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Escapades coutelières

Voyage autour du monde à la découverte de couteaux d'ici et d'ailleurs

Opinel "n°8": le souvenir

Opinel "n°8": le souvenir
A tous les sens du terme

Salut, ami couteauphile.

Si tu as constaté une subite baisse de régime après ces dernières semaines plutôt actives en matière d'articles, je tiens tout d'abord à te féliciter: tu es vraiment un lecteur assidu! Dans le cas contraire, je ne t'en veux pas: ça arrive aussi aux meilleurs. Quoi qu'il en soit, il est vrai que je me suis permis une courte pause éditoriale pour cause de vacances. Mais je n'ai pas pour autant délaissé ma passion car je suis revenu de mon séjour en Savoie avec un souvenir tout à fait savoyard.

En villégiature à moins de 70kms de Chambéry, il aurait en effet été criminel de ne pas agrémenter ma collection d'un nouvel exemplaire du couteau iconique fabriqué dans cette ville; le couteau français le plus mondialement célèbre (et certainement aussi le plus vendu); j'ai nommé l'Opinel!

Or, si l'exemplaire illustré ci-dessus constitue un agréable mais simple souvenir de vacances; l'Opinel en général incarne à mes yeux, et à ceux de nombreux amateurs, un souvenir bien moins trivial, bien plus intime: celui de l'aïeul qui m'a transmis la passion des couteaux en m'offrant il y a de cela plus de trente ans mon premier canif.

Et si je m'autorise ainsi à parler au nom de "nombreux amateurs", c'est parce qu'il suffit de s'attarder quelques minutes sur les forums dédiés à la coutellerie, dans la traditionnelle section au sein de laquelle les nouveaux membres se présentent, pour tomber encore et encore sur la même phrase: "Mon (grand-)père m'a offert un Opinel à l'âge de XX ans et depuis la passion ne m'a jamais quittée..."

Celui par qui tout a commencé.

Celui par qui tout a commencé.

En d'autres termes, on pourrait aller jusqu'à dire que la marque savoyarde a littéralement initié plusieurs générations à la passion coutelière, ce dont les autres fabricants pourraient presque lui être redevables!

Il faut dire que les couteaux sortis des usines de Chambéry ont de sérieux arguments pour séduire le profane, à commencer par un tarif ridiculement abordable qui les met à la portée de toutes les mains, et qui pourtant n'implique aucun compromis sur la qualité de leur réalisation. Pas étonnant donc qu'ils constituent une passerelle idéale pour permettre à tant de moldus de basculer dans ce monde magique!

Et quel meilleur modèle, pour causer de la marque Opinel, que celui par qui tout a commencé, en 1890 dans un atelier d'Albiez le vieux...

Présentation générale

S'il ne s'est appelé "n°8" qu'à partir de 1897, lorsque Joseph Opinel a eu l'idée de décliner son modèle en douze tailles différentes, il est raisonnable de penser que le tout premier couteau réalisé dès 1890 par ce fils de taillandier dans l'atelier de son père présentait des dimensions proches de celles de ce modèle inchangé depuis plus d'un siècle et devenu depuis une véritable icone populaire.

Mais commençons par le commencement. Loin de moi l'idée de refaire un historique approximatif de la famille Opinel et de ses nombreuses ramifications et marques (la main couronnée, la croix de Savoie, le savoyard, le fer à cheval couronné, croix et palme...): des internautes passionnés se sont adonnés à cet exercice avec bien plus de talent et de connaissances que moi. En outre, ceux que le sujet intéresse on également la chance d'avoir à leur disposition un musée gratuit, situé à Saint-Jean de Maurienne, ville dont est originaire la famille d'entrepreneurs.

Le fait est qu'il ne reste aujourd'hui de cet arbre entrpreno-familial qu'une seule branche: "la main couronnée", dont on peut remonter les origines jusqu'à la création du premier canif de Joseph Opinel, il y a de cela plus de 130 ans. D'abord réalisés dans l'atelier du hameau Albiez-le-vieux, où Daniel Opinel (le père de Joseph) exerce le métier de taillandier, l'entreprise déménage plusieurs fois au cours de son histoire, parfois pour répondre aux besoins de sa croissance, parfois à la suite d'événements imprévus (comme l'incendie de 1926 dans les locaux de Cognin, situé dans les fauxbourgs de Chambéry), pour finalement s'installer à La Revériaz, Chambéry, où se trouve aujourd'hui encore son siège social et son principal site de production.

Là où tout a commencé.

Là où tout a commencé.

Le succès discontinu du couteau savoyard tient autant à son caractère rustique qu'à l'intemporelle efficacité de son design. Le modèle n°8, en l'occurrence, est consacré dès 1985 par le "Victoria and Albert Museum" de Londres comme l'un des cent objets les mieux dessinés au monde, aux côtés de la Porsche 911 et de la montre Rolex. Une reconnaissance renouvelée en 2006 dans l'ouvrage "Phaidon Design Classics", au sein duquel il est classé par un jury d'experts dans la liste des 999 meilleurs designs de l'histoire de l'humanité. Aujourd'hui, on retrouve l'Opinel jusque sur les étagères du "Museum Of Modern Art" de New York.

Cela étant dit, classicisme ne veut pas non plus dire immobilisme et, au fil des années, de nombreuses déclinaisons des couteaux Opinel en général et du n°8 en particulier ont vu le jour: des modèles "effilé", "jardin", "outdoor" ou encore des éditions spéciales "bicentenaire de la révolution" et "An 2000" sont en effet venus compléter, année après année, une offre déjà riche par la diversité des bois proposés pour le manche et le choix entre un acier "carbone" et "inox" pour la lame...

Le n°8 "classique".

Le n°8 "classique".

Le n°8 "effilé", ajouté au catalogue peu après 1986 et l'introduction de l'inox dans la gamme Opinel.

Le n°8 "effilé", ajouté au catalogue peu après 1986 et l'introduction de l'inox dans la gamme Opinel.

Le n°8 "jardin", apparu en 2015 et doté d'une pointe basse plus robuste pour déterrer les racines de pissenlit.

Le n°8 "jardin", apparu en 2015 et doté d'une pointe basse plus robuste pour déterrer les racines de pissenlit.

Le n°8 "outdoor", que je ne possède pas, à cause de son effroyable dentelure.

Le n°8 "outdoor", que je ne possède pas, à cause de son effroyable dentelure.

Le n°8 "bicentenaire de la révolution", dans un triste état malgré mes efforts pour tenter de le restaurer.

Le n°8 "bicentenaire de la révolution", dans un triste état malgré mes efforts pour tenter de le restaurer.

Le n°8 "History 2000", courtoisement pris en photo par mes parents dans le tiroir desquels il gît.

Le n°8 "History 2000", courtoisement pris en photo par mes parents dans le tiroir desquels il gît.

Le n°8 "bouleau laminé", acquis en 2023 lors de vacances en Savoie.

Le n°8 "bouleau laminé", acquis en 2023 lors de vacances en Savoie.

Et ainsi de suite...

C'est donc face à une diversité qui peut sembler inattendue au regard de la continuté du catalogue d'Opinel (les onze modèles de la marque savoyarde, tous dotés du même design et de la même conception mécanique, n'ont en effet que très peu évolué en 130 ans) que l'on fait face lorsque l'on doit choisir son couteau parmi les nombreuses variantes du n°8. L'article du jour, sans avoir la prétention de t'apprendre ce qu'est un Opinel, se penchera plus précisément sur ce qui me plait et me déplait dans le numéro 8 "classique".

Une lame efficace

La lame de l'Opinel coupe fort... Même dans sa version "inox" que les ignares continuent à qualifier de "moins coupante que le carbone".

On a pas fini de tordre le cou à ces idées reçues de merde...

On a pas fini de tordre le cou à ces idées reçues de merde...

Caractéristiques techniques
Longueur 83mm
Longueur de coupe 83mm
Hauteur 17mm
Épaisseur 1.6mm
Épaisseur derrière le fil 0.2mm
Angle d'émouture primaire 2.42°
Type d'émouture primaire Plate
Matériau 12C27
Dureté* 57 HRC

(* Données constructeur)

Il serait incongru de ma part de critiquer la géométrie de cette lame: on ne traverse pas les décennies de la sorte avec un profil inadapté.

Doté de dimensions équilibrées qui lui permettent d'aborder sereinement la plupart des tâches du quotidien, que cela soit dans la maison ou au jardin, son tranchant présente une longue section plate adaptée aux coupes droites et se termine par un arrondi efficace sur la planche à découper comme au fond de l'assiette. Cet arrondi est évidemment le premier à s'émousser en usage alimentaire, d'autant plus si l'on n'a pas la délicatesse de manger dans des assiettes en bois, mais comme nous le verrons dans un instant, son tranchant se restaure avec une grande facilité.

Avec une bonne longueur de tranchant plat, la lame n'a pas trop tendance à s'échapper de la matière.

Avec une bonne longueur de tranchant plat, la lame n'a pas trop tendance à s'échapper de la matière.

Quant au dessin si reconnaissable du dos de cette lame, dont le profil est appelé "Yatagan" par son fabricant (mais qui pourtant ne ressemble pas franchement au profil d'un sabre Yatagan), j'avoue ne pas disposer de la subtilité de jugement nécessaire pour le distinguer d'un traditionnel clip point comme on peut en rencontrer par exemple sur un Appalachian Drifter. Dans les deux cas, le résultat est une pointe acérée à la résistance certes en retrait, mais dotée en contrepartie d'une grande précision.

Quoi qu'il en soit, les plus grandes qualités des lames Opinel sont bien évidemment leur finesse et leur émouture pleine pratiquement dénué de biseau secondaire. Avec moins de 0.2mm de matière derrière de fil, peu de choses résistent au tranchant d'un Opinel, même partiellement émoussé. Et une fois la voie ainsi ouverte, cette lame pénètre dans la matière sans rencontrer de résistance significative. Logiquement moins robuste que ses concurrentes modernes à l'épaisseur superfétatoire, elle n'a pas de rivale lorsqu'il s'agit de trancher sans effort.

Une géométrie de scalpel.

Une géométrie de scalpel.

Pour ce qui concerne l'acier dont elle est constituée, je me permets une énième aparté au sujet du sempiternel débat "carbone vs inox", NON l'acier "inox" ne coupe pas moins bien que l'acier "carbone".

Cette affirmation est d'autant plus fantaisiste que la diversité des nuances "inoxydables" comme celle des aciers "kirouille" rend toute comparaison aussi générique absolument vide de sens. Certains alliages dotés de propriétés inoxydables ne sont certes pas adaptés à la coutellerie, mais leur problème n'est pas tant leur nature inoxydable que le fait qu'il soit impossible de les tremper. Or, un coutelier averti saura éviter ces alliages et proposer à ses clients des aciers "inox" aptes à adopter un tranchant digne de ce nom. En la matière, Opinel ne se moque pas de son monde puisque nous avons le droit à un acier suédois de chez Sandvik que l'on retrouve également sur une quantité significative de productions thiernoises proposées à des tarifs autrement plus élevés.

Sans être haut de gamme, cet alliage est une valeur sûre dont la finesse de grain et la rareté des carbures permet de créer des tranchants véritablement mordants. S'il fallait absolument le comparer avec la nuance "carbone" également proposée par Opinel, il est indéniable que l'inox est sensiblement plus délicat à affûter correctement, eu égard à la dureté plus élevée de ses carbures de chrome (et encore, avec une simple tige de céramique et un cuir enduit de pâte de polissage, c'est rasoir assuré en moins d'une minute); mais le résultat est tout aussi convainquant et sa longévité parallèlement rallongée... Pour autant que l'on puisse parler de "longévité" dans un contexte où les super-aciers modernes au tranchant increvable ont complètement recalibré les attentes des utilisateurs.

C'est peut-être pas romantique mais ça fait clairement le taf!

C'est peut-être pas romantique mais ça fait clairement le taf!

Et puisque nous en sommes à parler de l'affûtage, il n'est pas superflu de signaler que l'extrême finesse de l'émouture des Opinel rend cette opération ridiculement aisée. Et cet avantage géométrique profite en l'occurrence à toutes les versions, qu'elles soient "inox" ou "carbone": la quantité de matière qu'il est nécessaire de retirer pour redessiner ou entretenir un fil est tellement faible qu'à moins d'un gros pet (ce qui n'est hélas pas si rare qu'on pourrait le croire, vu les abus que subissent ces couteaux dont le tarif les rend presque "jetables"), moins d'une dizaine de passages sur la pierre ou la tige céramique sont suffisants pour rendre au couteau son mordant d'origine.

Du point de vue de l'habillage, le côté droit de la lame est orné des mentions "Opinel" et "Inox" complétées par le logo de la main couronnée, seule branche de la famille Opinel à subsister à ce jour, ainsi que de l'onglet d'ouverture caractéristique des couteaux "à l'ancienne".

Des symboles reconnus partout dans le monde.

Des symboles reconnus partout dans le monde.

Mais ce marquage n'a pas été toujours le même au fil des décennies, et l'emplacement du logo de la main couronnée comme le contenu du texte présent sur la lame permettent d'ailleurs de dater avec une relative précision l'année de production d'un Opinel donné.

Le poinçon sert ici non seulement à identifier le fabricant, mais aussi l'intervalle de production.

Le poinçon sert ici non seulement à identifier le fabricant, mais aussi l'intervalle de production.

Côté gauche... rien! La lame est parfaitement vierge.

Ben là au moins, c'est clair.

Ben là au moins, c'est clair.

En définitive, nous avons là un outil aussi agréable à regarder qu'efficace à la tâche.

Un manche salué

Il est vrai que les qualités de la lame du n°8 sont reconnues, mais c'est surtout grâce à l'impeccable ergonomie de son manche que ce modèle a construit sa légende.

"Oh oui, serre moi fort!"

"Oh oui, serre moi fort!"

Caractéristiques techniques
Longueur 110.4mm
Hauteur 28.5mm
Épaisseur 21mm
Matériau Hêtre

Si sa forme n'a pas bougé d'un iota en 130 ans, c'est que Joseph Opinel a visé juste lorsqu'il a dessiné ce manche destiné à toutes les mains et pour tous les corps de métier.

Sa section en tonneau remplit parfaitement la paume et son profil général en forme d'œuf offre une prise en main aussi solide que confortable. Le pommeau évasé empêche également le couteau de s'échapper vers l'avant, sans pour autant malmener l'auriculaire qui s'y appuie. Enfin, sa longueur est suffisante pour accueillir sans compromis tous les doigts, y compris avec des gants légers.

Il y en a un peu plus, je vous le laisse?

Il y en a un peu plus, je vous le laisse?

Sa conception "intégrale" (l'entièreté du manche est taillé dans un unique bloc de bois) à la fois simple et efficace rend ce manche aussi rigide qu'on puisse le souhaiter, tandis que la texture du bois vernis offre un toucher satiné et agréable. Cette poignée constitue donc une véritable référence en la matière.

En outre, de par sa nature et ses matériaux, ce manche constitue un terrain de jeu idéal pour les amateurs des personnalisation! Si la lame de l'Opinel est occasionnellement "customisée" voir même remplacée par de nombreux amateurs bricoleurs, les exemples de manches sculptés sont fréquents et certaines réalisations à couper le souffle, qu'il s'agisse de sculptures réalisées dans le manche d'origine ou de carrelets de bois débités pour l'occasion.

En Bretagne, Ronan Pondaven vend (avec la bénédiction de Maurice Opinel, actuel directeur de l'entreprise) des Opinels personnalisés par ses soins:

Jusqu'à quatre jours de boulot par pièce... et une sacrée dose de talent!

Jusqu'à quatre jours de boulot par pièce... et une sacrée dose de talent!

En Haute-Savoie, Laurent Gerdil s'adonne également à cet art avec un succès indéniable!

A ce stade, on peut bel et bien parler d'art.

A ce stade, on peut bel et bien parler d'art.

Et ce ne sont là que quelques exemples trouvés sur l'Internet.

La large communauté des passionnés d'Opinel compte dans ses rangs de nombreux artistes anonymes ou célèbres, mais non moins talentueux et qui ont su détourner, au fil du temps, le caractère purement utilitaire de ce couteau centenaire en une véritable plate-forme d'expression artistique.

Nous pouvons y voir là l'une des grandes forces de ce couteau, que ses utilisateurs ont appris à transcender pour le faire correspondre à leurs besoins et/ou à leurs goûts. Au point que l'entreprise elle-même ne s'est pas privée de cet exercice, lorsque l'occasion s'est présentée en 1989 à l'occasion du bicentenaire de la révolution:

Cet exemplaire collector (puisqu'il a été produit à "seulement" 17.000 exemplaires) a été retrouvé dans un piteux état, au fond de la remise de mon défunt grand-père, et restauré tant bien que mal par mes soins...

Cet exemplaire collector (puisqu'il a été produit à "seulement" 17.000 exemplaires) a été retrouvé dans un piteux état, au fond de la remise de mon défunt grand-père, et restauré tant bien que mal par mes soins...

Mais même dans sa version "de base", le manche de L'Opinel ne manque pas d'intérêt esthétique et culturel: l'aspect naturel du bois est évidemment pour beaucoup dans son caractère authentique; et le tampon qui en orne le côté droit présente la particularité d'avoir lui aussi évolué avec les années, mais à un rythme différent de celui du marquage de la lame.

Ainsi, la combinaison du tampon et du poinçon permet de cerner avec encore plus de précision la période de production d'un Opinel donné.

Cet exemplaire offert par mon grand-père dans les années 90, le tout premier couteau que j'aie jamais possédé, peut être daté grâce à l'association de son poinçon "inox classique" et du tampon rouge, à une période comprise entre 1990 et 1995

Cet exemplaire offert par mon grand-père dans les années 90, le tout premier couteau que j'aie jamais possédé, peut être daté grâce à l'association de son poinçon "inox classique" et du tampon rouge, à une période comprise entre 1990 et 1995

Bref, tu l'auras compris, ces quelques centimètres de bois racontent une histoire réellement riche, et propre à chacun.

Une articulation... Nope

Beaucoup de choses ont été dites au sujet du "Virobloc" installé dès 1955 sur l'ensemble des modèles à partir du n°6, et modifiée en 2000 pour permettre de verrouiller également la lame en position fermée: "Simple mais efficace", "révolutionnaire" (ce qui était sans doute vrai en 1955...), "infaillible"...

A titre personnel, je le trouve au contraire plutôt naze.

Mais revenons aux origines: avant cela, l'Opinel était un simple couteau à friction, dont la souplesse de la charnière était tributaire de l'intensité des frottements entre les flancs de la lame et le bois du manche; intensité susceptible de varier en fonction de l'état d'humidité ou de sécheresse du bois ainsi que du serrage du rivet qui sert de charnière. L'ajout d'un véritable mécanisme de verrouillage a donc certainement constitué un progrès indéniable au regard du risque d'accident inhérent à une lame susceptible de se fermer de façon inopinée et plutôt imprévisible.

Aujourd'hui encore, il est d'ailleurs possible de constater une grande diversité de comportements entre les différents exemplaires de ma collection. Certains s'ouvrent ou se ferment par simple gravité tandis que d'autres n'acceptent de bouger qu'au prix d'un effort soutenu rendu peu pratique par la faible quantité de matière offerte à la préhension.

Voilà tout ce sur quoi on peut espérer s'accrocher pour ouvrir un exemplaire récalcitrant.

Voilà tout ce sur quoi on peut espérer s'accrocher pour ouvrir un exemplaire récalcitrant.

En outre, un même exemplaire peut passer d'un extrême à l'autre pour peu qu'on l'oublie sur le séchoir de l'évier ou au contraire qu'on le laisse quelques heures au soleil. Personnellement, je ne considère pas cette imprévisibilité comme une qualité...

Si l'ajout d'une virole tournante susceptible de bloquer la lame apporte donc en principe la sécurité nécessaire (surtout si la lame s'ouvre -dans la poche- ou se ferme -sur les doigts- par simple gravité), les modalités de cette réalisation me laissent ne revanche sur ma faim.

Pour commencer, la charnière en général, et le Virobloc en particulier, constituent de véritables accumulateurs de crasse qu'il est pratiquement impossible de nettoyer convenablement sans un démontage en bonne et due forme. Démontage qui nécessite par ailleurs des outils spécifiques tels qu'une pince circlips et un chasse goupille.

Ne prêtez jamais votre Opinel à un ami peu soigneux et susceptible de l'enfoncer dans la bouffe jusqu'à la charnière!

Ne prêtez jamais votre Opinel à un ami peu soigneux et susceptible de l'enfoncer dans la bouffe jusqu'à la charnière!

Que de l'eau, de la terre ou une quelconque matière alimentaire vienne se loger dans la gouttière de la virole tournante, et c'est toute la charnière qui risque de subir les conséquences de l'oxydation qui en résulte, à moins bien sûr de procéder au fastidieux nettoyage de l'ensemble.

Mais le plus ennuyeux avec ce mécanisme, c'est que le Virobloc a tendance à se desserrer à chaque sollicitation pour finalement, si son utilisateur ne prend pas soin de le repositionner régulièrement, laisser échapper la lame sans crier garde. Or, je crois l'avoir déjà écrit dans les pages de ce blog, le faux sentiment de sécurité procuré par un verrouillage non fiable est bien pire que l'absence pure et simple de verrouillage, qui oblige l'utilisateur à agir en conséquence.

À cette insécurité collatérale s'ajoute un facteur ludique absolument nul: l'ouverture à une main d'un Opinel relève de l'acrobatie digitale pure et simple, a fortiori si la charnière est un tant soit peu raide. Dans les cas les plus extrêmes, débloquer du fond de sa gouttière une lame qui y est piégée par la friction nécessite de frapper l'extrémité du pommeau contre une surface dure: un geste baptisé "le coup du savoyard" et que le fabricant lui même recommande face à exemplaire récalcitrant.

Or, marteler le rebord d'une table avec le pommeau d'un manche en bois -au risque de détériorer les deux- ne colle pas à ma définition du ludisme.

Evidemment, ici encore, de nombreux amateurs imaginent toutes sortes de subterfuges: du bain dans l'huile bouillante pour le manche, aux modifications sur la forme de la gouttière, en passant par la greffe pure et simple d'un ergot de pouce sur la lame, de nombreux Opinels "customisés" se déploient d'une simple pichenette...

Mais même une fois l'ouverture agrémentée, pour ne pas dire corrigée, de la sorte; la mise en place du verrouillage (bancal) offert par le Virobloc constitue toujours un geste distinct et délibéré. Une contrainte technique plutôt inhabituelle dans le monde de la coutellerie, si l'on fait abstraction des mécanismes aussi primitifs que la goupille dont j'ai équipé mon tout premier pliant.

Heureusement, ce geste là au moins est possible d'une seule main... Avec bien sûr un bon entrainement et un mécanisme bien huilé!

Heureusement, ce geste là au moins est possible d'une seule main... Avec bien sûr un bon entrainement et un mécanisme bien huilé!

Et comment ne pas évoquer l'imparfaite géométrie de l'alignement manche-lame qui, d'un exemplaire à l'autre, accuse parfois plusieurs degrés de décalage, au gré de l'imparfait positionnement de la virole et du rivet, dont le moindre micromètre de décalage a des effets démultipliés une fois le couteau ouvert?

Enfin, je ne pouvais pas finir ce tour d'horizon peu flatteur sans évoquer l'absence de poncetage ni d'une quelconque butée de fermeture, qui condamne le fil de L'Opinel à venir s'écraser contre le fond de la gouttière à chaque fois que le couteau est replié. Phénomène qui se traduit par une usure inutile et d'autant plus prématurée du tranchant, qu'il est aggravé par la pression qu'exerce le Virobloc sur la lame lorsque celui-ci est positionné pour en empêcher l'ouverture intempestive.

Il n'y a donc pas grand chose pour me séduire dans ce mécanisme qui mérite davantage, à mon sens, d'être qualifié de "primitif" que "d'authentique"

Un port à l'ancienne

S'agissant d'un modèle imaginé en 1890 et n'ayant que très peu évolué depuis, il est tout à fait légitime de ne pas s'attendre à voir un clip de poche décorer le manche d'un Opinel. Le "couteau de papi" se porte donc comme en 1890: au fond de la poche où, grâce à l'amélioration du Virobloc introduite en 2000, il a la délicatesse de ne pas s'ouvrir de façon intempestive.

Celui là, par contre, il m'a piqué les doigts à plus d'une reprise.

Celui là, par contre, il m'a piqué les doigts à plus d'une reprise.

S'agissant du modèle n°8 en particulier, ses dimensions restent raisonnables et ne réquisitionnent pas un espace excessif. De plus, la forme douce, presque "organique", du manche ne constitue pas un danger lors des expéditions vers les replis de tissu inexplorés.

A cela vient s'ajouter un poids ridicule (44 grammes) qui fait de ce couteau le champion toutes catégories indiscutable du rapport [longueur utile/poids]. C'est bien simple, dans l'ensemble de ma collection, les seuls couteaux qui pèsent moins lourd sont soit des modèles miniatures (victorinox 540 nail clip -37g-, Henden Pukko -37g- ou encore le Douk-douk "petit" -37g aussi-...), soit des Opinels plus petits ou appartenant à la gamme "effilé" (27 grammes pour le n°8 effilé).

Dans ces circonstances, il est délicat de se plaindre de la compagnie du couteau savoyard. On ne regrette d'ailleurs même pas l'absence de possibilité de le fixer sur le rebord de la poche où à portée de main, dans la mesure où le couteau lui-même ne se prête de toutes façons pas aux situations d'urgence à cause de ses modalités d'ouverture et de verrouillage.

L'Opinel est donc un couteau que l'on emporte donc avec soi dans l'optique de s'installer posément pour le déplier à deux mains et l'utiliser de façon planifiée.

Enfin s'il y a bien un couteau qui est socialement accepté sur le territoire, c'est l'Opinel que pratiquement chaque français a un jour vu sortir de la poche de son grand-père. C'est bien simple: il provoque même chez les profanes les plus échaudés une réaction qui s'apparente davantage à de la nostalgie qu'à de la peur panique. Aucun problème donc pour en glisser un exemplaire au fond du sac de pique-nique à côté du saucisson qui justifiera aux yeux de la loi un "motif légitime", à moins bien sûr d'avoir l'intention de pique-niquer dans la salle d'embarquement d'un aéroport sécurisé.

Et si au pire un agent zélé venait à le confisquer sur le chemin qui mène de la maison à la nappe à carreaux posée sur l'herbe, l'Opinel est sans doute le couteau que l'on pourrait le mieux qualifier de "remplaçable", pour peu que l'exemplaire égaré n'ait pas de valeur sentimentale particulière.

Un rapport qualité/prix exemplaire

Ce n'est pas un hasard si l'Opinel est à la fois l'un des couteaux les plus vendus au monde, et la recommandation qui est faite à tant d'amateurs en devenir: il est aisé à acquérir tant par sa disponibilité que par son tarif extrêmement abordable, et ses prestations ne déçoivent pas.

Il faut dire qu'à seulement 12€ pour le modèle n°8 (dans sa déclinaison la plus simple en bois de hêtre), il est difficile de ne pas en avoir pour son argent. Évidemment, à ce prix il est possible de trouver des chinoiseries incapables de venir à bout des tâches les plus simples... Mais comme nous l'avons vu, le couteau savoyard est tout sauf une babiole: c'est un outil parfaitement fonctionnel et même plutôt vachement efficace. Il n'est évidemment pas exempt de défaut et son articulation est en l'occurrence loin de remporter mon adhésion, mais il est des imperfections que l'on est prêt à pardonner à un couteau aussi bon marché.

En outre, malgré le coût de l'énergie et des matières premières, la société Opinel ne fait aucune concession sur la qualité de sa production. A tel point que bien des artisans Thiernois sont incrédules à l'évocation du fait que l'entreprise savoyarde utilise le 12C27, eu égard à leurs propres difficultés à produire des pièces accessibles avec cet alliage.

Il résulte de cette politique que le couteau savoyard fait partout autour du globe office de véritable référence lorsqu'il s'agit d'évaluer le rapport qualité/prix d'un couteau, ce dont moi-même je ne me prive d'ailleurs pas (comme cela a par exemple été le cas dans mes articles consacrés au Kiana de Florinox ou au Pro S de Morakniv).

Une conclusion nostalgique

Tu l'auras compris, cher lecteur, l'Opinel me séduit davantage grâce à sa capacité à faire naître en moi la nostalgie que par ses qualités intrinsèques. Cela ne l'empêche évidemment pas d'être un outil parfaitement fonctionnel et efficace en plus d'être absurdement abordable, mais je lui préfère pour l'usage quotidien des alternatives plus modernes, ludiques et pratiques même si cela implique la plupart du temps (mais pas toujours) d'emporter dans ma poche des modèles significativement plus onéreux.

Cela ne m'empêche évidemment pas d'être attaché aux différents Opinels qui peuplent ma collection, notamment (surtout) ceux qui sont associés à une histoire familiale tels que ceux que j'ai reçus de mon grand-père ou celui, rongé jusqu'à la corde et sauvé in-extremis de la poubelle, que ma femme a récupéré dans le tiroir de sa grand-mère le jour de ses obsèques.

Mais je n'éprouve pas pour autant la même fascination que bon nombre de mes pairs amateurs à l'égard de cette marque en général et de ce modèle en particulier. Cela ne lui enlève rien de ses qualités, ce n'est juste pas ma came. Malgré cela, je continue d'acquérir occasionnellement des Opinel, comme à ce retour de vacances en Savoie... Masochisme ou fièvre consumériste? Je te laisse seul juge de la situation.

Ou bien c'était pour le plaisir de ramener des souvenirs assortis.

Ou bien c'était pour le plaisir de ramener des souvenirs assortis.

Quoi qu'il en soit, il était plus que temps que je me fende d'un article sur le bon vieil Opinel, dont l'image constitue ni plus ni moins que l'en-tête de ce blog.

Et puis... une escapade coutelière a-t-elle le moindre sens si l'on ne fait un petit détour du côté de la Savoie?

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