Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Escapades coutelières

Voyage autour du monde à la découverte de couteaux d'ici et d'ailleurs

David Ponson "Chignore à molette": l'originalité à la française

David Ponson "Chignore à molette": l'originalité à la française
Il était une fois…

Cher lecteur, approche, mets-toi à l'aise, prends une chaise et viens près du feu. Papi couteau va te raconter une belle histoire, une histoire comme il n'en existe qu'au pays arverne.

C'est en effet du côté de l'auvergne que nous partons aujourd'hui, dans la ville de Thiers au charme médiéval, et dont la spécialité mondialement reconnue est…

Le blason de la ville: sa flotte de guerre (à gauche); et son logo: les trois voiles de l'America Cup (à droite)Le blason de la ville: sa flotte de guerre (à gauche); et son logo: les trois voiles de l'America Cup (à droite)

Le blason de la ville: sa flotte de guerre (à gauche); et son logo: les trois voiles de l'America Cup (à droite)

Tous ceux qui ont répondu "la marine" perdent un point en héraldique et passeront au rattrapage! Car oui, c'était une question piège: la réponse était "la coutellerie".

L'histoire de la coutellerie à Thiers est indissociable de celle de la rivière qui traverse la ville: La Durolle. Dès le moyen âge, les hommes exploitèrent ses eaux vivaces pour mouvoir les moulins à farine, les foulons des tanneurs, les maillets des papetiers… ainsi que les martinets des fondeurs et les meules des émouleurs. Il est documenté que, dès le XIIe siècle, près d'un quart de la population de la ville exerçait le métier de coutelier. Les siècles passant, cette prédilection pour la confection de lames se confirma et la ville produit aujourd'hui 80% des objets coupants confectionnés en France: couteaux mais aussi rasoirs, ciseaux, sécateurs, faux, etc.

L'histoire de la ville et de ses environs a été littéralement façonnée par cette activité, comme le témoignent les ruines des rouets que l'on peut aujourd'hui encore visiter dans la vallée éponyme (vallée des rouets) située en amont de la ville; les anciennes usines classées monuments historiques de la vallée elle aussi éponyme (vallée des usines) située en aval; ou encore le musée municipal entièrement dédié… à la coutellerie et situé dans la rue… de la coutellerie. Autant de lieux qui mériteraient leur propre article tant leur histoire est riche et passionnante: des conditions de travail difficiles des émouleurs, qui œuvraient allongés à plat ventre au dessus de leur meule, aux premiers mouvements sociaux et à la modernisation de l'industrie, en passant par l'histoire des grandes familles qui ont forgé cette industrie, il y a tant de choses à découvrir que l'on pourrait y passer la journée, et plus encore.

Ruines d'un rouet (à gauche), rue et musée de la coutellerie (au centre) et conditions de travail des émouleurs au début du XXe siècle (à droite)Ruines d'un rouet (à gauche), rue et musée de la coutellerie (au centre) et conditions de travail des émouleurs au début du XXe siècle (à droite)Ruines d'un rouet (à gauche), rue et musée de la coutellerie (au centre) et conditions de travail des émouleurs au début du XXe siècle (à droite)

Ruines d'un rouet (à gauche), rue et musée de la coutellerie (au centre) et conditions de travail des émouleurs au début du XXe siècle (à droite)

(Images Wikipedia)

Si les visiteurs actuels de la ville sont familiers avec le couteau appelé "Le Thiers" que l'on retrouve dans les vitrines des nombreux commerçants de la rue des couteliers, beaucoup ignorent que l'immense majorité des couteaux dits "régionaux" sont également réalisés à Thiers: Laguiole en tête, Aurillac, Garonnais, Pradel, Aveyronnais, Langre, Poisson, London, Normand, Coursolle, Nontron, Aubrac, Armoric, Corse et consorts à sa suite. La coutellerie Thiernoise est donc profondément ancrée dans un approche traditionnelle de la coutellerie, que l'on pourrait presque qualifier de "figée" au regard des innovations constantes que l'on observe sur la scène internationale: 95% des modèles produits dans le bassin thiernois sont assemblés avec des rivets, dotés d'un cran forcé et articulés par un clou.

La visite de l'atelier du musée de la coutellerie ne fait que confirmer cette impression: on y présente au visiteur LA façon de fabriquer un couteau, c'est à dire d'ajuster le ressort du cran forcé et de fixer les rivets pour assembler les fournitures produites en usine. Même l'exposition de pièces "modernes" proposée à la fin du parcours manque cruellement d'innovations techniques et ne se distingue que par des formes de lame, de manches ou de motifs damassés originaux.

"L'audace" visible au musée de la coutellerie: une création récente au design délicieusement régressif mais à la mécanique désespérément classique

"L'audace" visible au musée de la coutellerie: une création récente au design délicieusement régressif mais à la mécanique désespérément classique

Quand aux articles exposés dans les salles dédiées à l'histoire de ce métier, on peut y lire que le premier critère pour obtenir le titre de "maître coutelier" créé au XIXe siècle par le syndicat des couteliers thiernois est d'être originaire de la ville de Thiers.

Tous ces éléments laissent à penser que l'industrie coutelière de cette ville, qui se gargarise à juste titre de posséder le monopole de la production française, manque cruellement de curiosité vis à vis de ce qui se passe dans le reste du monde et ne surveille les "progrès de la concurrence" qu'en regardant ce qui se fait au bout de la rue. Cette auto-suffisance que l'on pourrait assimiler à une certaine forme d'arrogance laisse à l'amateur averti qui explore les boutiques de la ville, désespérément vides de modèles non-thiernois, le sentiment d'évoluer dans une bulle spatio-temporelle où le temps se serait arrêté il y a 50 ans.

Dans ce paysage singulier, le modèle sur lequel nous allons nous pencher aujourd'hui est aussi original au regard des critères thiernois qu'il est conforme aux standards internationaux. Une parfaite illustration du concept d'originalité à la française!

Présentation générale

Ce modèle intitulé "Le Chignore" n'est pas ce que l'on appelle un "modèle régional libre d'usage" que n'importe quel coutelier peut produire à son compte, mais bel et bien une création originale de David Ponson et ses deux fils Florian et Arnaud. Baptisé ainsi en référence au "Grün de Chignore", un massif granitique culminant à 1075m et situé à 5kms au sud-est de leur atelier de la rue des couteliers, ce design n'est disponible que dans la boutique de l'artisan et sur son site web.

Disponible en deux variantes: une "classique" à cran forcé et une "moderne" à molette, ce couteau est proposé dans une grande variété de plaquettes aux matériaux divers, toutes réalisées à la main. L'exemplaire sur lequel j'ai jeté mon dévolu à l'issue d'une longue et passionnante discussion avec l'un des fils Ponson qui tenait boutique ce jour là est équipé du mécanisme le plus moderne proposé par l'artisan.

Je dois avouer que j'ai longuement hésité, étant de passage dans la région, à repartir avec un exemplaire du modèle "Le Thiers" emblématique de la ville. Mais le classicisme de sa conception et le fait qu'il soit largement disponible dans l'ensemble des commerces de l'hexagone suffirent à orienter mon choix vers un couteau à la fois plus original et exclusif.

Nan, ya pas à dire... ça a quand même de la gueule!

Nan, ya pas à dire... ça a quand même de la gueule!

Le côté en acier

Bien que ne ressemblant à aucun modèle "régional" connu de la production thiernoise, ce profil drop-point aussi fonctionnel que polyvalent ne dénote pas face à la concurrence internationale.

Caractéristiques techniques
Longueur 83mm
Longueur de coupe 79mm
Hauteur 19mm
Épaisseur 3mm
Épaisseur derrière le fil 0.3mm
Angle d'émouture primaire 4.17°
Type d'émouture primaire Plate
Matériau 12C27
Dureté* 57 HRC

(* donnée aciériste)

Cette lame toute en longueur et en finesse fait preuve d'une élégante sobriété. Pour seul artifice, on retrouve sur son large ricasso le nom du créateur gravé côté droit, et celui de la société chargée des fournitures côté gauche.

Côté droit (à gauche) et côté gauche (à droite)Côté droit (à gauche) et côté gauche (à droite)

Côté droit (à gauche) et côté gauche (à droite)

C'est en effet l'entreprise thiernoise Florinox, dont nous serons amenés à reparler dans un futur article, qui réalise pour la famille Ponson le gabarit de la lame, les platines et surtout la molette qui caractérise ce modèle. C'est donc en toute transparence que le couteau exhibe ce partenariat. De ce même côté gauche, sur lequel est monté le Liner Lock, l'œil averti peut entrevoir l'orifice destiné à accueillir la bille de détente, et qui affleure des platines lorsque la lame est dépliée; un détail dont on se serait volontiers passé, sachant la propension qu'à cette cavité aveugle à accumuler la crasse et à atténuer ce faisant l'effet de la détente.

Chose inhabituelle, la nuance d'acier utilisée pour ce modèle n'est pas indiquée à même la lame et c'est auprès de l'artisan qu'il faut obtenir cette information. Renseignement pris, et après avoir maladroitement fait remarquer à mon interlocuteur qu'il s'agissait du même acier que celui utilisé par Opinel, je dus faire face dans un premier temps à une réaction d'incrédulité "Certainement pas, Opinel ne peut pas sortir des pièces à 10€ avec un acier de cette qualité" puis, une fois l'information vérifiée, à un embarras orné de nombreuses justifications "En même temps, avec les quantités qu'ils produisent, ils font des économies d'échelle... Et puis ils ne travaillent pas avec le même soin que nous... En tout cas, ça explique pourquoi les Opinels coupent aussi bien..."

Pourtant, loin de moi l'idée de leur reprocher de quelque manière que ce soit le tarif ou la finition de leur couteau en me laissant à aller à cette comparaison: mon intention n'était que purement didactique et afin d'alimenter une conversation au demeurant captivante. Le fait que les Opinel soient bon marchés et fabriqués en masse ne signifie en rien que leur acier est mauvais, et présage encore moins de la qualité des autres couteaux faits du même alliage! Si toutefois, cher lecteur, ce choix d'acier était de nature à te faire passer ton chemin, sache que les futurs exemplaires du Chignore seront réalisés en 14C28N, vers lequel le coutelier migre progressivement sa production à mesure qu'il écoule ses stocks de fournitures.

Mais en l'état, on ne peut pas reprocher grand chose à cette lame dans le contexte de l'usage principalement alimentaire auquel elle se destine: bien que doté d'une tenue de tranchant limité, l'acier scandinave choisi par messieurs Ponson (et spécifiquement conçu pour les scalpels et les rasoirs) est doté d'une grande finesse de grain et capable de prendre un fil particulièrement aigu. Combiné à une émouture pleine et une épaisseur contenue qui ne lui laissent que peu de matière derrière le fil, elle tranche les entrecôtes comme un outil de chirurgien.

Petite astuce d'un amoureux des couteaux qui coupent longtemps: utiliser une assiette en bois ou manger sur une planche à découper!

Petite astuce d'un amoureux des couteaux qui coupent longtemps: utiliser une assiette en bois ou manger sur une planche à découper!

D'une longueur suffisante pour débiter les viandes les plus épaisses et les légumes les plus généreux, dotée d'un arrondi bien dosé qui permet d'en exploiter le fil de la base jusqu'à la pointe, cette lame est un réel atout à l'heure du repas. Comble du raffinement que ne manqueront pas d'apprécier les propriétaires de belles nappes, le couteau tout entier est conçu pour pouvoir être posé sur la table sans que sa lame baignée de sauce ne vienne souiller le tissu.

Un cas typique de couteau à molette.

Un cas typique de couteau à molette.

Posé à côté d'une assiette, le reproche que l'on pourrait faire à cette lame est de disposer d'une épaisseur superflue qui l'empêche de se glisser entre les dents d'une fourchette pour couper la salade.

On pourra également regretter le fait que la base de son fil accuse un léger concave en raison d'une épaisse entablure et que ce phénomène soit voué à s'aggraver en l'absence de casse-goutte.

Face à des usages plus orientés vers l'extérieur, tels que de petites tâches de jardinage ou de bricolage, la polyvalence du drop-point et l'acuité de sa pointe font mouche, bien que la solidité de cette dernière soit à prendre au conditionnel.

Le côté en papier

Bien que majoritairement composé de métal, le manche de ce couteau se fait remarquer par des plaquettes originales réalisées dans un matériau composite fait de papier recyclé et de résine sans pétrole.

Caractéristiques techniques
Longueur 108.5mm
Hauteur 17mm
Épaisseur 17mm
Platines Acier inox
Plaquettes PaperStone®

D'une longueur suffisante pour loger tous les doigts à condition de ne pas battre en retrait face à l'imposante molette, ce manche présente une bonne ergonomie générale. Sa hauteur contenue est compensée par une bonne épaisseur qui remplit bien la main lorsqu'on le tient entre la base des phalanges. Ce n'est pas un couteau que l'on serre au creux de sa paume, mais il ne se tient pas non plus du bout des doigts. Sa bonne neutralité ergonomique, si l'on fait encore une fois abstraction de son imposante molette, laisse une grande liberté à son utilisateur et l'absence d'arête vive contribue au confort général de l'ensemble.

Tandis que le choix d'un verrouillage par Liner Lock laisse au créateur la possibilité d'évider complètement le dos de son manche et de ne laisser entre les platines qu'une paire d'entretoise, David Ponson prend le parti de rester fidèle aux lignes du Chignore "classique" équipé d'un cran forcé. Le ressort du modèle éponyme est donc ici remplacé par une entretoise métallique joliment guillochée.

Le genre de petites attentions qui fait toujours plaisir.

Le genre de petites attentions qui fait toujours plaisir.

La butée d'ouverture étant dissimulée à l'intérieur de l'articulation, derrière la molette, la lame n'entre pas en contact avec cet habillage et arbore par conséquent une forme parfaitement arrondie à ce niveau. Bien que relevant du mécanisme d'ouverture, la molette omniprésente fait partie intégrante des lignes de ce manche. Du fait de son diamètre conséquent (sans lequel elle ne pourrait pas remplir correctement son office), elle occupe un volume significatif et tend à faire reculer les doigts de l'utilisateur, un parti pris autant esthétique qu'ergonomique qui ne plaira pas à tous. Ce n'est qu'en retournant le manche de l'autre côté que l'on réalise à quel point ce cercle de métal affecte les lignes originelles du Chignore.

Le manche côté droit (à gauche) et côté gauche (à droite)Le manche côté droit (à gauche) et côté gauche (à droite)

Le manche côté droit (à gauche) et côté gauche (à droite)

Mais la véritable curiosité de l'expo, c'est évidemment le PaperStone® dont sont faites les plaquettes. Ce matériau produit au Canada est constitué d'un mélange de papier recyclé et de résine d'acajou. Dans la version utilisée pour ce couteau, une succession de strates bicolores marron et beige s'expose au gré des reliefs sculptés par l'artisan, tel un damas de fibres bio. Le résultat ne manque ni d'originalité ni de charme.

L'effet 3D est saisissant.
L'effet 3D est saisissant.

L'effet 3D est saisissant.

Enfin, comme on peut le voir ci-dessus, l'entretoise placée sur le dos du manche dépasse au niveau du pommeau et arbore un orifice sans doute assimilable à un passe-lanière, bien que la petitesse de son diamètre me laisse dubitatif (à ne pas confondre avec "éjaculateur précoce") quand à la possibilité d'y glisser une dragonne.

Le côté entre les deux côtés

A mi-chemin entre une lame convenue et un manche plein de caractère se trouve l'articulation qui rend ce couteau pliant, et on lui en sait gré. Doté d'un système verrouillage ultra-classique, elle arbore en revanche un mécanisme d'ouverture pour le moins inhabituel.

Commençons par le plus simple: le Liner Lock. Il n'y a en effet pas grande chose à dire sur cette exécution sans fantaisie du mécanisme le plus répandu au monde... A part le fait qu'il est visiblement tellement exceptionnel de le rencontrer sur une production du bassin thiernois que mon interlocuteur s'est senti obligé de m'en expliquer le fonctionnement! Cet épisode quelque peu embarrassant derrière moi, je pus dès lors me pencher sur le détail de son implémentation.

Bien dosé, il verrouille solidement la lame avec un "cloc" rassurant et s'avère confortable à libérer, grâce notamment à une découpe intelligente des plaquettes rendant ce dernier facilement accessible.

On ne trouve pas ça chez tout le monde.

On ne trouve pas ça chez tout le monde.

Il est en revanche difficile de se faire une idée sur la fermeté de sa détente, au sujet de laquelle j'écrivais plus haut que son orifice exposé était prompt à accumuler la crasse, car la rigidité de la charnière est telle qu'il est tout simplement impossible de sentir le moment où la détente cède.

Et c'est bien là que le bât blesse: malgré un diamètre confortable offrant un levier théoriquement suffisant pour déplier la lame sans effort, la molette peine à remplir son office en raison d'une articulation particulièrement raide qu'aucun roulement à billes ou rondelle ne vient assouplir. Le métal glisse contre le métal, faisant crisser les impuretés qui se sont frayées un chemin entre ces plans serrés l'un contre l'autre par un axe dissimulé sous la molette et inaccessible sans les outils adéquats (si tant est que cette dernière soit effectivement démontable, ce qui reste à prouver). Si ouvrir ce couteau à une main constitue un défi en soi, le faire d'un unique geste du pouce relève de la gageure. Ce n'est qu'à l'issue de multiples tractions, reprenant prise après prise sur la roue crantée du mécanisme dont les dents sont juste assez petites pour glisser sur la peau humide, mais assez grosses pour que cela soit désagréable, que l'on peut espérer voir la lame se déplier jusqu'à sentir le "cloc" salvateur du Liner Lock, signe que le calvaire est terminé.

À l'inverse de bien des couteaux qui ont été ou seront présentés dans ces pages, la manipulation de ce mécanisme d'ouverture ne procure aucune satisfaction particulière, et c'est au contraire une expérience que l'on s'efforce de ne pas avoir à renouveler trop souvent, quitte à emporter avec soi un second modèle disposant d'un meilleur facteur récréatif.

Arrivé à la moitié du chemin, la victime n'a qu'une certitude: ce n'est pas un hand spinner.

Arrivé à la moitié du chemin, la victime n'a qu'une certitude: ce n'est pas un hand spinner.

Et c'est dommage car l'idée de la molette, bien que loin d'être révolutionnaire elle aussi (mon frère possédait un couteau doté d'un mécanisme similaire dans les années 90) était séduisante et laissait espérer un bon agrément d'utilisation.

Le côté transport

Dépourvu de clip, ce couteau se loge au fond de la poche. A cet effet, et pour éviter toute ouverture accidentelle bien qu'improbable, il est accompagné d'un étui en cuir à la conception sommaire et duquel il est notablement difficile à extraire, surtout si l'on a fait preuve de trop d'enthousiasme au moment de l'y insérer.

Ces modalités combinées de transport et d'ouverture tendent à confirmer la prédisposition de ce couteau à habiller une table plutôt qu'à dépanner son utilisateur dans l'urgence.

Bien que fabriqué à Thiers, il ne bénéficie pas des jurisprudences relatives aux "couteaux de tradition" qui permettent au français de type caucasien (et uniquement à celui-ci) de bénéficier d'une tolérance tacite de la part des forces de l'ordre lorsqu'il est contrôlé avec son Laguiole dans la poche. De plus, son système de verrouillage le classe irrémédiablement dans la catégorie des armes blanches du point de vue de la loi.

Si son apparence est susceptible d'évoquer la coutellerie de tradition française, ses formes inhabituelles et sa pointe acérée ne le mettent cependant pas à l'abri des regards réprobateurs s'il venait à surgir d'une poche en pleine rue. En revanche, délicatement posé à côté d'une assiette, il y a fort à parier pour qu'il puisse susciter la curiosité voir l'intérêt. Tout est une question de contexte après tout.

Le côté budget

175€, c'est le prix qu'il faudra débourser pour cette création originale et semi-artisanale, comme ils disent là bas: les fournitures (gabarit de lame, plaquettes, molette, visserie...) sont réalisées de façon industrielle, l'assemblage, les ajustements, les finitions et les plaquettes sont faits à la main. C'est le double du tarif pour un modèle "Le Tiers" proposé par le même artisan dans les mêmes matériaux, mais le tirage n'est évidemment pas le même et la concurrence moins agressive sur ce design propriétaire.

A ce prix, on dispose d'un couteau de qualité aux finitions soignées, mais qui souffre néanmoins d'un manque de souplesse dont il est difficile de dire s'il est propre à cet exemplaire ou présent sur tous ses semblables. La situation est telle que je suis en l'état tenté par une opération de démontage destinée à régler ce souci. C'est regrettable car d'une part cela ne devrait pas être nécessaire sur un couteau fait main, et d'autre part je n'ai aucune garantie de pouvoir aller jusqu'au bout de ce projet ni même de pouvoir réassembler ce que j'aurais réussi à désassembler, faute de visibilité sur les détails de sa conception.

Cela étant dit, il reste un couteau "abordable" qui procure à son propriétaire une satisfaction autant esthétique que pratique, lorsqu'il repose sagement sur la table d'un grand restaurant.

Une petite dernière pour la route, parce qu'on ne s'en lasse pas

Une petite dernière pour la route, parce qu'on ne s'en lasse pas

Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants

S'il souffre d'un réel défaut lié à la raideur de son articulation, le Chignore n'en constitue pas moins un couteau plein de charme qui mérite le détour. Mais plus que les qualités de cette jolie pièce, ce qui m'a surtout donné envie d'en parler aujourd'hui c'est l'expérience qu'il m'a été donnée de vivre avant et pendant son acquisition.

La visite de la ville de Thiers, cette sensation d'avoir pénétré une machine à remonter dans le temps et la découverte d'un univers à la fois riche et pourtant replié sur lui-même... Le Chignore "à molette et liner lock" synthétise à merveille cette aventure grâce à la manière dont il illustre une audace indéniable de la part d'un créateur piégé dans le paysage thiernois, et se révèle à la fois tellement conventionnel vis à vis des standards internationaux.

Une dernière petite anecdote pour la route: tandis que le coutelier me vantait les mérites de son design "qui intègre à la perfection le talon de la lame dans les lignes du manche, de sorte à ne pas exposer d'angle saillant [comme on en trouve sur les modèles à cran forcé tels que "Le Thiers"]", je n'ai pas pu m'empêcher de sortir de ma poche le Sandrin Dellatorre qui s'y trouvait, pour appuyer son propos et l'illustrer à l'aide d'un autre couteau que je considérais comme "bien conçu". Quelle ne fut pas alors ma surprise de voir les yeux écarquillés d'un homme qui découvrait ce modèle comme s'il venait d'atterrir sur une autre planète! Partant du principe qu'il avait fait de la coutellerie son métier, je m'attendais en effet naïvement à ce qu'il soit familier avec les dernières innovations de la planète couteau; il n'en était rien. Après qu'il eut ameuté tous les vendeurs du magasin pour partager sa découverte, je me trouvais en position de présenter le concept du carbure de Tungstène, ses avantages et inconvénients et ses applications en coutellerie. Pour un peu, ce jour là, c'était moi qui vendais un couteau!

Cet instant fut une révélation, et l'occasion d'apprendre que l'expression "les cordonniers sont les plus mal chaussés" s'applique aussi aux couteliers.

Pour la prochaine étape de notre périple, nous partirons vers... Et bien je n'en sais encore rien! Nous verrons bien vers quels horizons les vents nous pousseront.

D'ici là, passez une bonne journée et évitez les blogs rasoirs.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article