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Escapades coutelières

Voyage autour du monde à la découverte de couteaux d'ici et d'ailleurs

Kergrégo "Santoku": le stage

Préambule

Chose promise, chose due, voici en exclusivité mondiale et pour tes yeux ébahis de lecteur assidu: l'article rédigé par celui qui est passé dans mon modeste atelier pour réaliser son premier couteau. Qui dit changement d'auteur dit changement de ton, aussi je te remercie par avance de réserver un accueil chaleureux à ce nouveau narrateur.

Et sans plus de circonvolutions maladroites destinée à masquer l'anxiété que j'éprouve à ouvrir les pages de mon journal intime à un auteur extérieur, voici l'objet du crime...

Un mec avec un couteau

En route pour les ateliers Kernico

Lecteur assidu de ce blog depuis quelques temps et en connaissant l'auteur à titre personnel, j'avais depuis quelques temps eu le droit à un "Si tu passes par la maison, faudra que tu viennes fabriquer ton couteau". J'avais donc commencé par réfléchir à ce que je voulais faire pour un premier essai. Un couteau pour... Un couteau pour quoi d'abord?

La plupart du temps, j'utilise mes couteaux dans la cuisine donc je suis parti là dessus. Je me suis donc lancé dans l'étape la plus difficile: dessiner ce qu'on veut.

Le croquis

Comme le disait Picasso: les bons artistes copient, les grand artistes volent. N'ayant pas la prétention d'être un grand artiste, je me suis limité à copier. Copier en l'occurrence la lame de mon couteau de cuisine actuel, que j'aime bien, et le manche de mon cutter de chantier qui a une bonne prise en main. Le reste, c'est du "à peu près à main levée".

Premier essai: "Bof, trop petit".

Deuxième essai: "Ça fait pelle à tarte. Beaucoup trop grand!"

On vise entre les deux et on est pas trop mal.

Kergrégo "Santoku": le stage

Et ce qui devait arriver tôt ou tard finit par arriver:

"Ah ben Nico, j'ai besoin de passer vers chez toi pour le boulot...
- Chez moi? Pas de problème. Et au passage tu n'auras qu'à prolonger un peu ton séjour pour te faire ton couteau.
- Si tu insistes..."

La matière première

Nous sommes jeudi soir et notre journée de travail s'achève. Il est temps de commencer notre deuxième quart.

L'acier est déjà tout trouvé puisque le maître des lieux a en stock une barre de 14C28N qu'il ne reste qu'à mettre en forme. Qu'avons nous comme choix pour le manche? De l'olivier couleur pâle avec de très beaux motifs qui donne déjà un bon rendu. Du hêtre souple et léger mais encore à l'état de branche. Et enfin des morceaux d'un thuya de 40 ans prélevés dans une souche de beau diamètre qui séchait sur pieds depuis environ trois ans.

L'aspect du dernier est assez grossier, brut de découpe, mais les dessins laissent déjà apercevoir de belles nervures.

Kergrégo "Santoku": le stage
La découpe du profil

On prépare les outils, puis on colle le modèle papier sur la barre d'acier. On détoure le patron au feutre indélébile et on place le tout dans l'étau. C'est parti pour le gros œuvre! La disqueuse tourne et je m'approche a plus près des cotes finales. BzZZzzZZ... ça le fait. Le temps de replacer la pièce... Bzzzzz... Oups, la découpe est un peu trop enthousiaste du côté du tranchant. Beaucoup trop enthousiaste même! Et sans doute pas assez derrière la garde. "T'inquiète, on rattrapera tout ça au backstand" m'assure mon maître de stage.

Kergrégo "Santoku": le stage
Les finitions au backstand

Bon, on n'est pas si loin du patron mais c'est n'est pas encore la bonne forme. Direction les bandes abrasives. Attention, la matière part vite! Un petit coup à droite, un petit coup à gauche, tout en douceur et en délicatesse et nous revoilà pile sur le trait. Le tranchant a même retrouvé une ligne régulière malgré l'erreur initiale de disqueuse.

Le temps de percer les trous pour les rivets à la perceuse à colonne et nous allons pouvoir attaquer le plus difficile: l'émouture.

Kergrégo "Santoku": le stage
L'émouture

Le vieux (ndlr: Eh, oh! tu t'es regardé toi?) maître des lieux me pose alors la question suivante: "Je me flétris au contact du vent, sous mes poils gris, ça sent le parmesan, qui suis-je?"...

...pardon, je m'égare. Le maître des lieux d'un âge idéalement mûr (ndlr: merci) me pose alors la question suivante: "Alors voilà le topo: soit je te fais ton émouture et tu es sûr de repartir avec un couteau, soit tu essaies de la faire toi même et je ne réponds de rien. Lorsque j'ai commencé, j'en ai foiré quelques-unes avant d'arriver à un résultat potable... Tu préfères quoi?"

Que faire? J'ai effectivement bien envie d'essayer... Mais j'ai aussi très envie de ne pas rentrer les mains vides à la maison. Et vu le temps qui nous est alloué sur ce projet, je sais que je n'aurai pas le droit à un deuxième essai. Bon, je décide de laisser faire Nico, qui a plus d'heures de vol que moi.

C'est parti! La première trace d'émouture apparaît rapidement et je suis avec attention sa progression vers le dos de la lame. Entre chaque passage, ma lame prend un bain rafraichissant avant de retourner faire des étincelles sur le grain 40.

Kergrégo "Santoku": le stage

Il faudra plusieurs dizaines de minutes pour venir à bout de la première face et déjà il est l'heure d'aller se restaurer et de prendre un repos bien mérité. Nous terminerons l'autre face demain soir et il nous restera encore toute la journée de samedi pour le manche et les finitions.

Kergrégo "Santoku": le stage
Le manche

Nous sommes samedi matin, il est temps de travailler le bois. Après avoir choisi et noté les côtés intérieur et extérieur de chaque plaquette, un trait grossier servira à dégrossir le profil au backstand. Lorsque la couche de sciure sur le sol atteint les 2cm d'épaisseur, on se dit que ça aurait peut être été malin de commencer par un petit coup de scie pour limiter la poussière. Mais bon, ce qui est fait est fait. Et puis le backstand est quand même redoutablement efficace au grain 40.

J'aplanis les faces intérieures pour qu'elles collent bien à la soie, avant de marquer l'épaisseur des plaquettes au pied à coulisse et de poncer les faces extérieures jusqu'à atteindre les dimensions voulues. Je perce les trous des rivets en utilisant la soie comme patron, avant d'assembler temporairement le tout pour enfin aller chercher la silhouette définitive au backstand.

Kergrégo "Santoku": le stage

Le détourage avance et on entraperçoit bientôt un truc qui ressemble enfin à un couteau. Cette partie est assez simple car il suffit de se reposer sur la soie et de laisser la bande abrasive retirer toute matière superflue.

Kergrégo "Santoku": le stage

On désassemble à nouveau les plaquettes une fois le profil obtenu, afin de pouvoir sculpter la garde. Un coup de crayon pour dessiner la ligne de garde, deux minutes au backstand et hop, on est bons.

Kergrégo "Santoku": le stage

Il ne reste plus qu'à coller les plaquettes à la résine époxy, avec rivets et rosettes installés en vue du matage. L'heure tourne et la résine n'aura pas ses 12h de séchage d'ici à ce que mon train quitte la gare. On se contentera donc des 2h de la pause déjeuner sous le soleil Breton, en croisant les doigts pour que ça fasse l'affaire.

Kergrégo "Santoku": le stage
Les finitions

Après que mon formateur m'ait assuré que la résine a bien durcie, je mâte les rivets puis retourne une fois de plus au backstand pour enlever l'excédent de matière, nettoyer les traces de colle, créer des facettes bien droites et rattraper les imperfections au niveau de la garde. On s'approche décidément de plus en plus du résultat final!

La lame protégée par deux morceaux de cuir et bien calée dans l'étau, un coup de tissu abrasif permet de casser les arêtes pour rendre la prise en main agréable. Après tout, j'ai quand même l'intention de l'utiliser!

Alors que l'après-midi est déjà bien avancée, Nico dessine le fil directement au backstand tout en se confondant en excuses pour le côté bourrin de cette pratique. Grain 120, 400 puis 600 pour enfin finir au cuir et à la pâte de polissage.

Kergrégo "Santoku": le stage

On est bon là, non?

La marinade

Presque! Il est tout beau, prêt à couper le saucisson... Mais il faut encore traiter le manche pour faire ressortir les motifs du bois et le protéger des mains sales et grasses. Une fois de retour chez moi, il va donc falloir le laisser tremper au moins cinq jours dans une marinade à base d'huile de lin et d'essence de térébenthine.

Et comme je serai parti en vacances avant la fin de la marinade, il y restera finalement trois semaines.

Kergrégo "Santoku": le stage
Postambule

Tout d'abord merci, cher lecteur, de m'avoir autoriser à te prêter ainsi à un auteur par intérim. Et bien que le résultat final de ces travaux pratiques ne soit pas encore définitivement atteint (fin de marinade et séchage obligent), je ne doute pas qu'il apportera joie et félicité à son heureux propriétaire, tout simplement parce que c'est LE SIEN.

Je me permets toutefois de porter au crédit de mon stagiaire une chose qu'il a oublié de mentionner: une fois le traitement thermique réalisé, c'est lui qui a opéré le nettoyage et la reprise d'émouture sur cette lame aux dimensions généreuses. Tâche dont il s'est acquitté avec brio.

Car oui, même si cela n'a pas été dit, il y a bel et bien eu traitement thermique, ÉVIDEMMENT. La trempe a été réalisée en binôme le vendredi soir, juste après la fin de la deuxième émouture, tandis que le revenu a commencé très -très- tôt samedi matin alors que nos excès libatoires de la veille m'empêchaient de faire la grasse mat'.

Au final, nous aurons réussi à condenser sur trois jours les étapes qu'habituellement je réaliser sur une semaine. Et si le temps cumulé passé à l'atelier ne se compte qu'en heures, cette expérience prouve une fois de plus qu'il est des pauses incompressibles dans le processus de fabrication d'un couteau qui rallongent inéluctablement son délai de fabrication.

Tout cela étant dit, je te salue bien bas et te dis à la prochaine!

Un mec avec un couteau.

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