31 Janvier 2022
Coucou, ami lecteur.
En attendant que mon préccccieux revienne de cuisson, je te propose de partager aujourd'hui avec moi une petite escapade à l'ancienne, à la découverte d'un couteau que l'on pourrait qualifier d'exception, au sens littéral du terme, puisqu'il fait partie de ces modèles tout-sauf-conventionnels que l'industrie italienne met occasionnellement à la portée de nos poches.
Nous avons déjà eu l'occasion de découvrir l'entreprise transalpine Turmond S.P.A et sa marque "Sandrin Knives" de couteaux en carbure de tungstène polyédrique dans un article consacré au Dellatorre, un modèle sorti en 2020 et dont l'esthétisme n'a pas manqué de retenir toute mon attention. Aussi m'abstiendrai-je de présenter à nouveau cette entreprise avant-gardiste et son matériau tout droit venu de l'espace pour parler plus spécifiquement du modèle qui nous intéresse aujourd'hui.
Sorti au début de l'année 2021, le Torino se démarquait de ses élégants prédécesseurs du millésime 2020 (TCK 2.0, Dellatorre et Lanzo) par un look délibérément cheap: manche en plastique criard et flancs bruts de découpe, son apparence était loin de faire l'unanimité, à commencer par la mienne.
Aussi, en dépit de son tarif raisonnablement attractif (moins de 200€), du fait qu'il soit le seul modèle Sandrin Knives doté d'un mécanisme de verrouillage, et d'un certain nombre d'autres arguments en sa faveur, son apparence suffit à me faire renoncer à l'idée de l'ajouter à ma collection.
Il aura donc fallu attendre la fin de cette même année 2021 pour que les designers de chez Sandrin décident de mettre le Torino sur son 31 pour les fêtes de fin d'année et d'en faire soudain un candidat parfaitement acceptable pour l'obsédé consumériste que je suis. C'est ainsi que, quelques jours à peine après avoir découvert son existence, j'en recevais chez moi un bel exemplaire tout beau tout neuf.
Après quelques mois passés en sa compagnie, je peux aujourd'hui déclarer que, s'il ne constitue pas le couteau parfait qui me fera renoncer à toutes les autres pièces de ma collection, ce Torino CF coche néanmoins un nombre impressionnant de cases dans ma check-list du modèle idéal.
En plus de son matériau exclusif à l'entreprise italienne, cette lame se démarque également par une géométrie atypique et non dénuée d'intérêt.
Longueur | 74mm |
Longueur de coupe | 58mm |
Hauteur | 23mm |
Épaisseur | 1.3mm |
Épaisseur derrière le fil | 0.6mm |
Angle d'émouture primaire | 9.92° |
Type d'émouture primaire | Insignifiante |
Matériau | Carbure de Tungstène Polyédrique |
Dureté* | 71 HRC |
(* données constructeur)
Commençons par le carbure de tungstène polyédrique, dont j'ai déjà évoqué les qualités et les défauts dans l'article sur le Dellatorre: grâce à sa dureté exceptionnelle, il procure à ce petit couteau de poche un tranchant à la durabilité époustouflante, mais qu'il est très difficile de rendre véritablement rasoir. Sorti d'usine, le Torino -tout comme son confrère Dellatorre- griffe la peau davantage qu'il n'accroche au poil, et un polissage à la pierre diamantée de grain 4000 (5µ), le plus fin qui soit disponible chez Edge pro, ne suffit pas à créer le miracle. Il faut aller chercher du côté de chez KME Sharpeners pour trouver des bandes diamantées descendant jusqu'à 3µ, 1µ puis 0.5µ pour finalement obtenir le résultat escompté. Un sacré investissement pour un résultat que l'on obtient sur le revers d'une ceinture avec un Opinel!
Mais s'il est difficile de lui faire remplir son office en tant qu'accessoire d'hygiène capillo-faciale, l'état dans lequel cette lame sort de l'usine est néanmoins largement suffisant pour trancher sans effort au travers l'immense majorité des matériaux que l'on place sur son chemin. Son extrême finesse n'y est pas étrangère: un poil plus épaisse que celle d'un Dellatorre avec son millimètre bien tassé, elle reste largement plus étroite que tout ce à quoi la production actuelle à base d'acier nous a habitués.
Ainsi dimensionnée, elle réduit le concept même d'émouture à sa plus simple expression. Limitée à une paire de millimètres, l'émouture primaire ne sert que de prétexte à une émouture secondaire destinée à créer l'apex. L'ensemble se fraye un chemin dans la matière sans rencontrer de résistance significative, ce qui n'est pas plus mal vu que le pouce qui prendrait appui sur le dos de cette lame pour exercer une pression soutenue n'y trouverait pas un confort de premier plan.
De profil, le Torino prend aussi son petit monde au dépourvu. Sorte de pied de mouton avec le nez en trompette, il permet de travailler efficacement contre un support, même s'il manque objectivement de longueur pour la plupart des tâches alimentaires sérieuses.
En effet, en plus d'un casse-goutte de bon aloi, la base de cette lame est raccourcie par une encoche destinée à accueillir l'index, et qui prolonge le manche pour offrir une véritable prise à quatre doigts.
Nous sommes donc en face d'un "petit" couteau qui se tient "comme un grand", du fait de cet espace concédé sur la longueur de coupe utile.
Ce qu'on pourrait en revanche reprocher à Sandrin au sujet de cette lame, c'est la non-finition de ses flancs. "Bruts de découpe" d'après le fabricant, ils affichent des reflets peu flatteurs au regard, qui ne sont pas sans évoquer une lame que l'on aurait oubliée sur le sol en béton de l'atelier et négligemment piétinée pendant plusieurs jours.
Certains internautes trouvent cette finition originale et agréable. Mon avis personnel ne va pas vraiment dans ce sens. En comparaison de l'enduit miroir d'un Dellatorre, cette approche fait non seulement cheap mais sale, et ne va pas du tout avec l'important travail esthétique réalisé sur le manche de cette édition "de luxe". Certains propriétaires sont d'ailleurs déjà passés par la case "polissage miroir", effaçant au passage la seule mention de la marque faite sur cette lame, pour un résultat objectivement bien plus flatteur. Qui sait si moi-même je ne me laisserai pas tenter un jour, histoire d'approcher un peu plus encore ce petit couteau de la perfection?
L'intérêt principal de cette version "Carbon Fiber", c'est évidemment le remplacement du G10 rouge par de la fibre de carbone à l'aspect autrement plus avantageux.
Longueur | 102mm |
Hauteur | 26mm |
Épaisseur | 10.5mm |
Châssis | Fibre de carbone |
Dépourvu de platines, ce manche est réduit à sa plus simple expression: deux plaquettes en fibre de carbone maintenues par une paire de vis. Pour autant la rigidité de l'ensemble ne souffre d'aucun reproche et le poids s'en trouve significativement réduit.
Suffisamment épais et agréablement dodu, ce manche offre une prise en main confortable à trois doigts et demi, entre les phalanges, et qui se transforme en quatre doigts dès lors que l'on exploite la base de la lame pour avancer son index.
Et ça n'est pas si commun de pouvoir ainsi poser tous ses doigts sur un canif dont la lame propose un fil aussi délibérément court sans pour autant que cela ne relève de la torture digitale. En effet, les reliefs découpés sur son ventre accueillent et guident les doigts sans la moindre agressivité, et la texture de la fibre de carbone offre une bonne adhérence et un toucher agréable.
Il n'y a que le clip de poche dont la pointe, sans être vraiment saillante, peut représenter une légère source d'inconfort lorsqu'on essaie de serrer ce manche au delà du raisonnable.
Sur son dos, le système de verrouillage affleure en retrait de la zone inclinée où le pouce trouve appui et ne constitue donc pas une source d'inconfort.
Il n'y a qu'en avançant sa prise jusque "sur la lame" que cette ergonomie trouve ses limites, car le pouce appuie alors sur le dos d'une feuille de métal d'à peine plus d'1mm d'épaisseur, et l'ergot d'ouverture se trouve trop en retrait pour constituer un appui potentiel.
Toutes choses considérées, pour une longueur de coupe de moins de 6cm et une lame aussi évidemment destinée aux petites tâches de précision, ce manche remplit parfaitement son office, en plus d'être plutôt vachement agréable à mater pour qui est sensible aux charmes du carbone.
Le mécanisme de verrouillage, qui fait également office d'entretoise, est habillé d'un rouge sombre plutôt classieux qui n'est pas sans rappeler celui des modèles de la gamme 2020. enfin, le dessin du clip de poche (qui arbore la fuite de Fibonacci caractéristique de cette marque) s'intègre à l'ensemble avec élégance.
Pour maintenir son couteau en position ouverte, Sandrin Knives mise sur un mécanisme de verrouillage original, inauguré au début de la même année sur le Torino "classique" et baptisé Recoil Lock.
Combinant la fiabilité d'un Compression Lock à mouvement latéral et le côté ambidextre d'un Crossbar Lock à mouvement longitudinal, ce mécanisme incarne à mon avis personnel et complètement partial ce qui se fait de mieux à l'heure actuelle.
Grâce à une détente émulée de façon très convaincante, il est possible d'ouvrir le couteau d'une simple pichenette en appuyant sur les ergots situés de part et d'autre de la lame. Celle-ci, articulée sur des roulements à bille, jaillit jusqu'à sa position de verrouillage sans autre résistance que le frottement du mécanisme de verrouillage.
La languette métallique du Recoil Lock s'engage alors en un claquement sec et léger, signifiant que le couteau est alors parfaitement sécurisé.
Alternativement, il est possible (comme avec le Crossbar Lock ou l'Arc Lock) de simplement libérer le mécanisme de verrouillage pour laisser la lame voyager de l'une à l'autre de ses positions sans la moindre résistance, et sans que d'innocents doigts ne se trouvent piégés sur sa course.
Et pour ceux qui ne seraient pas à l'aise pour libérer le Recoil Lock avec l'ongle de leur index comme illustré ci-dessus, il est également possible de faire reculer le mécanisme avec le pouce, position dans laquelle la lame a le bon goût de venir reposer son encoche pour l'index contre le dessus du doigt avant de présenter la moindre menace.
À la fois fiable, récréatif, facile à libérer et parfaitement ambidextre, ce mécanisme remplit pour moi tous les critères d'un verrouillage idéal.
En plus d'afficher un tout petit 64g sur la balance, ce qui le place dans la catégorie des poids plumes, aux côtés d'un Para 3 Lightweight ou même d'un Kiana, il bénéficie d'atouts considérables en comparaison de ces deux challengers.
Bien plus compact que ces deux derniers lorsqu'il est replié, ses formes douces en font un compagnon discret et inoffensif pour la main qui aurait besoin d'accéder au fond de la poche dont il garde l'entrée. En outre, il offre des modalités à la hauteur de ses qualités puisque son clip de poche est ambidextre, pointe en haut et aussi profond qu'un clip de poche puisse l'être, en plus d'offrir une retenue tout à fait satisfaisante et une grande facilité d'utilisation.
En plus, contrairement au clip du Dellatorre, celui-ci fait moins "pièce rapportée" du fait de l'épaisseur plus conséquente du manche.
Idéal pour équiper au quotidien l'aventurier urbain qui s'apprête à affronter colis récalcitrants et emballages de quinoa bio, son apparence bonhomme n'est pas non plus de nature à susciter l'effroi chez les profanes en dépit de son caractère pourtant parfaitement illégal.
Avec un passage au manche en fibre de carbone, le Torino bondit d'un petit 190€ à environ 270€, prix auquel il flirte désormais avec la coutellerie de luxe et certaines pièces d'artisan.
Difficile pourtant de lui contester sa valeur si ce n'est en ce qui concerne la finition de sa lame qui aurait vraiment mérité un petit traitement de surface. Pour le reste, tout est là pour justifier son tarif: matériaux d'avant-garde, finitions micrométriques, mécanisme original et parfaitement exécuté... On est presque ravi de donner son argent vu ce qui se fait à la concurrence dans cette gamme tarifaire et ce format: le Benchmade Bugout Carbon Fiber est affiché à 300€ et le Mini Freek Carbon à 350€, pour ne citer que les challengers américains, et aucun ne peut se vanter d'avoir une lame tout droit venue de l'espace.
Il serait toutefois aisé d'argumenter que les modèles cités à l'instant sont de toutes façons trop chers, ce qui laisse la porte ouverte à un tout autre débat concernant le prix des couteaux industriels. Aussi, sans rentrer dans ce sujet passionnant, je me contenterai de dire que le Torino CF peut être considéré comme "d'un bon rapport qualité/prix au regard de modèles comparables", et qu'il me procure pleine satisfaction étant donné les moyens que j'ai la capacité d'allouer à ma collection.
Pour moi, la collection de modèles proposés par Sandrin Knives constitue réellement, à défaut d'être d'une grande variété, une alternative intéressante aux couteaux traditionnels. Dans un domaine d'application où le couteau est raisonnablement sollicité, leur proposition à base de carbure de tungstène permet de s'équiper d'outils durables pour affronter les petites tâches du quotidien.
Un tranchant increvable et une incapacité chimique à prendre la rouille font de ces couteaux des compagnons sans souci qui se payent en plus le luxe d'être plutôt agréables à regarder. C'est la raison pour laquelle j'espère voir cette société continuer son petit bout de chemin dans le monde de la coutellerie pour quelques années encore.
Et quand on ajoute à cela une ergonomie au poil et des mécanismes originaux et parfaitement exécutés, on se met à cocher toutes les cases qui constituent *ma* définition d'un petit couteau idéal à emporter partout avec soi... Si seulement les flancs de cette lame étaient mieux finis!
Lors de notre prochaine rencontre, et à moins que ma création ne soit revenue de cuisson plus tôt que prévu, je vous propose de partir à la découverte d'un concept loupé comme on les aime, grâce auquel on apprend "à la dure" quelles sont les erreurs qu'il ne faut pas commettre lorsqu'on imagine un outil supposé servir.
Alors à la prochaine.
En vacances avec mon fidèle Torino, j'ai eu la désagréable surprise de constater qu'une vis était manquante au pommeau de mon couteau. Par chance, celle-ci était tombée au fond de ma poche. J'ai donc pu la remonter sans problème après avoir mis la main sur le tournevis adéquat (torx t8). Pour éviter que la situation ne se reproduise, j'ai vigoureusement serré la vis baladeuse avant de replacer le couteau sur le rebord de ma poche.
Ce n'est qu'en voulant ouvrir mon Torino quelques heures plus tard que je réalisais que l'opération était devenue impossible: une fois serrée, la vis de pommeau immobilise complètement l'entretoise mobile responsable du verrouillage de la lame.
Il en résulte que le Torino n'accepte d'être manipulé que si sa vis de pommeau est volontairement desserrée, ce qui implique en retour la possibilité que celle-ci foute le camp.
Ce constat m'a poussé à réviser mon jugement sur ce modèle: alors que j'avais plaisir à l'emmener partout, le considérant comme un couteau presque idéal, j'hésite désormais à l'emporter avec moi de peur d'en perdre un morceau. S'il est toujours aussi charmant, je le considère handicapé par un défaut de conception rédhibitoire qui m'empêche de l'apprécier pleinement.