MCusta "MC-145G": la beauté orientale

28/10/2021 14:40

Introduction (où l'on... enfin voilà quoi)

Cher lecteur, bienvenue dans cette seconde étape du looooooong voyage qui nous mènera à faire le tour du monde des couteaux. Davantage que les spécialités régionales (le "breton", le "piémontais", le "basque", "l'aveyronnais", le "corse"...) qui, avouons-le, se ressemblent un peu toutes d'un point de vue purement mécanique, mon intérêt pour le monde de la coutellerie se nourrit en effet des diverses interprétations de cet outil millénaire que l'on peut rencontrer tout autour du monde.

Pour l'étape du jour, nous partons donc au Japon, pays des lames par excellence, où toute une industrie dut se reconvertir lorsque le port du sabre (katana) fut interdit en 1876 par un arrêté intitulé Haitōrei, conçu pour renforcer la sécurité publique (et aussi un peu pour castrer les samouraïs) dans un contexte politique tumultueux au sortir de la révolution de Meiji. Des siècles de savoir-faire forgeron furent alors entièrement réalloués à la production de lames de petite taille destinées à l'usage domestique: la coutellerie Japonaise était née.

Aujourd'hui encore, ce savoir faire est reconnu et apprécié partout autour du monde. Il n'est pas un cuisinier chevronné qui ne vante les mérites de son couteau de cuisine japonais, dont certains exemplaires sont capables de prouesses qui alimentent quotidiennement les chaînes YouTube de vidéastes passionnés.

Mais le Japon produit aussi de nombreux couteaux de poche dont l'iconique Higonokami, version orientale de notre bon vieux Douk-Douk franchouillard, ainsi que toute une gamme de couteaux plus modernes capables d'embrasser les progrès technologiques du troisième millénaire sans pour autant renier leur charme traditionnel. C'est sur l'une de ces créations à cheval entre deux époques que nous allons nous arrêter aujourd'hui.

Présentation générale

Le couteau du jour nous est proposé par MCusta, une marque japonaise dont le nom se prononce "Em-Custa", anglicisme maladroit typiquement nippon et signifiant "Machine Custom". L'ambition affiché par ce fabricant est donc de réaliser à l'aide de techniques de production industrielles (Machine) des pièces égalant la qualité du sur-mesure (Custom).

Implanté à Seki, capitale nippone de la coutellerie, l'entreprise ne brille en tout cas pas grâce au romantisme qu'inspire le nom donné à ses créations: MC-145G, MC-191C... autant de blazes que l'on s'attend plutôt à trouver étiquetés sur les chemises d'une bande de droïds venus d'une galaxie lointaine, très lointaine, pour passer la soirée à une réunion des alcooliques anonymes.

Mais en s'intéressant à la substance qui se cache derrière le patronyme, on découvre une création d'une grande finesse et d'une élégance certaine, dont les nombreux atouts méritent qu'on s'y arrête. Réalisée avec des matériaux de qualité et ayant fait l'objet d'un soin manifeste, on sent tout de suite qu'on a à faire à un truc qui claque sa mère.

Le côté pointu

Le premier détail qui retient l'attention à la vue de ce couteau, c'est moins son aspect particulièrement tranchant que l'extrême acuité de sa pointe.

Caractéristiques techniques
Longueur	72mm
Longueur de coupe	66mm
Hauteur	18mm
Epaisseur	3mm
Épaisseur derrière le fil	0.6mm
Angle d'émouture primaire	4.57°
Type d'émouture primaire	Plate
Matériau	Acier laminé, âme SPG2
Dureté*	61 HRC

(* données constructeur)

Cette lame d'une grande finesse inspire, en dépit de ses dimensions réduites, un respect indéniable. Ses lignes tendues, presque agressives, se terminent par une pointe qui semble pouvoir percer tout ce que l'on se hasarderait à placer sur sa route.

Vu la faible quantité de matière qui reste au bout de cette lame, il n'est certainement pas recommandé de s'en servir comme tournevis ou pour démonter un pneu (bien qu'il ne fasse aucun doute que cela vienne un jour à l'idée de quelque esprit malade). L'aspect globalement délicat de cette lame incite au contraire à lui déléguer des travaux de précision où son tranchant redoutable et son profil polyvalent feront des merveilles.

Elle bénéficie en effet d'une émouture pleine qui, associée à l'épaisseur raisonnable de son dos, forme un angle de coupe agréablement étroit rendant sa progression dans la matière aisée. On peut donc dire de cette lame qu'elle est très tranchante ET qu'elle coupe bien; ce qui, si vous avez lu la page consacrée aux émoutures, ne coule pas nécessairement de source.

Si cette lame peut couper un cheveu dans le sens de la longueur, c'est aussi en partie grâce à l'acier SPG2 qui la compose (et dont vous trouverez une description plus détaillée ici). En plus d'être très qualitatif, cet acier présente la particularité -comme c'est le cas sur ce modèle- d'être souvent travaillé par les japonais sous forme laminée. En d'autres termes, la fine couche de cet alliage très dur (mais parfois cassant) qui constitue l'âme et le tranchant de ce couteau est prise en sandwich entre deux feuilles d'un acier plus souple et résistant, qui confère à l'ensemble ainsi formé une meilleure tenue aux chocs, à la torsion, et aussi à la corrosion. Bien que technique à mettre en œuvre, cette méthode permet réellement de tirer le meilleur de chaque alliage.

Cerise sur le gâteau, les aciers ainsi entremêlés n'ayant typiquement pas la même teinte, l'émouture de cette lame arbore des nuances subtiles à l'esthétisme certain, tandis que le métal superficiel dévoile progressivement le trésor qu'il recouvre:

Nan, ya pas à dire: ça claque bien quand même.

Les amateurs y verront peut-être une version au rabais du feuilletage caractéristique des acier damas, mais ses propriétés mécaniques sont fondamentalement différentes, et je trouve par ailleurs cette approche plus épurée, moins "bling-bling" et au final doté d'une élégance simple qui n'est pas sans rappeler les motifs que l'on peut observer sur la lame de certains katanas.

Pour finaliser le tout, et de façon prévisible pour une fabrication de ce niveau de qualité, la base du fil est habillée d'un casse-goutte destiné à en faciliter l'affûtage. Une petite attention très appréciable de la part du designer.

Le côté pas pointu

Face à ce joyau d'acier, le manche ne dépareille pas. Sculpté comme un bambou, il se révèle aussi ergonomique qu'agréable à regarder.

Caractéristiques techniques
Longueur	96mm
Hauteur	20mm
Epaisseur	11.5mm
Platines	Acier inoxydable
Plaquettes	Bois de fer
Mitres	Acier damax inoxydable

De dimensions modestes, parfaitement en harmonie avec son antagoniste métallique, ce manche classe indéniablement le MC-145G parmi les "petits couteaux", sans pour autant le faire basculer dans la dangereuse catégorie des "minis". Il permet donc à trois doigts et demi de trouver d'autant plus naturellement leur place que les sections qui le composent, manifestement inspirées de la tige de bambou, procurent un repère haptique (encore un mot savant pour dire "que l'on sent au toucher") des plus plaisants. Ce parti pris ergonomique est par ailleurs suffisamment discret pour ne pas devenir une gêne lorsque la situation exige de déplacer ses doigts.

Plus agréable tenue entre les phalanges que maladroitement serrée au creux de la paume, cette poignée n'a pas été conçue pour les travaux de force. Mais ce n'est de toutes façons pas ce qu'on attend de ce couteau lorsqu'on en voit la lame. Les qualités de ce manche sont donc avant tout esthétiques et à ce titre, il mérite tout autant que cette dernière que l'on prenne le soin de l'admirer:

Le mariage réussi du fer et du bois.

De haut en bas, nous commençons par les mitres, ces plaques de métal qui habillent la charnière. Elles sont ici recouvertes d'une fine couche d'acier damas inoxydable à 16 couches. C'est moins de couches que n'en possède un Kouign-Aman, mais plus que n'en tient Dédé à la sortie du bistrot. Bref, un chiffre idéal. Sans créer de surcharge visuelle, le feuilletage qui en résulte habille avec justesse cette zone de transition entre la froideur métallique de la lame et la chaleur boisée du manche.

Puis viennent les plaquettes, qui recouvrent des platines possédant la particularité d'avoir été doublées du côté du système de verrouillage. Ces plaquettes sont en bois d'Olneya Tesota, une essence endémique de l'Arizona que l'on appelle aussi "bois de fer" en raison de sa densité élevée qui en fait l'un des rares bois à ne pas flotter et sans doute aussi l'un des plus difficiles à travailler. Utilisé en coutellerie, il fait un matériau à la fois durable et chaleureux au toucher comme au regard.

Cette combinaison de mitres en acier, de plaquettes en bois de fer et d'un total de trois platines procure à ce manche une densité inattendue qui n'est pas pour autant déplaisante tant elle inspire un sentiment de robustesse et de qualité, tout en restant suffisamment contenue pour ne pas devenir handicapante.

Les finitions sont impeccables, les rainures suffisamment imparfaites pour trahir un travail fait à la main mais avec l'amour de son métier. Le souci du détail va jusque dans le clip de poche à la finition martelée qui ajoute une petite touche "vintage" à un ensemble déjà clairement ancré dans la tradition.

Un clip pareil, si c'est pas marteau!

Le truc qui se plie

Pas de roulements à billes venus de l'espace ni d'innovation technologique dans cette charnière simple mais fonctionnelle. La vis qui retient l'axe sur lequel pivote la lame se pare même d'un embout à tête plate, qui se pose là telle une réminiscence du siècle passé, à une époque où le torx est devenu la norme et les embouts propriétaires une maladie courante. On aurait toutefois apprécié que l'axe soit bloqué en rotation d'une manière ou d'une autre car en l'état, la vis entraîne l'axe avec elle au moindre effort et le démontage du couteau relève de la gageure.

L'ouverture de la lame se fait à l'aide des ergots situés de part et d'autre de cette dernière et qui viennent en contact avec le bord des platines pour servir également de butée d'ouverture:

Ce sont bien les ergots d'ouverture qui prennent appui sur la mitre.

Le talon de la lame ne touche donc ni l'axe de butée ni le dos du manche, ce qui lui évite des chocs inutiles en cas d'ouverture énergique. Cet axe est toutefois bien présent et sert lors de la fermeture du couteau, durant laquelle il empêche à bon escient le fil d'aller se crouter la face contre le fond de la gouttière. Toutes les victimes du phénomène Laguiole que l'on a conditionné à "accompagner la lame jusqu'au bout pour ne pas qu'elle claque" peuvent se détendre: un couteau bien conçu ne laisse pas la lame toucher le fond de sa gouttière, a fortiori lorsque celle-ci est métallique.

En raison de la simplicité de cette charnière, son mouvement n'est pas d'une fluidité irréprochable et la lame doit être accompagnée d'un bout à l'autre de sa course. Il est certes possible de lui donner une bonne pichenette avec le dessus du pouce dans l'espoir de la voir sauter jusqu'à sa position de verrouillage, mais cette opération est sans garantie de réussite à tous les coups.

Une fois le couteau ouvert, le Liner Lock fait son travail et assure un solide verrouillage. On ne manquera toutefois pas de remarquer que le ressort de ce dernier est découpé, pour des raisons qui échappent à mon entendement, dans une platine superposée à une autre platine, ce qui porte le nombre total de ces lamelles métalliques à trois:

Là par contre, j'avoue que ça me dépasse.

Il en résulte un couteau plus lourd que nécessaire et très légèrement asymétrique. Pas suffisamment pour que ça saute aux yeux, mais assez pour que le simple fait de le savoir puisse s'avérer contrariant.

Et hop, c'est dans la poche

En dépit de ce que j'ai pu écrire sur le poids inattendu de ce couteau, il n'en reste pas moins parfaitement acceptable sur le rebord de la poche. Ses formes douces et sa taille contenue laissent libre accès au fond de cette caverne dont il garde l'entrée, sagement accroché à la couture grâce à son clip ambidextre.

Si le concepts de "clip ambidextre", "pointe en haut" et "clip profond" ne vous sont pas familiers, je vous encourage à jeter un œil à ce court article dédié aux clips de poche.

Sur ce modèle particulier, le clip est fixé sur l'extrémité même du pommeau, ce qui le rend à la fois "ambidextre", "pointe en haut" et aussi "profond" qu'un clip puisse l'être. Le couteau disparaît donc complètement dans la poche.

Et hop, caché.

Cette combinaison de caractéristiques constitue la formule idéale pour ce qui concerne mes goûts personnels.

Et pour finir ce tour d'horizon des qualités nomades de cet outil de poche, nous nous devons de nous intéresser au facteur d'acceptabilité sociale: sa forme effilée et ses lignes tendues ne manqueront pas de susciter la méfiance chez les plus craintifs des observateurs, mais la taille modeste de ce couteau ainsi que la beauté des lignes et des matériaux qui le constituent le classent plus volontiers dans la catégorie des bijoux de poche que des armes de serial killer. Aussi, s'il ne sera jamais le bienvenu au contrôle de sécurité du parc DisneyLand, on peut sans difficulté s'imaginer en train d'exhiber cette pièce de collection au cours d'une soirée mondaine.

Et maintenant Maryse, pouvez-vous me donner le prix de ce très beau zobjet?

Avant de dévoiler l'objet du crime, gardons à l'esprit qu'il s'agit là d'une pièce de collection avant tout, réalisée dans des matériaux nobles et selon un procédé partiellement artisanal. Gardons également à l'esprit le fait que je l'ai reçu en cadeau à l'occasion d'un événement important, et que son prix exact n'a en définitive d'incidence que sur la perception que j'ai de l'affection que me porte celle qui me l'a offert.

330€ au prix catalogue, et entre 250€ et 300€ selon les promotions, voilà le prix qu'il faudra débourser pour acquérir ce bijou dont la délicatesse incite davantage à le conserver précieusement derrière une vitrine plutôt que de le laisser négligemment trainer sur le plan de travail de l'atelier.

A ce tarif, il n'est donc pas question d'acheter un couteau à des fins purement pratiques, mais d'ajouter une pièce d'exception à la collection d'un amateur éclairé. La somme qu'il est raisonnable de dépenser dans ce type de situation ne dépend donc que des moyens de l'acheteur et de la limite psychologique qu'il s'est fixé. Il est toutefois difficile d'argumenter qu'une réalisation de cette qualité ne puisse pas justifier son tarif.

Conclusion, pour conclure à la fin

Avec le MC-145G, la marque japonaise propose un objet de convoitise avant tout. Doté de qualité évidentes qui en font un outil parfaitement fonctionnel, il est pourtant difficile de se projeter avec lui au cœur de la forêt primaire ou aux frontières du désert. Son esthétisme et sa délicatesse le prédisposent plutôt à recevoir les attentions feutrées d'un collectionneur soigneux.

La prochaine fois, nous continuerons notre route vers l'ouest en direction du val della torre. Nous y découvrirons un nouveau zobjet sortant lui aussi de l'ordinaire à sa propre manière. D'ici là, passez une bonne journée et n'oubliez pas de sortir avec votre (bip) et votre couteau!