27 Octobre 2021
Bonjour, cher lecteur.
Pour le treizième article de ce blog, je te propose aujourd'hui un petit billet aux accents de confessionnal pour répondre à une question que se posent souvent les gens qui font ma connaissance: "Mais c'est quoi son délire avec les couteaux à celui-là, c'est un serial killer ou quoi?"
Alors pour couper court au débat: non, je ne suis pas un serial killer. Du moins pas d'après l'avocat qui a obtenu ma remise en liberté conditionnelle.
En plus, le couteau n'est pas l'arme idéale pour ce genre d'occupations. A vrai dire, pour moi, ce n'est même pas une arme du tout: c'est un outil. Un outil au même titre que le marteau ou le tournevis sauf que, contrairement à ces derniers, chacun en a un usage quotidien, quel que soit son métier ou ses passions.
Le couteau est un outil de table, aussi utile qu'une fourchette ou qu'une cuillère pour apprécier un bon repas. C'est un outil de cuisine, grâce auquel on peut préparer le susdit repas. C'est un outil de bricolage qui, contrairement au cutter, n'exige pas qu'on le jette lorsqu'il est usé. C'est un outil de sculpture, un outil de jardinage, un outil de pêche, un outil de marin... Et j'en oublie. Depuis des millénaires, il ne s'est pas passé une journée sans que l'homo-sapiens-sapiens n'ait eu besoin de couper quelque chose, de la peau de bête dont il faisait jadis ses vêtements au carton du colis Amazon dans lequel ils lui sont aujourd'hui expédiés.
Alors pourquoi cette psychose? Le couteau est dangereux, dites-vous? Honnêtement un marteau l'est davantage! Pourtant, on ne se méfie jamais du menuisier que l'on invite dans sa cuisine, l'outil à la ceinture, pour partager un café. Il faut dire que les médias font rarement leurs choux gras d'une agression au marteau... Pour leur défense, l'affaire est expédiée en un seul coup, et le résultat est moins glamour. "Crime passionnel, quinze coups de couteaux dans la poitrine" c'est plus romantique, et puis la tête de la victime présente mieux à l'heure du JT qu'un crâne fracassé à coups de masse, pendant que tout le monde est à table.
Il est indiscutable que de nombreuses lames de dimension réduites ont été conçues au fil des siècles pour blesser autrui. C'est notamment le cas des dagues ou encore des poignards. Mais ce serait une erreur que de confondre ces objets avec le couteau-outil que nous tenons de nos ancêtres et pour qui il n'était qu'un simple accessoire de travail.
Son unique tranchant, sa pointe fragile et fréquemment désaxée (quand elle n'est pas purement et simplement absente) le rendent inadapté au combat. Détourné à cette fin, il se révèle inefficace voire souvent plus dangereux pour son propriétaire que pour un éventuel adversaire. Peur d'une agression dans la rue? Mieux vaut investir dans un spray au poivre que de prendre des cours d'auto-défense avec un adepte du canif! C'est beaucoup moins cher, les chances de repousser l'agresseur sont infiniment plus grandes et les dégâts causés ne sont, eux, jamais irréversibles.
Malheureusement la frontière entre l'arme et l'outil est devenue de plus en plus floue avec le temps et l'émergence de concepts tels que celui du "couteau tactique": ces poignards à peine déguisés que des marketeux sans scrupules essaient de faire passer pour des couteaux ordinaires afin de déculpabiliser l'acheteur potentiel qui n'assume pas son attirance pour les armes. Sans déconner, "couteau tactique"! Et pourquoi pas "Pic à glace dissuasif" ou encore "Pioche de pacification" tant qu'on y est? Hélas, ce type de pratique nuit à l'image du couteau-outil, véhicule l'idée que tous les amateurs de couteaux sont des agresseurs en puissance, et renforce in-fine la légitimité des lois qui en restreignent la possession.
Alors mettons les choses au clair: vous ne croiserez lors de mes déambulations coutelières passées et futures aucune arme, aucun "couteau tactique" ou autre modèle à la destination ambigüe. Il n'y a dans ma collection et dans ma ligne de mire que des modèles conçus pour couper de la matière inerte. Certains visiteurs seront peut-être déçus de ce parti pris et passeront leur chemin. C'est un lectorat auquel je renonce sans le moindre regret. L'idée même que l'on puisse prendre part à ce voyage en nourrissant l'idée d'y trouver de quoi nuire à son prochain m'est insupportable.
Mais, si ce n'est pas pour découper des vierges... A quoi bon s'intéresser aux couteaux? Et surtout, pourquoi les collectionner?
Mon intérêt pour cet objet remonte à l'enfance. Bercé par les aventures de Mc Gyver et les récits de Robinson Crusoé, j'ai toujours considéré cet outil comme la clef qui allait m'ouvrir les portes de l'aventure. Mon premier canif en poche, je partais des après-midi entières avec mon meilleur ami dans la forêt située derrière sa maison. Nous y construisions des cabanes, nous y confectionnions arcs et flèches pour défendre notre fief contre les envahisseurs sortis de nos imaginations, nous y sculptions des épées, nous y taillions du bois pour faire du feu (tentatives qui, avec le recul, eurent le bonheur de ne jamais être fructueuses). Mon couteau était le sésame grâce auquel j'allais pouvoir relever tous les défis... Et c'est ce qu'il est encore aujourd'hui.
La maladie de la collectionnite n'est arrivée que bien plus tard. Pendant longtemps, je me suis satisfait d'un unique couteau à l'usage pratico-pratique. Un modèle peu onéreux, facile à remplacer, et de qualité suffisante pour accomplir aisément toutes les tâches qui lui incombent de façon quotidienne.
J'aurais pu me contenter d'un seul couteau dans ma poche, comme je me contentais d'un seul marteau dans ma boite à outils. Mais là où les créateurs de marteaux ne brillent généralement pas par leur sensibilité artistique et leur capacité à l'innovation, je découvrais bientôt l'incroyable diversité de formes et de mécanisme que les couteliers du monde entier avaient contribué depuis des siècles à mettre à ma portée.
Il n'a suffit que d'un coup de foudre pour me faire plonger. Adepte du lèche-vitrine, il m'arrivait régulièrement de contempler la boutique du coutelier de ma ville, sans jamais oser franchir le pas de sa porte. Je n'étais certes pas insensible aux lignes élégantes de certains de ses modèles, mais le tarif prohibitif de ses plus belles pièces m'avait convaincu qu'il ne s'agissait pas là d'un monde qui m'était destiné. A quoi bon acheter un couteau si c'est pour que sa valeur me dissuade de l'utiliser? Cela n'avait pas de sens.
Et puis je suis tombé sur le couteau qui a tout changé. C'était il y a 10 ans. Derrière la paroi de verre, ses lignes ont immédiatement attiré mon regard. Il n'avait pas l'air des plus pratiques à utiliser mais cela n'avait soudain aucune importance. Il était juste beau.
En cédant à cette pulsion, celle de posséder un couteau pour sa seule apparence, j'acceptais l'idée de posséder un objet pas forcément pour l'utiliser, mais pour le contempler. L'outil devenait œuvre d'art. C'était mon premier couteau "de collection". Je venais de basculer dans un nouveau monde. Avec le recul, il n'était pas si cher. Mais au regard de mes moyens de l'époque, cela représentait une fortune. Un effort qui brisa la barrière psychologique qui me préservait jusque là de cette douce folie.
Le temps passant, mon pouvoir d'achat augmenta, ce qui contribua inéluctablement à repousser la limite du prix que je considérais comme "excessif" pour un couteau, chaque nouvelle acquisition aidant à déculpabiliser la suivante. Ma collection s'agrandissait à un rythme régulier et, ma nature me poussant à aller au bout des choses, mes connaissances également.
Chaque nouvelle pièce de ma collection est l'occasion d'apprendre de nouvelles choses, d'approfondir un sujet précis, qu'il soit technique ou historique. Comment bien entretenir mes couteaux? Quelles sont les différences entre les aciers dont ils sont faits? Depuis quand ce modèle-ci est-il sur le marché? Qui a inventé ce système de verrouillage là? Pour répondre à ces questions, je dévore tout ce qui passe à ma portée: des vidéos d'internautes aux forums de passionnés en passant par les archives des constructeurs, tout est bon à prendre! Ma dernière lubie a été de digérer un traité de métallurgie de 450 pages... en anglais.
Pour m'assurer de ne rien oublier de mes découvertes, je les consigne par écrit et les partage avec l'improbable lecteur que cela pourrait intéresser. Envie d'en savoir plus sur les raisons et la manière d'affûter un couteau? C'est par ici que ça se passe. Curieux de découvrir l'histoire des aciers utilisés pour les couteaux présentés sur ce blog? Suivez le guide. Et la liste n'est pas prête de s'arrêter!
Passionné? Sans aucun doute. Obsédé? C'est possible. En tout cas maintenant, vous comprenez peut être mieux pourquoi je pollue l'Internet avec mes élucubrations.