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Escapades coutelières

Voyage autour du monde à la découverte de couteaux d'ici et d'ailleurs

Böker Plus "Mini Vanquish": là où tout a commencé

Böker Plus "Mini Vanquish": là où tout a commencé
Mise en ambiance

Certains de mes lecteurs s'en souviennent peut-être, j'ai évoqué dans un article précédent les raisons qui alimentent mon attrait pour ces outils millénaires que sont les couteaux, et les circonstances dans lesquelles je me suis mis à les collectionner. J'évoquais alors un coup de foudre m'ayant fait basculer d'un état d'esprit pratico-pratique vers le monde fou de la collectionnite, une pièce à l'esthétique si frappante qu'elle avait fait naître en moi le désir de posséder un objet pour le simple plaisir de pouvoir le contempler à loisir...

Et bien le couteau du jour n'est autre que ce premier amour!

Sauf que, le recul aidant, j'ai réalisé il y a bien longtemps à quel point le manque d'expérience m'avait conduit vers un choix maladroit. Ai-je honte de ce premier flirt comme j'ai honte de la première fille un peu moche que j'ai embrassée uniquement parce qu'elle le voulait bien? Sans doute, mais j'assume pleinement mes erreurs de jeunesse et c'est avec une douce nostalgie mêlée peut-être d'un brin d'autodérision que je m'apprête à vous présenter aujourd'hui ma première conquête.

Suivez-moi pour l'étape du jour de notre voyage coutelier, en direction de l'Allemagne des États-Unis d'Asie!

L'objet du crime

Le couteau du jour nous est proposé par "Böker plus", la marque milieu de gamme que l'entreprise éponyme a lancé en 2005 pour diversifier son offre. Comme de nombreux modèles de cette gamme produite en Asie depuis sa création, il est le résultat de la collaboration entre le constructeur allemand et un coutelier de renommée internationale. C'est en l'occurrence du côté des États-Unis qu'il faut se tourner pour faire la rencontre de Jeremy Marsh, outilleur de profession et créateur de couteaux sur mesure par passion, qui a dessiné le modèle "Vanquish" dont Böker implémente ici une version aux dimensions à peine plus modestes et maladroitement rebaptisé "Mini Vanquish".

Maladroitement car, en dépit d'une poignée de millimètres en moins que le modèle original, ce couteau n'a définitivement rien d'un modèle réduit. Il est même plutôt massif, rivalisant sans peine en taille et en poids avec les plus gros couteaux de poche de ma collection tel que le Lionsteel Rok, au point de ne pas être adapté aux poches les plus étroites, comme nous le verrons en temps voulu.

Extrêmement difficile à se procurer aujourd'hui, ce modèle n'a en effet été présent dans le catalogue Böker plus qu'entre 2012 et 2018, période au cours de laquelle toute la production a été numérotée.

Même si la mémoire me fait défaut, ce numéro de série relativement petit tend à prouver que j'ai bel et bien acquis cet exemplaire l'année de sa sortie. Donc ma collectionnite a probablement commencé en 2012!

Même si la mémoire me fait défaut, ce numéro de série relativement petit tend à prouver que j'ai bel et bien acquis cet exemplaire l'année de sa sortie. Donc ma collectionnite a probablement commencé en 2012!

En 2015, date anniversaire des dix ans de la marque, une variante "decade edition" de ses modèles les plus populaires fut produite en édition limitée et avec des matériaux plus luxueux que leur version d'origine (acier VG10 et plaquettes en fibre de carbone). Le Mini Vanquish fit partie de cette sélection prestigieuse et produite à seulement 600 exemplaires sur lesquels il est aujourd'hui quasiment impossible de mettre la main.

La (grosse) lame

Ce qui frappe évidemment dès le premier regard jeté sur ce couteau, c'est sa lame massive qui n'est pas sans évoquer un hachoir.

Oh la belle bête!

Oh la belle bête!

Caractéristiques techniques
Longueur 80mm
Longueur de coupe 80mm
Hauteur 25.5mm
Épaisseur 3.1mm
Épaisseur derrière le fil 1mm
Angle d'émouture primaire 4.76°
Type d'émouture primaire Plate
Matériau 440C
Dureté* 59 HRC

(* données constructeur)

On ne peut nier à ce pied de mouton largement modifié un caractère unique et exclusif. Esthétiquement, ça passe ou ça casse, mais le fait que cette lame ait été à l'origine de mon premier "crush" (comme disent les jeunes) n'est sans doute pas étranger à mon attirance actuelle pour les profils pied de mouton. C'est comme les rousses, quand on y a goûté... En revanche, je ne peux contester que ses lignes gothiques ne sont pas sans inspirer une certaine agressivité qui ne cadre pas forcément avec ma vision actuelle du couteau-outil.

En outre, sa taille imposante crée clairement un déséquilibre visuel en comparaison d'un manche plutôt svelte. On retrouve par ailleurs ce déséquilibre lorsque l'on tient le couteau en main, car il a tendance à piquer du nez.

Fonctionnellement parlant, ces lignes sans concession ne sont pas sans créer quelques problèmes pour l'utilisateur: pour commencer, la crête située à la base du dos de la lame est une véritable hérésie ergonomique. La position que la main de l'utilisateur adopte naturellement grâce aux découpes pratiquées dans le manche place la pulpe du pouce en plein sur le sommet de cette excroissance métallique, le moindre appui soutenu se solde inévitablement par une punition douloureuse et immédiate. Reculer le pouce pour éviter cette torture force le couteau à pivoter pour se placer dans le prolongement du bras, position dans laquelle ses possibilités d'usage sont considérablement réduites.

Dans la position qui ne fait pas mal, la lame perd beaucoup de son utilité.
Dans la position qui ne fait pas mal, la lame perd beaucoup de son utilité.

Dans la position qui ne fait pas mal, la lame perd beaucoup de son utilité.

Quant à l'éventualité d'avancer franchement sa prise pour placer son pouce au creux du généreux concave qui orne le dos de ce couteau, n'y pensez même pas, car un autre piège vous attend au tournant. En effet, pour une raison qu'il est difficile de justifier autrement que par souci esthétique, cette lame est munie d'un casse-goutte qui n'en est pas un: en plus de ne pas être émoulu (et donc de former un triangle de matière à la base du fil...

Parce que pourquoi pas d'abord!

Parce que pourquoi pas d'abord!

...il est proéminent à souhait, et se pose là comme un véritable prédateur prêt à mordre tout doigt qui aurait l'audace de s'aventurer en avant de la garde.

Vous le voyez venir l'accident? Parce que la première fois, moi non!

Vous le voyez venir l'accident? Parce que la première fois, moi non!

Ainsi, je ne compte plus les microcoupures que j'ai du subir, pile dans le pli de la phalange (là où ça ne cicatrise jamais) après avoir stupidement tenté de couper quelque chose avec ce couteau.

Et je dis stupidement car il faut être véritablement obtus pour s'obstiner à vouloir utiliser ce couteau à des fins pratiques. L'épaisseur conséquente de la lame et son émouture conçue pour laisser un bon millimètre de matière derrière le fil en font un outil certes robuste mais particulièrement inadapté aux coupes profondes. Pourtant l'acier choisi par Böker, s'il n'est pas premium, offre des performances honorables et se paye même le luxe d'accrocher à la pilosité brachiale une fois correctement affûté. C'est donc bien la géométrie de cette lame qui est en cause et non l'alliage dont elle est faite.

En définitive, et sans avoir même jeté un œil au reste du couteau, cette lame suffit d'ores et déjà à classer irrémédiablement ce dernier dans la catégorie des pièces réservées à l'exposition.

Le manche (dizaïgne)

Face à une lame disproportionnée, le manche joue de son caractère pour s'imposer dans l'équation.

Caractéristiques techniques
Longueur 113mm
Hauteur 22mm
Épaisseur 13mm
Platines Titane anodisé bleu
Plaquettes G10
Mitre Acier inox satiné

Ici aussi, on constate dès le premier coup d'œil qu'une attention toute particulière a été apportée à l'esthétique de ce manche. Ses lignes harmonieuses et pourtant incisives inspirent un dynamisme indéniable que souligne de découpage en biais des mitres et la mise en juxtaposition de l'acier et d'un G10 dont la finition n'étant pas sans évoquer une fibre de carbone...

...mais tout cela, une fois encore, au détriment de l'ergonomie la plus élémentaire. Pour la faire courte, le Mini Vanquish pourrait être un cas d'école aux cours de design consacrés aux erreurs à ne pas commettre.

Pour commencer, et malgré le caractère massif de la lame, ce manche possède des dimensions tout juste suffisantes pour quatre doigts, compte tenu du fait que l'auriculaire a naturellement tendance à glisser du pommeau au profil fuyant sur lequel il s'appuie.

Ajoutez à cela: l'angle vif et douloureux présent sur le ventre du manche, à la jointure mitres-plaquettes, et sur lequel appuiera invariablement n'importe quel doigt qui oserait quitter l'emplacement qui lui est réservé; l'angle saillant à la pointe du pommeau qui s'enfonce volontiers et profondément dans la chair de votre paume; et un ensemble plaquettes/mitres totalement dépourvues du moindre chanfrein destiné à en adoucir les contours... Et vous aurez déjà une bonne vision de l'étendue des dégâts.

Mais le calvaire ne s'arrête pas là, puisque l'entretoise qui sépare les platines (non sans une certaine élégance) est délibérément taillée en pointe:

Parce que... parce que pourquoi pas non plus!

Parce que... parce que pourquoi pas non plus!

Et sans oublier le clip de poche (que d'habitude je n'aborde que durant le chapitre réservé aux modalités de transport mais qui s'intègre ici tellement bien à l'échec global du manche qu'il mérite d'être cité dès à présent) tellement saillant qu'il est illusoire de penser que l'on puisse trouver une seule position dans laquelle il ne se révélera pas douloureux au bout de quelques minutes passées à tenir et manipuler ce manche.

Bon courage pour trouver une position dans laquelle ce truc ne va pas s'acharner à vous transpercer la main.

Bon courage pour trouver une position dans laquelle ce truc ne va pas s'acharner à vous transpercer la main.

En constatant le cumul de fautes ergonomiques affiché sur cette poignée, on en arrive à se demander si son designer a vraiment essayé de s'en servir avant de lancer la production en série.

L'articulation (classe)

Le Mini Vanquish propose une combinaison assez classique d'ouverture par ergot de pouce et verrouillage par liner lock.

Il n'y a pas grand chose à dire sur le liner lock, qui verrouille la lame relativement tard et dans un bruit sourd, mais fait son taf sans faillir et se libère relativement aisément.

L'ergot de pouce, en revanche, sort lui aussi des sentiers battus avec son apparence pyramidale à l'esthétisme certain, mais une fois encore à l'ergonomie contestable.

La fameuse pyramide de toutankhassetoiledoigt

La fameuse pyramide de toutankhassetoiledoigt

Insuffisamment saillant et trop proche de la mitre, il oblige l'utilisateur à maintenir une pression constante sur son sommet, et à supporter le passage des arêtes à mesure que la lame se déplie et que cette pièce pivote.

Exit également l'ouverture d'une pichenette: l'effort nécessaire pour lutter contre la viscosité de la charnière ne peut être appliquée lorsque la seule surface d'appui est une arête vive.

Et non content d'être conçu comme un outil de torture, cet ergot se paye de surcroit le luxe d'être parfaitement asymétrique et donc impossible à monter de l'autre côté de la lame pour un usage gaucher. Tant pis pour les minorités!

En ce qui concerne la charnière, c'est effectivement le terme "viscosité" qui semble le plus approprié pour décrire la résistance qu'oppose au mouvement d'ouverture et de fermeture cette articulation montée sur des rondelles de bronze phosphoreux. Pas vraiment difficile à manipuler dès lors que l'on a vaincu une détente un peu floue, elle résiste d'autant plus que l'on essaie d'accélérer la cadence, à la manière d'un amortisseur à huile.

Pour sa défense, il est d'autant plus difficile de me remémorer le ressenti exact procuré par ce mécanisme lorsqu'il était neuf, il y a de cela une décennie, que je n'avais à l'époque que peu d'éléments de comparaison (et pour ainsi dire, jamais goûté à la drogue Zero Tolerance). Il serait donc malhonnête de ma part d'argumenter que son comportement actuel n'est en aucun cas lié à l'usure et au vieillissement, même s'il faut avouer que pour toutes les raisons citées plus tôt, ce couteau ne m'a pas servi très souvent.

Le transport (faut oser)

Doté, pour toute modalité de transport, d'un clip de poche pointe en haut, exclusivement droitier et largement saillant, ce couteau ne s'invite pas pour autant dans toutes les pantalons. Son volume important, sa lame exagérément exposée et ses contours sans concession se révèlent impardonnables pour les mains qui voudraient explorer le rangement dont il garde l'accès.

Conçu comme un élément visuel du couteau à part entière, ce clip est indéniablement agréable à regarder mais n'offre pas pour autant tous les aspects pratiques que l'on attend de lui. Si sa pointe saillante facilite la mise en place, elle présente aussi une fâcheuse tendance à s'accrocher à tout ce qui passe à sa portée. Je ne compte plus les rayures infligées à la portière de ma voiture lorsque je devais me faufiler entre deux véhicules dans le parking du supermarché avec cette arme de destruction massive en poche.

Ne comptez pas non plus sur l'extravagance de ses lignes pour amadouer le public. Avec un design aussi atypique et franchement gothique, c'est typiquement le genre de modèle qui vous fait passer de la case "collectioneur" à la case "spikopate" en moins de temps qu'il n'en faut pour déplier sa lame.

Le retour sur investissement

Proposé à un tarif avoisinant la centaine d'euros à l'époque où il était disponibles, on ne peut pas dire que l'acheteur n'en avait pas pour son argent.

En dépit de défauts de conception évidents, la qualité des matériaux et des finitions est au rendez-vous: titane, assemblages au poil, lame parfaitement centrée, absence de jeu... La transition entre les mitres et les plaquettes constitue le parfait exemple du genre de truc qu'il est facile de louper mais que le constructeur asiatique a eu le bon goût de réaliser à la perfection. On appréciera également la finition satinée tirée de long sur la lame, que l'on ne croise pas tous les jours, et encore moins dans cette gamme de prix.

A cette qualité de réalisation, il faut ajouter le caractère exclusif d'un modèle de designer et le fait qu'objectivement, il ne s'agit pas d'une pièce que l'on achète pour emmener avec soi en randonnée. On accepte plus difficilement de lâcher un gros billet pour un couteau que l'on est susceptible d'égarer en forêt que pour un modèle que l'on prévoit d'abriter derrière une vitrine.

Conclusion

Voilà, vous savez tout de mon premier amour. Rétrospectivement, il est clair que j'aurais pu jeter mon dévolu sur un modèle mieux conçu et plus fonctionnel, mais il en est ainsi et je ne renie en rien celle qui est et restera la première pièce de ma collection.

Nous pouvons à présent reprendre notre route. Pour la prochaine étape, je prépare un exposé sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur, à savoir la matière même dont sont faites nos lames préférées: l'acier.

Ensemble, nous tenterons de démystifier un certain nombre de croyances encore largement répandues à l'ère de l'information et de mettre au clair ce qui fait qu'un acier fait un bon couteau ou pas. Alors si le sujet vous intéresse, n'hésitez pas à me suivre dans ce voyage.

D'ici là, passez une bonne journée et garder un moral d'acier.

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