22 Janvier 2022
Ça fait 48h que je mate ma silhouette en songeant à toutes les manières dont je pourrai rater cette foutue émouture. Et puis je mesure vaguement l'ampleur de la tâche qui m'attend, compte tenu du fait qu'il va falloir que je me tape tout le boulot à la mimine.
Et puis finalement, comme c'est mercredi soir et que c'est le jour des raviolis, je me sors enfin les doigts du séant et me met à la tâche. Mon guide d'angle est calé sur 4°, tous les calculs sont faits, c'est parti.
Aux premiers coups de lime, j'ai le sentiment que tout ne se passera pas si mal. La matière semble disposée à partir plus facilement que je ne l'avais prévu et je progresse rapidement de quelques millimètres.
Et puis rapidement, je déchante: le tube de cuivre que l'utilise pour guider ma lime frotte contre la table à chaque aller-retour et gêne énormément ma progression. Je dois donc rapidement improviser en plaçant ma lame sur une cale en hauteur, cale dont l'épaisseur doit à présent être prise en compte au niveau de mon support d'angle pour conserver une inclinaison constante.
Mais même aidé par cet aménagement, mon travail avance de moins en moins vite: à mesure que ma lime pénètre dans l'émouture, il y a de plus en plus de matière à retirer et ma vitesse de progression chute de façon linéaire. Une heure et demie plus tard, j'ai atteint les deux tiers de la hauteur prévue et la moitié environ du volume total de matière à retirer.
Il me faudra en tout et pour tout deux heures et demies pour détourer complètement la limite d'émouture.
Je mesure l'épaisseur de mon fil: à peine moins de 2mm. C'est pas mal du tout car je dois garder entre 0.8 et 1 mm de matière en prévision du traitement thermique. Cela signifie que, quel que soit le travail de finition réalisé sur mes émoutures, il faudra de toutes façons que je le reprenne et le finalise une fois l'acier durci (ce qui promet de ne pas être une partie de plaisir).
Étant donné l'angle d'attaque de ma lime, il reste toutefois un excédent conséquent de matière à la base de mon émouture, là où sa ligne se brise pour rejoindre l'encoche destinées à accueillir mon index. Je fait donc pivoter mon support pour attaquer de façon parallèle à cette ligne, tout en considérant attentivement le fait que l'angle d'attaque ne doit désormais plus être de 4°, mais d'une valeur inférieure.
Faute d'avoir une formule trigo tout prête pour résoudre cette équation, je positionne mon système à tâtons, cherchant l'angle d'attaque idéal. Par chance, mon installation étant de nature analogique, je peux déplacer mon support millimètre après millimètre dans l'étau jusqu'à trouver la combinaison idéale.
L'opération ne se passe pas trop mal et je n'ai à déplorer qu'une légère griffure remontant sur le flanc à la suite d'un coup de lime trop enthousiaste. Je suis également assez content du rendu visuel de la transition entre l'émouture et le flanc: la ligne de démarcation est nette et le changement de couleur accentue le contraste entre ces deux surfaces. La nuit est déjà bien avancée, je file me coucher satisfait.
Dès le lendemain matin, j'attaque l'autre face. Comme la veille, les premiers millimètres sont rapidement grignotés.
Très régulièrement, je surveille ma progression en mesurant l'épaisseur du fil. Encore une fois, je ne dois pas retirer trop de matière si je souhaite éviter toute déformation lors de la trempe. Comme ma progression est parfaitement linéaire (moitié de la hauteur d'émouture = moitié de l'épaisseur retirée), je peux projeter le résultat final et anticiper le fait que je file droit au casse pipe: Malgré ce que j'avais pensé être une bonne marge de sécurité, je risque de finir le boulot avec entre 0.5 à 0.6 mm de matière seulement.
J'abaisse donc très légèrement mon guide d'angle pour compenser mes erreurs de calcul et note dans un coin de ma tête qu'au retour de la trempe, ce sera donc le côté gauche dont il faudra reprendre l'émouture en priorité. Puis je retourne à l'ouvrage.
Ma progression est satisfaisante et j'atteints bientôt la partie inclinée de la base de mon émouture, sur laquelle je dois créer une ligne de démarcation oblique en jouant sur l'épaisseur de matière.
Je m'approche de l'épaisseur finale "avant-cuisson" et ma lime accuse un jeu préoccupant au sein du tube de cuivre dans lequel je l'ai glissée. Ce dernier s'est légèrement déformé et je ne suis pas certain de la fiabilité de mon angle. Je décide donc de remplacer mon installation en utilisant un tube de plus petit diamètre (trouvé sur une chute de plomberie), ma disqueuse et quelques coups de marteau.
Ma nouvelle installation est beaucoup plus rigide et, cerise sur le gâteau, présente l'avantage de ne plus dépasser sous le plan d'abrasion, ce qui me permet d'effectuer de plus grands gestes et d'exploiter davantage de longueur sur ma lime.
Pour la base du fil, je tente cette fois ci une approche à main levée, à la lime de précision, afin d'éviter la griffure maladroite opérée sur l'autre face.
Rétrospectivement, cette partie du travail s'avère toutefois moins bien finie. Il reste un excédent de matière qui va poser problème au polissage et la ligne d'émouture est moins nette. Mais bon, le résultat est quand même assez satisfaisant.
Pour une première tentative, et même si j'identifie les erreurs que j'aurais pu éviter, on peut considérer que ça n'est pas un échec total.
Comme je ne sais pas à quel point cette étape sera fastidieuse une fois l'acier trempé, je décide de faire un polissage préliminaire, qui n'aura "plus qu'à être repris" après cuisson. C'est également pour moi l'occasion de voir quel pourrait être l'aspect final de ma lame.
Actuellement, les flancs sont brut de laminage et pas vraiment présentables: oxydation, rayures... Quand aux émoutures, si je trouve le côté "industriel" du travail à la lime intéressant, je ne souhaite pas non plus sortir une pièce à la Benjamin Albrycht.
Je commence donc à polir tout ça au grain 120, tout en prenant soin d'éviter de nettoyer le futur fil, qui doit pour l'instant encore conserver sa pleine épaisseur.
Après une soirée passée à gratter nonchalamment mon bout de métal en matant un film à la téloche, je constate deux choses:
Dès le lendemain matin, je change donc mon fusil d'épaule et file acheter du grain 80. J'alterne le travail à main levée, en prenant soin d'appuyer au centre de mon profil plutôt que sur ses bords, et quelques passes sur mes différentes pierres à affûter dont la planitude me permet une bonne reprise de certains angles, notamment ceux à la base de l'émouture.
...Et bien que j'y aie passé la journée, j'ai oublié de faire des photos du travail en cours...
Quoi qu'il en soit, une fois les deux côtés à peu près nettoyés, mon couteau commence à pas trop mal présenter.
Encore une fois, je ne pousse pas le vice trop loin. J'ignore dans quelle mesure je devrai repasser sur les finitions au retour du traitement thermique donc je préfère m'éviter une peine inutile. Mon objectif pour l'instant n'est que de me faire une idée de ce que le futur résultat pourrait être.
À ce stade, j'ai toutefois un regret principal: avec le travail d'uniformisation des surfaces, la ligne de démarcation émouture/flancs s'est largement estompée. Phénomène aggravé par la souplesse du papier abrasif et ma méthode de travail. Si je n'arrive pas à reprendre ce "défaut" lors de la finalisation de l'émouture, je pense que je tenterai le pari d'une double finition "satiné/miroir" pour accentuer visuellement la transition.
Le fait est que malgré un angle d'émouture situé dans la moyenne des modèles industriels auxquels je compare ma création, l'arête qui en découle ne pouvait de toutes façons pas être aussi nette, faute de disposer des mêmes outils.
Au rayon des erreurs, je note également une tentative maladroite de reprendre "rapidement" avec la Dremel quelques griffures profondes issues du travail à la lime: la tête cylindrique de mon appareil a créé des dépressions d'autant plus visibles que la finition s'approche du rendu miroir. Par chance, ces erreurs ont été commises du côté que je devrai de toutes façons retravailler en priorité. Il me sera donc certainement possible de les gommer.
Prochaine étape, et parce que ce projet n'est pas encore un fiasco total, je prévois la découpe de quelques encoches à la base du dos de la lame, afin de créer une surface d'adhérence pour le pouce, avant de passer à l'étape du perçage.
Le contact est également pris avec l'entreprise qui, je l'espère, acceptera de me réaliser le traitement thermique. Il n'y a plus qu'à attendre un retour de leur part.
Et comme mon manche sera démontable dans sa première version, je pourrai d'ores et déjà commencer à travailler dessus. Bref, je suis encore loin d'être au chômage technique!
A la prochaine.