22 Mars 2022
Lundi midi.
Après avoir trouvé un manuel utilisateur en anglais, j'ai enfin découvert comment régler la température de mon four. En navigant dans les autres menus, j'ai également la bonne surprise de constater que l'ensemble des autres réglages sont déjà faits. Ça tombe plutôt bien car je n'aurais de toutes façons eu aucune idée des valeurs à choisir pour les différents paramètres de réglage d'hystérésis et autres dérivées d'intégrales de courbes de températures.
Bon, il ne me reste plus qu'à tout préparer pour ma première trempe.
J'emballe ma lame dans une belle papillote bien étanche avec un petit morceau de sopalin à l'intérieur (pour que ce dernier consume l'oxygène resté dans l'emballage en brûlant et évite ainsi à la lame de décarburer), je remplis une marmite d'huile que je mets à tiédir en attendant que le four monte en température, je prépare mon support de lame en brique réfractaire, une paire de gants, des lunettes de protection et une tenaille pour manipuler ma lame... Il n'y a plus qu'à mettre en chauffe.
Fébrile, je branche le four sur une prise de puissance, le genre qui a été installée pour recharger une voiture électrique. Le disjoncteur qui la protège est annoncé à 20A soit 4.5KW, largement assez pour un four de "seulement" 3KW.
Par contre, d'emblée, je suis impressionné par l'éventualité de me trouver à proximité d'un foyer à 1120°c. Que se passerait-il si cette chaleur venait à "fuir" de son enceinte? Décidément, comme j'ai pu le constater à la forge, le chaud ne me met pas à l'aise. Pour parer à toute éventualité, je déplace mon atelier mobile à l'extérieur du garage (des fois que le merdier prendrait feu). Je surélève le four sur deux parpaings pour protéger son support en bois et procède à l'allumage.
Après avoir réglé la température de consigne, je me plante devant l'écran du contrôleur pour surveiller l'évolution de la température. Ça monte vite. Un peu trop vite à mon goût même!
Incapable de me poser, j'enchaîne les allers-retours entre la cuisine et le garage pour surveiller mon huile qui tiédit et mon four qui chauffe. Comme pour me rassurer, celui-ci ralentit la cadence et ne passe les 1000°c qu'au bout d'une bonne demi-heure. C'est à ce moment précis que son disjoncteur décide de sauter.
"Tiens, sans doute un faux contact." Je ré-enclanche l'interrupteur juste à temps pour que mon four ne repasse pas sous la barre des 990°c, et constate qu'à peine franchi 1000°c à nouveau, le disjoncteur me claque une fois de plus entre les doigts. "Et merde, c'est quoi ce binz?"
J'envisage dans un premier temps de laisser tomber pour aujourd'hui, et profite de cette pause pour envoyer un email au fabriquant afin de l'interroger sur l'ampérage requis par son appareil. Puis, incapable de tenir en place, me plante devant mon tableau électrique à la recherche d'un circuit plus puissant. J'ai bien le 32A des plaques électriques, mais la prise n'est pas vraiment compatible. Il y a aussi le 40A de la Zoé mais là non plus pas moyen de raccorder ça proprement.
A toutes fins utiles, je branche ma rallonge sur un autre 20A, celui qui alimente la buanderie. Le four se rallume et recommence sa montée en température, jusqu'à ce qu'enfin...
OK, donc a priori c'était juste mon disjoncteur qui était merdique... Décidément, l'installateur "agréé Renault" qui a empoché les 700 balles de prime pour me brancher une prise 220V bricomachin sur un circuit 20A défectueux s'est bien foutu de la gueule du monde! Non seulement on n'a jamais pu recharger la bagnole sur son merdier (et j'ai du payer de ma poche l'installation d'une borne digne de ce nom) mais le machin ne supporte même pas un four de 3KW... >:(
Bref, pour m'assurer que ça n'était pas non plus un problème de chauffe des câbles, j'attends un bon quart d'heure voir si ça saute à nouveau. Mais non, ça a l'air de tenir. Il est temps d'enfourner pour de bon.
Vu le timing de l'opération, je n'ai pas le loisir de faire les clichés qu'un lecteur est en droit d'attendre, il va donc falloir faire preuve d'imagination. Ma papillote à bout de tenailles, je chie littéralement dans mon froc tandis que s'ouvre la porte de l'enfer. Le four n'a pas volé son nom "Mini Hell": à l'intérieur, les parois sont incandescentes. Mon support en brique réfractaire brille comme une ampoule halogène (ce qui n'est pas sans poser quelques petits problème pour y placer mon colis). Je remercie le ciel d'avoir pensé à mettre des gants en cuir et je lâche enfin ma lame, juste à temps pour entendre le morceau de sopalin se consumer presque instantanément en émettant un "pop" sonore et en faisant gonfler ma papillote comme un ballon de baudruche.
ALLAHU ACKBAR! C'est trop tard pour faire marche arrière. Je referme derrière moi la porte du four et constate les dégâts: la sonde n'a enregistré une baisse de température que d'une vingtaine de degrés qui sont rattrapés en quelques secondes. Le temps de cuisson recommandé est de 20 minutes "minimum", j'enclenche le chrono.
Au bout de vingt petites minutes qui m'ont paru une éternité tandis que je fixais obstinément le panneau de contrôle de peur de le voir s'éteindre à la suite d'une nouvelle coupure d'alimentation, mon alarme se met à sonner.
Le bac d'huile est prêt. Quinze litres d'une bonne huile de friture des familles, réchauffée à 40° pour ne pas être trop visqueuse, attendent leur acier incandescent. À côté, un seau d'eau me permettra de refroidir les 30 derniers degrés avant de coller ma lame au congélo. Il s'agirait de ne pas faire fondre les légumes surgelés! Les gants sont enfilés, les lunettes de protection en place. Je coupe le thermostat, saisis la tenaille et ouvre la porte du four.
En regardant ma papillote, j'ai l'impression de fixer le soleil. Sa lumière d'un jaune vif me pique les yeux comme un jour d'éclipse. Avec délicatesse, je saisir ma lame au niveau du pommeau. Le temps n'est pas un facteur critique ici: les aciers hautement alliés comme le MagnaCut se trempent quasiment à l'air libre. Je m'assure donc d'avoir une bonne prise avant de tirer sur mon chargement.
Surprise! Le support en brique réfractaire vient avec le paquet qui, gonflé comme un ballon, refuse de s'en dégager. Dans un premier réflexe, j'avance la main pour dégager la lame de son support puis me ravise... 1120°c... NOPE. N'ayant pas de seconde pince à portée de main, je prends la décision de tremper avec le support.
FSCHHHHHHHHH
Sous l'effet du choc thermique, ma papillote se fend et libère le gaz qui y était enfermé. Le support tombe au fond de la marmite d'huile comme une grosse merde tandis que la graisse végétale s'engouffre dans les fissures pour venir brûler au contact de ma lame. L'huile brûlée empeste et une flamme se forme à la surface de la marmite à l'endroit où le pommeau de ma lame dépasse.
Ni une, ni deux, j'enfonce ce qu'il reste d'acier dans le liquide, quitte à poquer le fond du récipient avec la pointe de ma lame et tordre cette dernière. L'effet est instantané: privé d'oxygène, la flamme s'étouffe et l'huile se contente de craquer furieusement avant de rejoindre la surface, trop refroidie pour s'embraser à nouveau.
Au bout d'une dizaine de secondes, les choses semblent se calmer. La température est vraisemblablement retombée largement sous la barre des 200°c vu la faible quantité de métal à tremper. Je choisis donc ce moment pour passer au seau d'eau. Était-ce une mauvaise décision? Je ne saurai le dire. Quoi qu'il en soit, c'est au tour de l'eau de s'engouffrer dans l'enveloppe de métal et de venir crépiter au contact de l'acier. L'huile restée dans la papillote s'en échappe alors et vient contaminer l'eau pour former des yeux à sa surface. Heureusement, les conditions ne sont pas réunies pour que cette dernière s'enflamme.
La situation revenue à la normale, et après avoir vérifié que je pouvais saisir ma lame à mains nues, il est temps d'ouvrir mon paquet surprise pour découvrir ce qui se cache à l'intérieur. Par chance, une nouvelle papillote ne sera pas nécessaire pour le revenu car la température n'y sera pas suffisante pour déclencher un quelconque phénomène de décarburation.
Ma lame est quand même bien noircie. Je crains un instant que cela ne soit de la calamine, avant de réaliser qu'il ne s'agit vraisemblablement que d'huile brûlée, vu comment les choses se sont déroulée. En outre, une légère coloration aux reflets de pétrole est visible sur l'émouture, ce qui pourrait potentiellement être de l'oxydation de surface. Je n'en saurai de toutes façons davantage qu'après l'avoir nettoyée. Le test de la lime n'est pas très concluant. D'une part je ne ressens pas grand chose par manque d'expérience, et d'autre part la couche de graisse brûlée qui recouvre l'acier fausse clairement la lecture. Ce sera pour plus tard.
Dans l'immédiat, l'heure n'est de toutes façons pas à la contemplation ni aux tergiversations. Un dernier passage sous l'eau froide du robinet et ma lame file dans le congélateur pour une "soft cryo" en attendant que mon four ne soit prêt pour le revenu.
Je laisse le susdit four grand ouvert pour qu'il refroidisse et m'en retourne à mes activités salariées. Il est un peu plus de 14h.
18h.
Les gamins sont rentrés de l'école, les devoirs sont faits, j'ai éteint l'ordi pour vaquer à mes occupations extra-professionnelles. Un rapide coup d'œil dans le garage pour voir si je peux lancer un revenu...
NOPE, le four est encore largement au dessus des 300°c.
20h.
Le four vient juste de repasser de façon durable sous la barre des 170°c. Et par "durable", j'entends par là qu'il ne remonte pas à 210°c dès que j'en referme la porte. L'inertie thermique de ce tout petit foyer est vraiment impressionnante!
Le support de lame est rincé tant bien que mal en dépit de l'épaisse couche d'huile brûlée dont il est recouvert (et qui ne manquera pas d'aller décorer le sol du four). Je l'installe dans ce qui n'est à présent pas plus chaud qu'une fournée de cookies, puis y place ma lame nue avant de régler le chrono sur 2h.
22h.
Mon premier revenu est terminé. Je sors la lame pour la laisser refroidir à l'air libre, mais ne touche pas au thermostat pour autant. En effet, dès que l'acier sera revenu à température ambiante, ce qui ne prendra qu'une dizaine de minutes, il repartira pour une seconde fournée de 2h.
Mardi, 0h du matin.
Mon réveil sonne, mais de toutes façons je ne dormais pas. Il est temps de sortir une dernière fois ma lame du four et de mettre un terme à mon tout premier cycle de traitement thermique. Il est objectivement trop tard pour juger de quoi que ce soit, je remets donc les analyses à un moment ultérieur.
La suite au prochain épisode.