques
Longueur 85mm
Longueur de coupe 81mm
Hauteur 16.5mm
Épaisseur 2.8mm
Épaisseur derrière le fil 0.4mm
Angle d'émouture primaire 4.64°
Type d'émouture primaire Plate
Matériau 12C27
Dureté* 57 HRC

(* Données aciériste)

On reconnaît dès le premier coup d'œil la forme effilée caractéristique et le généreux ricasso du modèle "Le Thiers" (dépourvu ici de toute amorce de casse-goutte susceptible d'en faciliter l'affûtage). Un profil qui procure l'impression visuelle d'un outil tranchant, sensation confirmée par son épaisseur contenue et son émouture pleine qui lui procurent un angle de coupe satisfaisant.

Seule originalité (volontaire ou non) introduite par le créateur (ou le processus de création industrielle): cette lame possède une pointe adoucie en comparaison de ses homonymes et un dos qui semble plat à côté du concave très subtil (et peut être même résultant d'une simple illusion d'optique) que l'on croit discerner sur la concurrence.

En comparaison, Le Thiers® de Fontenille Pataud (en bas) donne l'impression d'être plus recourbé.
En comparaison, Le Thiers® de Fontenille Pataud (en bas) donne l'impression d'être plus recourbé.

En comparaison, Le Thiers® de Fontenille Pataud (en bas) donne l'impression d'être plus recourbé.

Côté habillage, FACOSA nous gratifie d'une finition miroir qui demande a priori plus de travail qu'un simple satiné... sauf bien sûr si la lame a été emboutie et non émoulue, ce que pourrait suggérer l'imparfaite planéité de son émouture ainsi que son tarif objectivement surprenant.

Au rayon des indices qui laissent également à penser que cette lame a été emboutie (ce qui n'est pas nécessairement une bonne nouvelle d'un point de vue métallurgique), on peut souligner le fait que les (nombreux) marquages qui la recouvrent ont tous été réalisés en profondeur, et s'accompagnent généralement de dépressions visibles - résultant selon toute vraisemblance de la manière dont elles ont été frappées et non gravées. 

À la lumière, c'est le grand canyon

À la lumière, c'est le grand canyon

Et de logos, cette lame n'en manque pas! Côté droit, il y a déjà l'imposant et obligatoire "Le Thiers®" apposé sur l'émouture, qui en occupe la moitié de la hauteur et le t(h)iers de la longueur. Ce logo "version longue" est complété de la mention règlementaire "par Bruno Sauzzede" qui fait manifestement meilleure impression que "par FACOSA".

A cela viennent s'ajouter les multiples mentions apposées sur le ricasso: "12C27" pour la nuance de métal, décoré du logo "version courte" de la marque, un [T.] stylisé qui se pose là comme une mention légale, et sous titré du sempiternel "France" qui ne serait pas 100% redondant si l'utilisation de la marque "Le Thiers®" n'était pas strictement conditionnée par le fait de produire le couteau au sein de l'hexagone.

C'est le festival du logo!C'est le festival du logo!

C'est le festival du logo!

Et si cela ne suffisait pas, un [T.] supplémentaire vient orner l'axe du pivot et, en retournant le couteau, la mention "BREVET DEPOSE" recouvre le ricasso côté gauche. En d'autres termes, la quantité de marquages sur la surface de ce couteau n'est pas sans évoquer la densité de sponsors au centimètre carré lors d'un départ du 4L trophy.

Là on peut causer!

Là on peut causer!

On est loin de la sobriété d'un Appalachian Drifter, sur lequel il faut chercher l'unique mention de la nuance d'acier à la loupe.

Mais à l'exception de cette débauche graphique, cette lame ne souffre pas de défaut majeur au regard de son tarif. L'acier choisi par FACOSA offre un excellent compromis tarifaire et qualitatif, que sert une géométrie éprouvée. En un mot comme en mille, elle fait le taf sans histoires.

Le manche fait à Thiers

La sobriété est le maître mot pour ce manche fait de deux pièces d'ébène séparées par une entretoise.

Caractéristiques techniques
Longueur 120mm
Hauteur 16.5mm
Épaisseur 17.8mm
Plaquettes Ébène

La sobriété et le classicisme, car on retrouve dans le profil de cet assemblage simpl(ist)e les courbes régulières et subtiles qui définissent "Le Thiers®". Un dessin reconnaissable et efficace qui offre une excellente ergonomie pour un couteau que l'on tient "entre les phalanges" plutôt qu'au creux de la paume. La prise est neutre et tous les doigts trouvent leur place sans difficulté. Le maintient est solide grâce à une épaisseur conséquente, typiquement plus large que la hauteur même du manche.

Ce n'est pas un effet d'optique: le manche est bien plus large que haut.
Ce n'est pas un effet d'optique: le manche est bien plus large que haut.

Ce n'est pas un effet d'optique: le manche est bien plus large que haut.

La seule fantaisie ergonomique proposée par cet exercice de style est liée au système de maintient de la lame sur lequel nous reviendrons en temps voulu. Pour l'heure, on ne peut qu'apprécier les arrondis pratiqués sur les contours de ces deux pièces de bois, et qui ne laissent aucune arête vive susceptible de se révéler inconfortable.

Esthétiquement, l'élégante sobriété d'un ébène à la teinte homogène et sombre est loin d'être déplaisante et se marie avec succès aux lignes épurées de sa lame à la finition miroir. Côté droit, la charnière est ornée du logo [T.] évoqué plus tôt dans cette présentation, et au dos duquel on retrouve une vis à tête plate qui n'est pas sans inspirer une certaine nostalgie. Enfin, l'absence du ressort caractéristique des modèles à cran forcé permet d'évider complètement l'espace entre les plaquettes et de ne laisser à la vue qu'un simple axe servant d'entretoise.

Le couteau refermé, le débat prend une autre tournure car le mécanisme d'ouverture et de maintient de la lame focalise toute l'attention et tend à faire oublier ce manche qui peut en comparaison sembler un peu fade.

L'articulation faite à Thiers

L'intérêt principal de cette interprétation du modèle thiernois, c'est évidemment son plug anal intégré, également baptisé "Rotosphère" par son concepteur, qui procure au couteau un caractère multifonctions des plus plaisants.

Il faut quand même faire très attention à ne pas se tromper de côté lors d'un usage récréatif. Un accident est si vite arrivé!

Il faut quand même faire très attention à ne pas se tromper de côté lors d'un usage récréatif. Un accident est si vite arrivé!

Mariage improbable entre une lentille de couteau piémontais et une boule de Geisha, ce mécanisme se compose d'un appendice parfaitement sphérique de 12 mm de diamètre et à la finition miroir fixé dans le prolongement du dos de la lame, et d'une cavité sphérique d'un diamètre identique creusée dans le dos du manche.

A la manière d'une lentille, l'utilisateur tire la sphère vers l'arrière avec le pouce ou l'index pour faire pivoter et ouvrir la lame d'une seule main, mais au lieu de venir prendre appui sur le dos du manche, celle-ci vient se loger dans la cavité prévue à cet effet et, par frottement contre les parois de cette dernière, maintenir la lame en position ouverte. Comme cette cavité est légèrement concave, c'est à dire que ses bords se resserrent sensiblement à son ouverture, la trajectoire de la lame se solde effectivement par un léger "clic" audible et sensible, qui indique au propriétaire que la détente est en place. Un observateur attentif pourra d'ailleurs remarquer et/ou sentir comme le bois s'écarte subtilement lorsque le diamètre de la sphère repousse les parois de son logement pour s'y engager.

Et on aime ça, quand la boule écarte les parois pour bien s'enfoncer...

Et on aime ça, quand la boule écarte les parois pour bien s'enfoncer...

Très sympathique sur le papier, ce mécanisme original (et breveté, comme ne manque pas de le préciser l'indication sur le ricasso de la lame) souffre pourtant d'un certain nombre de défauts, à commencer par un maintient clairement insuffisant qui ne résiste pas à la moindre opération de tartinage ou à un passage sur le cuir un peu trop enthousiaste. Et comme, contrairement à la lentille piémontaise, le renflement de métal n'affleure pas au dos du manche, la fermeture intempestive de la lame n'est stoppée que tardivement par le contact entre la sphère désengagée et les doigts de l'utilisateur.

Pour contrer ce phénomène, il faut anticiper les situations responsables d'un effort de fermeture et adopter une position spécifique dans laquelle le pouce se place sur le dos du manche et appuie directement sur la sphère pour la maintenir en place. Or une telle position ne se révèle pas idéale dans tous les scénarios, d'autant plus que la sphère elle-même est assez reculée sur le manche. Dans le pire des cas, l'auriculaire se retrouve dépourvu de support sur lequel prendre appui.

Bloquer la sphère avec le pouce lors d'une opération de tartinage laisse le petit doigt orphelin.

Bloquer la sphère avec le pouce lors d'une opération de tartinage laisse le petit doigt orphelin.

Mais les soucis ne s'arrêtent pas là car même en position fermée ce mécanisme se révèle dangereux, et je ne parle pas ici de l'absence pure et simple d'un quelconque frein susceptible d'en empêcher l'ouverture intempestive dans le fond de la poche, même si cette réalité devrait déjà être suffisante à elle seule pour susciter une inquiétude légitime. Je fais plutôt allusion à la conséquence logique de la présence d'une large cavité dans le dos du manche, car lorsque le couteau est refermé, devinez ce qui affleure à l'ouverture de cette cavité?

Kévin, enlève ton doigt de ce trou!

Kévin, enlève ton doigt de ce trou!

Bingo! Le fil de votre lame qui, avec un peu de chance, est dans un parfait état d'affûtage.

Nous avons donc la combinaison gagnante d'une cavité suffisamment large pour que n'importe quel doigt puisse s'y enfoncer au moindre faux geste, et d'un fil potentiellement rasoir (on peut toujours rêver...) qui en barre l'ouverture. Il ne faut pas être ingénieur à la NASA pour deviner ce qui arrivera tôt ou tard. (Les plus patriotiques de mes lecteurs me pardonneront d'avoir cité la NASA en lieu et place de l'agence spatiale européenne: je ne pouvais rater cette occasion unique de flatter mon inestimable lectorat outre-Atlantique.)

En outre, si ce modèle se démarque positivement de ses concurrents par le fait qu'il soit entièrement démontable, s'adonner à cette opération ne fait hélas que confirmer les doutes qui s'installent lorsque l'on manipule sa charnière à la fois raide et pleine de jeu (une association rare de caractéristiques a priori contradictoires). Pas de rondelles et encore moins de roulements à billes pour assouplir le mouvement de cet assemblage primitif: la lame est simplement serrée entre les deux moitiés du manche par une vis à tête plate qui fait également office d'axe de rotation.

Et si jouer sur le serrage de cette vis permet d'ajuster dans une certaine mesure l'intensité du frottement entre le métal et le bois, et de trouver un compromis presque acceptable entre "raideur excessive" et "lame qui se déplie toute seule"; cette opération ne peut être renouvelée de façon trop fréquente car le filetage dans lequel s'insère la susdite vis est réalisé à même le bois...(!) Autrement dit, un serrage excessif ou répété a pour conséquence un foirage irrémédiable et une vis qui tourne dans le vide.

De plus, même une fois la vis ajustée au mieux (ou au moins pire, selon le point de vue) rien ne permet de compenser le fait que le diamètre de la susdite vis soit significativement inférieur à celui du trou pratiqué dans la lame, ce qui permet à cette dernière de se balader autour de son axe comme le fait un cerceau autour de la taille d'un adepte du hula hoop. Du grand art!

Enfin, pour terminer ce tour d'horizon peu flatteur, l'absence de butée de fermeture digne de ce nom condamne la lame à n'arrêter sa course vers le manche que lorsque son fil entre en contact avec l'entretoise de métal située au pommeau. La situation est peut-être moins pire que lorsque l'intégralité du fil heurte le ressort d'un cran forcé sans poncetage, mais cela ne la rend pas moins inacceptable.

Les diverses plaisanteries scabreuses au sujet de la forme du "Rotosphère" ne sont en définitives pas si éloignées de la réalité: avec une telle qualité de conception, l'utilisateur l'a vraiment dans le fion.

Flash news: le Rotosphère existe en différentes tailles!

Flash news: le Rotosphère existe en différentes tailles!

L'étui fait à Thiers

Côte transport, le revendeur chez qui ce modèle a été acquis a fait preuve de la même générosité que ses confrères thiernois: en l'absence de toute modalité intégrée, le couteau est fourni avec un étui sommaire constitué d'une pièce de cuir souple et fin repliée sur elle même et fermée par quelques points de couture.

Pour toute extravagance, une paire de fentes pratiquées dans cet étui forme un passant que l'on pourrait imaginer fixer à sa ceinture s'il n'était pas complètement décentré et réalisé sans la moindre application.

Côté pile: "DUBOST artisans couteliers"; et côté face: un passant de ceinture inutilisable.
Côté pile: "DUBOST artisans couteliers"; et côté face: un passant de ceinture inutilisable.

Côté pile: "DUBOST artisans couteliers"; et côté face: un passant de ceinture inutilisable.

Mais le plus troublant avec cet étui, c'est sans aucun doute le marquage "Maurice & Olivier DUBOST Artisans Couteliers" apposé par les revendeurs de ce modèle, et qui contribue à entretenir la confusion sur son véritable créateur. Or, quand on sait les pratiques auxquelles s'adonnent les Dubost en termes de communication trompeuse, on ne peut que penser que la situation est parfaitement intentionnelle.

A titre d'exemple, sur le site Internet "Coutellerie d'Art Dubost Fils", on trouve sur la page "notre vitrine" un joyeux mélange de créations originales et de modèles empruntés aux catalogues de leurs concurrents, sans la moindre mention de leurs origines respectives. Le modèle "Le Thiers Sphère" y est évidemment répertorié avec la transparence d'une plaque de plomb.

Pire: dans la boutique physique où la personne qui m'a offert ce modèle en a fait l'acquisition, la revendeuse elle-même était persuadée de vendre des créations du duo Viscomtois, au point de fournir avec le couteau (dont la lame est pourtant ornée de la mention "Par Bruno Sauzzede") la carte de visite des "couteliers d'art" Dubost.

Mais l'outrage au bon goût ne s'arrête pas là puisque dans la même boutique, mon aimable donateur a également fait l'acquisition d'un modèle à virole et tire bouchon estampillé "DUBOST" sur la lame ET sur le manche, avec une insistance telle que je n'ai pu m'empêcher de trouver la situation douteuse et de mener mes propres recherches... pour découvrir qu'il s'agissait en réalité d'un modèle de série produit par la société industrielle "André Verdier" sous l'appellation "Coyote"... Mais je m'égare, revenons au sujet.

Le Thiers® Rotosphère ne se transporte en résumé qu'au fond de la poche où son poids très contenu (dû notamment à l'absence de métal sur son manche) et ses contours adoucis ne constituent pas une quelconque source d'inconfort. Socialement acceptable, il s'invite volontiers aux diners mondains où son apparence familière autant que son mécanisme original ne manqueront pas de susciter la curiosité. L'absence de verrouillage et son extrémité modérément pointue terminent d'en faire un compagnon aisément tolérable.

Le rapport qualité/prix fait à Thiers

Chez un revendeur honnête (c'est à dire PAS sur le site Web de la famille DUBOST, ni chez le cordonnier de la galerie marchande du Super U de St-Avé dans le morbihan), on trouve Le Thiers® Rotosphère à partir de 35€. Un prix qui pourrait paraître étonnamment bas si sa qualité de réalisation n'était pas si sommaire.

La nuance 12C27, autrement plus qualitative que les alliages bas de gamme auxquelles la production de masse thiernoise nous a habitués, pourrait justifier ce tarif, mais ce serait sans tenir compte du fait qu'Opinel produit des couteaux à 10€ avec ce même acier.

L'assemblage est rudimentaire, les fournitures minimalistes et la lame n'a probablement pas subie d'émouture en bonne et due forme. L'affûtage était tout juste passable à la réception, en plus de baver visiblement sur le ricasso.

Des petits détails qui feraient grincer des dents sur un couteau plus cher.
Des petits détails qui feraient grincer des dents sur un couteau plus cher.

Des petits détails qui feraient grincer des dents sur un couteau plus cher.

Mais je dois admettre, sur la question de l'affûtage, que je n'ai pas déballé le couteau moi-même: impossible donc de présumer de son vécu entre sa sortie de la chaine de montage et son arrivée entre mes mains.

A la décharge de ce tarif, il reste donc le travail nécessaire pour creuser la cavité sphérique du manche avec une précision suffisante, et la réalisation comme l'assemblage de la sphère à la base de la lame. Deux étapes propres à ce modèle, qui impliquent du temps, des machines et de la main d'œuvre supplémentaire en comparaison d'un deux-clous à friction traditionnel.

Compte tenu de ces éléments, on peut donc considérer le tarif du rotosphère comme tout à fait raisonnable et lui pardonner ses défauts de réalisation tels que l'imparfait centrage de la lame: à moins de 40€, il fallait bien faire des économies quelque part.

La conclusion faite à Thiers

Et bien la voilà: la démonstration que l'on peut faire preuve de créativité lorsqu'on s'attaque à un modèle classique, sans pour autant exploser le portefeuille de l'acheteur.

Certes, le Thiers Rotosphère® ne se pare pas dans cet exercice de matériaux venus de l'espace ni d'une réalisation exempte de reproches, mais il n'en reste pas moins une innovation à sa manière, à contrepied avec une production nationale désespérément conventionnelle au regard de la concurrence internationale acharnée de ce début de millénaire.

Et pour illustrer ce dernier propos, nous ne manquerons pas, pour notre prochaine étape, de franchir les frontières de l'hexagone pour partir à la découverte de ce qui se fait ailleurs dans le monde.

D'ici là, n'hésitez pas à partager un avis tranché et passez une bonne journée.

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