10 Mars 2023
Salut, ami lecteur,
Permets-moi de commencer cet article atypique en dissipant un malentendu: contrairement à ce que pourrait laisser penser son titre, mon objectif aujourd'hui n'est pas de disserter sur l'utilisation du couteau en situation de survie, mais de causer de survie en situation d'utilisation d'un couteau.
Je n'aborderai donc pas des sujets aussi importants que l'abattage de forets au couteau de camp, ou encore l'érection d'un bastion fortifié et l'assemblage d'armes de siège au couteau suisse. Au lieu de cela, je m'exercerai à disserter sur les bonnes pratiques susceptibles de limiter les risques d'accident pour tout propriétaire de couteau ordinaire.
Que tu sois novice ou expert, que tu lises cet article pour le plaisir ou pour y glaner quelque conseil utile susceptible d'être transmis à un proche nouvellement initié au plaisir de la coutellerie, je m'efforcerai de partager avec toi tous les "trucs" que j'ai appris (souvent à mes dépends) au contact de cet objet qui m'accompagne au quotidien.
Mais sans plus attendre...
Tu me retires les mots de la bouche: la toute première recommandation en présence d'un couteau, c'est de le garder fermé autant que faire se peut... Ou rengainé s'il s'agit d'une lame fixe équipée d'un étui.
Le risque zéro n'existe pas, mais il faut quand même être balaise pour se blesser sérieusement avec des couteaux dans cette configuration là.
On ne laisse JAMAIS traîner un couteau ouvert ou sans étui. Et si le couteau ne possède pas d'étui, comme c'est par exemple le cas pour la plupart des couteaux de cuisine, on ne le laisse JAMAIS traîner tout court. Le risque d'accident est bien trop grand pour qu'une quelconque excuse soit valable.
"- Oui, mais je n'en ai que pour quelques minutes..."
"- De ce côté du plan de travail, personne ne risque de tomber dessus..."
Et au risque de passer pour un extrémiste (après tout, mieux vaut un excès de prudence que l'inverse), je me permettrai d'insister sur le fait que ce conseil est tout aussi valable pour un couteau en cours d'utilisation: je ne compte plus le nombre de fois où, débitant mes cartons sur le parking de la déchetterie, je me suis piqué le doigt en voulant faire l'économie d'un repliage-dépliage de lame entre deux coupes, gardant le couteau ouvert à la main tandis que je m'efforçais d'empiler les lamelles fraichement découpées.
Chacun est juge du caractère superflu de cette pratique mais, à titre personnel, j'encourage fortement quiconque à replier son couteau pliant à la seconde où ses mains sont requises pour une autre tâche (empilage de cartons fraichement débités, pose d'une bouture sur une tige tout juste écorchée, confection d'un nœud sur une corde qui vient d'être coupée...) même -surtout- si le susdit couteau reste dans la main en vue d'un usage imminent.
C'est en tout cas la principale raison pour laquelle j'ai une affection toute particulière pour les mécanismes d'ouverture et de verrouillage faciles et rapides à manipuler. Les Crossbar Locks, en l'occurrence, excellent dans cet exercice et il est très facile, avec un couteau qui en est équipé, d'apprivoiser la routine "dépliage, coupe, repliage" et même d'y prendre un certain plaisir.
Pour les fixes, la routine équivalente "dégainage, coupe, rengainage" est plus laborieuse et un rangement systématique dans l'étui peut sembler inutilement chronophage, aussi je me contente (lorsque je sais une utilisation future imminente) de le poser simplement à portée de main pour les quelques secondes où il ne me sera pas utile.
Dans les deux cas, la règle d'or est: lorsque l'on tient en main un couteau prêt à servir, on ne doit rien faire d'autre que s'en servir.
L'idée de faire ses lacets tout en tenant un couteau ouvert semble saugrenue, mais illustre hélas beaucoup de situations involontaires.
Évidemment, en usage alimentaire ou culinaire, le seuil de tolérance est beaucoup plus élevé: il n'est pas question de remiser son couteau de chef au fond du tiroir entre chaque oignon, tout comme on n'attend pas d'un convive qu'il range son couteau de table entre deux tranches de côte de bœuf. Il va toutefois sans dire qu'aussitôt son office accompli, un couteau de cuisine/de table n'a sa place que dans le rangement qui lui est réservé.
Au risque de me confondre dans l'évidence, il me semble opportun de préciser qu'un couteau est UNIQUEMENT conçu pour couper. Je n'ai pas dit "principalement", mais bel et bien "uniquement".
A moins d'être doté d'accessoires spécifiquement destinés à cet effet, un couteau n'a pas pour vocation de se substituer à un tournevis, un pied de biche, un marteau ou une cuillère, et il est parfaitement légitime de manifester sa désapprobation quand un proche vous demande:
"T'aurais pas un tournevis... ou un petit couteau pointu?"
Toute utilisation ainsi détournée d'un couteau aboutit tôt ou tard à la détérioration du susdit couteau dans le meilleur des cas, la détérioration de son utilisateur dans le pire des cas.
Alors pour éviter les regrets évitables, traitons les couteaux avec respect et ne leur faisons pas porter des responsabilités pour lesquelles ils n'ont pas été conçus.
Question à mille points: comment rattrape-t-on un couteau ouvert/dégainé qui tombe à terre?
Réponse: on ne le rattrape pas.
Cela peut sembler incroyablement frustrant de contempler passivement la chute d'une lame de collection sur le carrelage, d'anticiper les dégâts irréversibles qu'elle subira potentiellement au contact de l'impitoyable revêtement... Mais c'est toujours moins frustrant que de perdre un doigt ou un orteil dans une tentative réussie d'en intercepter la trajectoire avec une partie de son corps.
Un proverbe anglo-saxon plein de bon sens dit "couteau qui tombe n'a pas de manche". Les chances de saisir au vol une lame tout en évitant son tranchant sont en effet suffisamment faibles pour que le jeu n'en vaille pas la chandelle.
Et quand bien même tu serais du genre [joueur invétéré/adepte de la roulette russe], alors pourquoi ne pas parier tout simplement sur le fait que le couteau tombera sur son pommeau ou sur son flanc, et ne subira aucun dommage, au lieu de mettre en gage une partie de son corps?
Sincèrement, plutôt que de tenter une reprise de volée avec le couteau de chef qui glisse du plan de travail, la meilleure chose à faire est au contraire d'abandonner le projectile improvisé à son triste sort et de bondir hors de sa portée.
Maintenant que le couteau est correctement sécurisé entre deux usages, intéressons-nous à l'art et la manière de minimiser le risque d'accident lors de son utilisation proprement dite.
Une bonne règle générale lorsque l'on utilise un couteau est de toujours veiller à en orienter le tranchant "vers l'extérieur" et à privilégier les gestes qui éloignent le couteau du corps. Ainsi, si le couteau venait à glisser accidentellement, il ne risquerait pas de trouver sur sa route un bras, une main, un doigt ou n'importe quel autre bout de viande innocent.
Certains types de coupe, toutefois, sont incompatibles avec cette directive. L'exemple le plus représentatif de cet état de fait est l'épluchage: un geste qui requiert une précision que l'on obtient facilement en poussant la matière vers le tranchant à l'aide du pouce.
Un geste très courant et pratiquement indispensable dans l'éventail de compétences à disposition d'un utilisateur de couteau.
Dans ce type de situation, il incombe à l'utilisateur de parfaitement maîtriser son geste afin que la lame évite un contact accidentel avec le pouce et qu'un éventuel contact intentionnel se fasse avec suffisamment peu de pression pour ne pas compromettre l'intégrité de la peau.
Un tel degré de maîtrise implique d'une part un minimum d'entraînement, et d'autre part un outil au comportement parfaitement prévisible.
Quel que soit le type de coupe, l'un des aspects qui permet de garantir la sécurité de l'utilisateur d'un couteau, c'est de se concentrer à n'utiliser que l'énergie minimale pour arriver à ses fins.
En effet, déployer une force excessive, c'est prendre le risque de perdre le contrôle de son geste et de voir la lame déraper et/ou partir plus loin que prévu, y compris en direction d'un être vivant. Car contrairement aux machines mues par des mécanismes parfaitement calibrés, la puissance musculaire de l'humain perd en maîtrise à mesure qu'elle gagne en intensité.
Être conscient de cet état de fait et s'appliquer à ne jamais forcer inutilement sur le manche de son couteau est une première étape, mais elle n'est pas suffisante...
...le moyen le plus sûr de limiter l'effort nécessaire pour arriver à ses fins, c'est de toujours garder son outil parfaitement affûté.
Certes, un couteau dont le tranchant est "rasoir" infligera inévitablement quelques coupures superficielles à son utilisateur maladroit, mais en déduire qu'un couteau affûté est plus dangereux qu'une lame émoussée, c'est se focaliser sur la bobologie au détriment du véritable danger.
Premièrement, comme nous venons de le voir, un couteau émoussé requiert de son utilisateur qu'il déploie une force plus importante pour arriver à ses fins ce qui, en retour, augmente considérablement le risque de perte de contrôle et donc d'accident.
Deuxièmement, lorsqu'accident il y a, un couteau émoussé sera à l'origine d'une blessure à la fois plus profonde (de par l'effort supplémentaire déployé pour l'utiliser) et moins nette (en raison de l'état du tranchant qui déchire les tissus plus qu'il ne les coupe). Une telle blessure est à la fois plus douloureuse, plus dangereuse et plus longue à cicatriser.
Dans l'immense majorité des cas, et sauf utilisation inconsidérée, la coupure superficielle infligée au cuisiner expérimenté par un santoku parfaitement entretenu mais manié avec un peu trop de hâte guérira en quelques jours. En revanche, l'entaille profonde infligée à l'amateur par son couteau de chef émoussé mettra plusieurs semaines à guérir... en admettant qu'aucune chirurgie ne soit requise pour réparer un tendon ou un nerf sectionné dans l'opération.
Tordons le cou aux idées reçu: un bon entretien ne rend aucun couteau "plus dangereux", au contraire!
Le couteau a été utilisé sans encombres, tout le monde est sain et sauf? Super! Il est temps à présent de le remettre en sécurité sur le rebord de la poche... Et soudain.., C'est le drame! Tout amateur de couteau a un jour vécu ou entendu parler d'une telle situation: un couteau de poche qui s'est retourné contre son utilisateur alors que celui-ci le repliait pour le rendre inoffensif.
Certains de nos compagnons n'apprécient pas d'être muselés!
Les coupables sont pluriels mais la plupart du temps entre en jeu un mécanisme de verrouillage mal conçu et/ou mal entretenu.
En premier lieu dans ma ligne de mire: différents modèles de Liner Lock et/ou Frame Lock à la charnière particulièrement souple et dont rien n'arrête le mouvement de la lame. Celle-ci, libérée de toute contrainte, va parfois se précipiter, sous l'effet de la gravité, sur le doigt que la nécessité a placé sur sa course.
Heureusement, bon nombre de couteaux munis de tels mécanismes disposent d'un moyen d'éviter l'accident, comme c'est pas exemple le cas des modèles à ouverture par flipper, chez qui le tenon métallique situé à la base de la lame vient appuyer sur le dessus du pouce avant qu'il ne soit trop tard:
Mais ces mécanismes ne sont pas les seuls à exiger qu'un ou plusieurs doigts viennent ainsi se placer sur la trajectoire d'une lame déverrouillée: même le sacro-saint Virobloc d'Opinel présente cette particularité pour le moins contrariante à mes yeux.
En outre, un accident peut se produire même en présence d'un mécanisme supposément manipulable sans risque, pour peu que son utilisateur ne sache pas comment s'y prendre, ou que son bon fonctionnement soit entravé par un quelconque dysfonctionnement mécanique susceptible de prendre l'humain au dépourvu.
C'est pourquoi il est primordial de s'entrainer à manipuler en toute sécurité le mécanisme de verrouillage de son couteau d'une part (exercice qui, heureusement, se révèle ludique avec la plupart des mécanismes modernes), et de maintenir celui-ci dans un parfait état de propreté et de fonctionnement d'autre part.
Ça y est, tu es officiellement reconnu par ton entourage comme un amateur éclairé d'articles de coutellerie et la notoriété de tes talents d'affûteur a dépassé la frontière de ton salon.
À ce stade, une chose finira inévitablement par se produire: quelqu'un sollicitera tôt ou tard le couteau qu'il sait à portée de ta main:
"Eh, toi qui a toujours un couteau qui coupe dans la poche..."
Dans une situation aussi critique, plusieurs réactions sont possibles.
Au risque de passer pour un mufle, il est tout à fait légitime de refuser de prêter son couteau, prétextant quelque raison indépendante de sa propre volonté.
Il existe une multitude de bonnes raisons de ne pas souhaiter confier son précieux couteau à un profane: de nombreux moldus ne sont en effet pas sensibilisés aux bonnes pratiques et risquent de se blesser avec une lame parfaitement affûtée ou, PIRE, de salir ou d'abimer le précieux couteau.
De nombreuses anecdotes à glacer le sang, allant de la charnière remplie de résidus alimentaires au tranchant saccagé contre le fond d'une assiette, en passant par la réalisation d'un satiné artisanal à l'éponge "gratounette" sur des flancs autrefois polis miroir, justifient de ne pas confier son précieux à n'importe qui.
Si tu sais ton interlocuteur soigneux (ou que tu ne résistes pas à l'envie d'exhiber ton accessoire de mode préféré), il est temps de lui transmettre les recommandations d'usage et de lui prêter un couteau soigneusement choisi, c'est à dire: qui ne craint pas trop quand même.
Arrive alors le moment fatidique où, l'accord entre les partis étant établi, le susdit couteau doit changer de main. De nouveau, plusieurs options sont possibles:
Ainsi, même si le demandeur saisit le couteau avec empressement et tire un coup sec sur le manche, le risque de se voir infliger une coupure reste très limité.
En outre, il est de bon aloi d'attendre que le destinataire ait accusé bonne réception de l'objet par un "merci" ou un signe de la tête avant de relâcher son emprise. Cette habitude a pour but d'éviter autant que possible la situation où, relâché par l'un mais pas encore saisi par l'autre, le couteau entame son périple gravitationnel et que, dans le pire des cas, un protagoniste mal renseigné ne commette l'erreur d'essayer d'en interrompre la chute libre.
J'ai conscience que cet article n'est pas exhaustif, en plus de paraître inutilement trivial à bon nombre d'amateurs. C'est pourquoi je m'engage à y revenir et à le compléter à mesure que je m'enrichirai de l'expérience du terrain comme du retour de mes lecteurs.
En attendant, j'espère que tu y auras trouvé au mieux un ou deux conseils utiles, au pire une lecture divertissante. En tout cas, n'hésite pas à partager ces quelques conseils avec les profanes de ton entourage, car tout utilisateur averti est une victime potentielle de moins et peut être même un futur défenseur de la cause coutelière.