Voyage autour du monde à la découverte de couteaux d'ici et d'ailleurs
16 Août 2022
Salut cher lecteur assidu du fameux blog traitant de la fabrication et de l'utilisation du couteau sous toutes ses formes et autres sujets afférents.
Je suis fier de pouvoir apporter ma contribution en partageant ce récit allant de la conception à la réalisation d'un objet pouvant vaguement s'apparenter à un truc tranchant. Voici donc la recette du HOKUTO de cuisine réalisée en 48h sous la supervision de votre hôte habituel et accompagnée de beaucoup d'incertitudes concernant mes capacités à réaliser une lame correcte...
J'ai rendez vous chez mon cuisinier à 10h00 afin de commencer la recette. Comme je n'ai pas vu l’heure, j'en ai profité pour oublier mes croquis et la maquette en bois fabriquée il y a quelques mois en prévision de cette journée. La loose commence.
Ingrédients:
Les assaisonnements sont fournis par le cuisinier.
J'ai l'impression de participer à un "date cuisine Meetic".
Le propriétaire des lieux me propose de réaliser mon croquis à partir d'un de ses projets. Sympa.
Je demande un café. Il en a. Sympa.
Concernant le projet, c'est un modèle que j'affectionne car c'est un "pied de mouton" destiné à travailler en cuisine pour émincer ou couper le saucisson. Je me remémore mes cours de CP-CE1 et réalise le contour du couteau sur du papier. Je tire la langue et découpe le contour. Je tire encore la langue et reporte au marqueur la forme de la lame sur la barre en métal.
Après avoir bloqué la barre dans un étau, la recette consiste à détourer au mieux la forme générale du couteau avec la meuleuse. Cela produit beaucoup d'étincelles que nous évitons d'envoyer dans le tas de bois. C'est bien vu.
Quelques minutes suffisent pour obtenir un truc moche qui ressemble vaguement à une griffe de Wolverine.
Je prends un café.
Le métal est plutôt tendre et il ne faut pas trop le chauffer en travaillant par petites touches. Cette première partie est simple et me donne confiance pour la suite.
C’est une des raisons pour lesquelles je suis présent: l'utilisation d'une grosse machine qui fait du bruit et que rien ne semble arrêter m’excite un peu. La démonstration du professeur et la révision des consignes de sécurité me confirme que c'est pas un "date cuisine Meetic".
A ce moment de la recette, l'idée est de rogner le métal jusqu’à venir en bordure du dessin afin d'obtenir la forme définitive. Autant dire que je suis pas fier en commençant l'opération. Ça va faire du bruit !!!!
LE BACKSTAND BOUFFE LE METAL A LA VITESSE DE LA LUMIERE !!!!!!!!!
Je prends un café.
A cette étape il faut tremper régulièrement la lame dans un seau d'eau car elle chauffe au contact du ruban et accessoirement cela évite de se cramer les doigts.
En un tour de main je perce l'emplacement des rivets. Trop facile.
Le truc quand on oublie de faire la photo sur le coup, c'est de se rattraper sur le modèle que le copain est en train de fabriquer en parallèle pour son grand.
Je prends un café.
C'est la pause repas. J'utilise ce temps pour choisir deux bouts de bois pour sublimer la recette. Mon choix se porte sur de l'olivier avec de jolies nervures. Un morceau que mon hôte gardait précieusement dans sa réserve perso.
J'utilise mon couteau pour manger et prends un café.
Dans chaque recette il y a toujours une étape qui est technique ou critique. L'émouture est ce moment là.
Je prends un verre d'eau. J'ai mal au ventre avec le café.
La démonstration de mon professeur en toute décontraction précisant "Ça va chauffer grave" et "il n'y a pas de retour en arrière possible" me confirme la difficulté de la tâche à venir. L'opération consiste à rogner le métal à l'aide du backstand pour former la ligne d'émouture et l'angle définitif de la lame jusqu'à son fil.
Je m'applique en tirant la langue mais mon inexpérience avec le matériel et la difficulté du geste m'obligent à demander régulièrement l'intervention de mon professeur pour tenter de corriger mes excès d'enthousiasme.
Après beaucoup de sueur, de ponçage de doigts et de trempage pour surchauffe, nous obtenons une émouture plus que satisfaisante.
Je prends un café.
La cuisson ne dure que 6 minutes mais demande une préparation à base de préchauffage et papillote. Le four chauffe "tranquillement" à 1050°. Pendant ce temps je fabrique une papillote en papier alu en serrant au plus près de la lame pour qu'il n'y ai pas d'air entre les deux.
C'est la première fois que je fais une papillote avec un marteau.
Il faut à présent enfourner. La technique n'est pas folle, on pourrait se croire dans sa cuisine, mais enfourner le couteau sans rater la brique réfractaire, avec le chrono qui tourne et le coup de soleil en ouvrant la porte est un petit moment de stress.
L'avantage de bosser à plusieurs, c'est que l'un peut prendre des photos pendant que l'autre se crame les paluches.
Je prends un café.
Six minutes plus tard, il faut à présent défourner. La technique n'est pas folle, on pourrait se croire à la piscine, mais ouvrir le four en prenant un deuxième coup de soleil, attraper la papillote avec une pince et tremper le tout dans un bain d'huile puis un bain d'eau est un petit moment de stress.
Après ouverture de la papillote nous constatons que la lame n'a aucune trace d'oxydation et elle est très bien durcie. OUF!
Je prends un café.
Il est temps de rentrer chez moi. La seconde cuisson à basse température sera effectuée par "El Profesor" le lendemain avant mon retour.
Après une étape de nettoyage/polissage de la lame à base de différents grains, j’entame la conception du manche.
Je prends un café.
Une fois les morceaux de bois posés à l'aide des futurs rivets, il "suffit" de rogner le bois jusqu'à la soie de la lame à l'aide du backstand et de la lime. Comme d'habitude la difficulté est que chaque opération est définitive. Il faut être minutieux et ne pas hésiter à changer d'avis si cela semble trop dangereux pour la lame ou le manche....
...Je change 20 fois d'avis durant l'opération et opte pour une forme simple. Je pourrais toujours dire que c'est un "design épuré" pour cacher le fait que j'y arrive pas.
Je retire les plaquettes pour préparer les rosettes ainsi que les trous borgnes destinés à les accueillir. Il semble que mon instructeur n'ait pas investi dans le bon modèle ou bien qu'il s'acharne comme à son habitude à faire rentrer une tige trop grosse dans un trou trop petit.
Nous devons donc re-percer toutes les rosettes à l'aide de la perceuse kivahenba™.
C'est fastidieux et je me dis que j'ai bien fait de n'en mettre que deux pour fixer le manche.
Il suffit ensuite de coller les plaquettes à l'aide de la résine époxy, de poser les rivets, les rosettes, et de serrer le tout avec des serre-joints.
Cette pause improvisée me permet de prendre un café.
On mange avec des couteaux.
Je prends un café.
Je me retrouve avec un couteau ayant un manche carré et des rivets qui dépassent. Ça fait mal aux mains mais je suis déjà fier du boulot accompli.
J'utilise la fonction "BOUFFE A LA VITESSE DE LA LUMIÈRE" du backstand ce qui permet d'araser les rivets et d'arrondir les angles de manche. C'est une opération à nouveau stressante car cela enlève beaucoup de matière et change la forme du manche.
Finalement un ponçage à la main permet d'obtenir un résultat satisfaisant qui donne la sensation d'avoir sous la main une peau de bébé ou un visage botoxé.
Je prends un café.
Les derniers assaisonnements consistent à affûter la lame, ce que mon professeur m'incite à faire au backstand, histoire de bien maintenir la pression.
Je tombe dans les bras de mon instructeur et nous roulons au sol sur plusieurs mètres afin de célébrer cet exploit. J'ai réussi à produire un truc qui coupe sans me blesser grâce à la pédagogie et la patience de mon hôte.
Je prends un café.
Je quitte les lieux avec un grand sourire et une ordonnance pour garder le manche dans un mélange huile de lin et térébenthine pendant cinq jours. Le résultat final est bien loin du premier modèle imaginé mais il est tellement mieux que je suis pleinement satisfait de l'expérience.
Je remercie "El Profesor" sans qui cela n'aurait jamais été possible ainsi que ma famille qui m'a toujours supporté dans cette aventure. Sans oublier tous les outils du garage pour leur soutien sans faille.
En espérant que ce récit vous aura fait rêver et donné envie de passer à l'acte.