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Escapades coutelières

Voyage autour du monde à la découverte de couteaux d'ici et d'ailleurs

Per Chémereau "Cabestan": 100% pur beurre

Per Chémereau "Cabestan": 100% pur beurre
Introduction générique mais néanmoins personnalisée

Cher lecteur, veuille insérer les salutations d'usage et compléter toi-même ce paragraphe introductif avec ce que tu aurais aimé lire en découvrant cet article.

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Ça y est, c'est fait? Pas facile hein! Franchement, en tant qu'auteur (bénévole de surcroît) c'est toujours la partie la plus difficile, les premières lignes. Celles qu'on réécrit une vingtaine de fois alors que le reste de l'article coule comme un ruisseau printanier. Celles qui décideront si le lecteur potentiel s'enfuira avant d'avoir atteint la première virgule, ou s'il restera nous tenir compagnie jusqu'au bout de l'aventure. Il faut qu'elles soient assez vagues pour que tout le monde puisse se sentir concerné, tout en étant suffisamment personnalisées pour créer cette connivence qui engage émotionnellement l'interlocuteur virtuel dans la lecture des paragraphes qui suivent. Un vrai casse-tête, je te dis! Alors comme aujourd'hui je manquais justement d'inspiration pour créer la magie, j'ai décidé de te faire bosser un peu. Merci d'avance, tu ne peux pas savoir à quel point ça me soulage!

Introduction quand même

Ce premier cap passé, nous pouvons à présent reprendre sereinement la suite de notre voyage autour du monde des couteaux, et faire escale dans un petit pays côtier frontalier de la France: la Bretagne. Peuplée par des indigènes aux coutumes étranges et à l'haleine chargée d'effluves de chouchen (un genre d'hydromel local qu'ils obtiennent en broyant des abeilles dans des seaux d'alcool à brûler), cette région du monde n'en est pas moins pourvue d'un riche paysage coutelier issue de sa culture ancrée à la fois dans une tradition celto-médiévale et marine.

En effet ses villes et ses villages, en plus d'être périodiquement le théâtre de pratiques acoustiques barbares dénommées "Fest-noz", hébergent de nombreux couteliers et forgerons-couteliers amateurs comme professionnels, exerçant pour certains leur métier dans le plus pur respect d'une tradition directement héritée du moyen-âge. Comme partout ailleurs, la majorité d'entre eux produit des œuvres à l'incontestable valeur artistique et parfois même historique, tandis qu'une minorité peu scrupuleuse s'acharne à saper la crédibilité des premiers en vendant à prix d'or des articles bâclés et/ou importés, et accompagnés d'un discours trompeur et mensonger.

Voilà pour l'offre locale. Pour ce qui est de la demande: ses innombrables ports accueillent de tout autant innombrables marins qui ne peuvent compter que sur leur canif pour affronter les périls du large (ou couper le saucisson au ponton quand la météo annonce un coup de vent); tandis que ses territoires majoritairement ruraux invitent à la randonnée et/ou au travail de la terre, autant d'activités qu'il serait incongru de considérer sans un outil adéquat.

Dans ce contexte, il n'est pas surprenant de constater qu'il est possible pour certains artisans et commerçants de vivre de leur passion du couteau. C'est le cas de monsieur Pierre "Per" Chémereau, dont la boutique et l'atelier sont installés à Vannes (préfecture du Morbihan) depuis 1994. Véritable passionné, il pratique aussi bien la forge que la découpe de lame, et propose à ses clients un large choix de créations personnelles artisanales et semi-artisanales, ainsi que de nombreux modèles issus de grandes marques industrielles internationales dont certaines ont déjà été évoquées dans ces pages et d'autres le seront bientôt.

Ouverture d'une brève parenthèse

Peut être est-il opportun de préciser qu'il existe en effet deux techniques distinctes pour fabriquer une lame: la forge et la découpe. La forge consiste à chauffer et à marteler un morceau d'acier jusqu'à lui donner la forme d'une lame tandis que la découpe consiste à découper à froid la forme d'une lame dans une plaque d'acier existante.

Forge (à gauche) contre retrait de matière (à droite)Forge (à gauche) contre retrait de matière (à droite)

Forge (à gauche) contre retrait de matière (à droite)

Les images ci-dessus proviennent respectivement des sites web référencés par les liens suivants: Lame forgée et Lame découpée

Comme il est aisé de le deviner, la seconde méthode est beaucoup plus adaptée à la production industrielle et par conséquent largement décriée par toute une catégorie de cétaitmieuxavantistes indécrottables. Pour autant, une lame "découpée" n'est en aucun point inférieure à une lame "forgée" d'un point de vue mécanique, surtout si l'on considère que la découpe est toujours effectuée dans un acier préalablement forgé par laminage au sein de l'aciérie. En tout cas, ceux qui soutiennent le contraire n'ont pas -à ma connaissance- d'étude comparative rigoureuse pour étayer leurs propos.

En outre, les aciers hautement alliés modernes en général (et les aciers inoxydables en particulier) ne sont pas tous adaptés au travail à la forge en raison principalement d'une croissance indésirable du volume de leurs carbures lorsqu'on les maintient trop longtemps à température élevée.

Un bon artisan choisira donc la technique adaptée à l'acier demandé par son client, comme le fait monsieur Chémereau, tandis qu'un mauvais artisan artisan rétrograde essayera de convaincre son client, peu importe le besoin de celui-ci, de choisir un acier "de forge" en lui servant toutes sortes de mensonges destinés à masquer son incapacité à travailler correctement les autres, le plus courant étant l'infériorité supposée des aciers inoxydables vis à vis des bons vieux "carbones".

Fermeture de la parenthèse et fin de l'introduction

Pour ses créations personnelles et artisanales, puisque c'est à l'une d'elles que nous allons nous intéresser aujourd'hui, Per Chémereau travaille donc toutes sortes d'aciers, auxquels il aime associer des essences de bois locales et emblématique du pays Breton, et réalise également lui-même les étuis. Le tout en étroite collaboration avec son client, n'hésitant pas à poser des questions, multiplier les croquis, faire manipuler les patrons de bois, faire toucher les essences et échangeant régulièrement sur l'avancement de ses travaux. La visite de l'atelier à elle-seule illustre la grande transparence et l'attention dont bénéficie l'heureux élu qui aura eu la patience de trouver une place dans son carnet de commande bien rempli.

Présentation générale

Le modèle du jour, vous l'aurez compris, est donc une réalisation entièrement artisanale baptisée "Cabestan" par son créateur. Un couteau fixe destiné en premier lieu à un usage marin et conçu spécifiquement dans ce but.

Paré à prendre le large!
Paré à prendre le large!

Paré à prendre le large!

Sa forme a été étudiée pour les différentes tâches que l'on est susceptible d'accomplir à bord et ses matériaux choisis pour résister à l'environnement humide et salé qui caractérise la vie en mer. L'acier inoxydable a donc été travaillé en conséquence, c'est à dire par retrait de matière et non à la forge. Il en résulte une pièce unique et taillée sur mesure pour servir souvent, et servir longtemps.

Il n'est en effet pas rare d'entendre monsieur Chémereau dire que, si ses créations se retrouvent parfois derrière une vitrine, cela lui fait toujours un pincement au cœur d'imaginer que l'un de ses couteaux puisse ne pas servir. Passionné avant tout par l'outil et les perspectives qu'il ouvre à son possesseur, se sentant Robinson Crusoé à chaque fois qu'il saisit le manche d'un couteau, son ambition première est de fournir des outils utilisables et utilisés.

La lame…bé an dro

Cette généreuse pièce de métal qui sert également de pleine soie constitue l'âme et le corps de ce couteau au profil pour le moins atypique

Caractéristiques techniques
Longueur 102.5mm
Longueur de coupe 100mm
Hauteur 30mm
Épaisseur 3.1mm
Épaisseur derrière le fil 0.4mm
Angle d'émouture primaire 2.57°
Type d'émouture primaire Plate
Matériau X90CrMoV18
Dureté* 59 HRC

(* données Eurotechni)

Un premier point rapide mérite d'être fait sur l'astérisque ci-dessus. En effet, alors que mes articles précédents faisaient état d'une "donnée constructeur", ce n'est pas auprès de l'artisan que j'ai obtenu la dureté de cette lame mais du prestataire spécialisé chez lequel son traitement thermique a été réalisé. La plupart des aciers inoxydables requièrent en effet un traitement exigeant, lequel nécessite du matériel coûteux que tous les artisans ne peuvent pas s'offrir. Il est donc courant de déléguer cette opération à un tiers. N'ayant à l'époque (2017) pas encore investi dans le four de trempe qu'il utilise depuis 2019, monsieur Chémereau faisait alors réaliser l'ensemble de ses traitements par la société Eurotechni. C'est donc en toute transparence qu'il m'a fourni l'ensemble des données techniques mises à disposition par ce prestataire, allant de la composition chimique de la nuance d'acier utilisée aux méthodes de trempe utilisées par l'entreprise et à la dureté correspondante. Une belle marque de professionnalisme et de respect du client.

Le choix du métal lui-même fut, plus que tout autre élément dans la conception de ce type de pièce sur-mesure, l'occasion de nombreuses réflexions et de concessions. Il s'agissait de trouver le bon équilibre entre résistance à la corrosion, tenue du tranchant et coût de réalisation. Nous avons finalement jeté ensemble notre dévolu sur un acier présentant un bon compromis, à défaut d'être premium. Délicate à affûter rasoir, cette lame bénéficie néanmoins d'une bonne géométrie de coupe grâce à sa hauteur significative et son émouture pleine qui compense l'épaisseur conséquente responsable de sa robustesse. Pour les tâches alimentaires comme au gréement, ce couteau fait le taf sans sourciller.

Mais ce qui le rend particulièrement adapté à ces usages, c'est évidemment son profil atypique, hybride improbable entre un pied de mouton et un couteau de chef:

Sobre, efficace

Sobre, efficace

Si on retrouve fréquemment le pied de mouton sur les couteaux de marins, c'est parce que l'absence de pointe qui le caractérise diminue grandement le risque d'accident dans un environnement par nature instable. Qu'il s'agisse d'une voile ou d'un membre d'équipage, une pointe acérée a hélas tôt fait de commettre l'irréparable lorsque son utilisateur est soumis aux chaos imprévisible d'une mer en furie.

Sur la base de cette forme sécurisante, le coutelier a ensuite tracé un fil situé intentionnellement plus bas que la ligne du manche, à la manière d'un couteau de cuisine, ce qui permet d'utiliser ce couteau pour couper sur une planche sans s'y écraser les doigts. Associée à un arrondi subtil mais suffisant pour faire rouler le tranchant sur la planche en question, cette géométrie se prête à la perfection aux tâches culinaires et apéritives.

S'il était de coutume chez les marins de couper le saucisson avec le même couteau que leur cordage pour des raisons pratiques (la graisse alimentaire préservant dans une certaine mesure la lame contre la corrosion à une époque où les acier inoxydables n'étaient pas encore répandus), cette lame se prête à ces deux usages non par nécessité mais parce qu'elle y est parfaitement adaptée.

Esthétiquement parlant, sa forme pourrait faire penser à la tête d'un cachalot, avec la bosse proéminente qui lui sert de front. Cet excès de matière déséquilibre légèrement le couteau mais lui donne également tout son caractère. Privé de cette protubérance, la lame adopterait le profil pointu d'un couteau de chef et y perdrait en originalité ce qu'elle gagnerait en agressivité. Au lieu de cela, on peut en l'état lui concéder une certaine bonhomie que souligne la sobriété de sa finition sans fioritures. Un ricasso en biais qui débouche sur la garde (et empêche ainsi l'entablure de gêner l'opération d'affûtage), des flancs satinés et pour tout apparat le poinçon de son créateur apposé -chose inhabituelle- du côté gauche de la lame.

Le manche…ouchen

D'une conception rudimentaire, cette pièce n'en est pas moins pourvue d'un charme certain.

Caractéristiques techniques
Longueur 103mm
Hauteur 23mm
Épaisseur 16.7mm
Plaquettes Buis
Montage Plate semelle

Il s'agit donc pour ce couteau fixe d'un montage pleine soie (l'acier de la lame traverse le manche de part en part) et plus précisément à plate semelle (le profil du manche est entièrement dessiné par le métal, sur lequel de simple plaquettes sont fixées). Il en résulte un couteau d'une grande robustesse.

Essaie de plier ça pour voir...

Essaie de plier ça pour voir...

De profil, sa forme neutre et douce offre une excellente ergonomie qu'aucune arête vive ne vient compromettre, même si quelques millimètres supplémentaires auraient permis à tous les doigts d'une grande main d'y trouver leur place, ainsi qu'à mieux compenser le déséquilibre engendré par les dimensions généreuses de la lame. Pour autant la prise en main est extrêmement confortable, que cela soit entre les phalanges ou dans le creux de la paume, en raison notamment de l'épaisseur généreuse de ses plaquettes. La main trouve naturellement sa place grâce à la garde profonde et sécurisante formée par le profil de la lame.

Limite conçu pour se camoufler dans la savane

Limite conçu pour se camoufler dans la savane

Côté habillage, l'artisan et son client se sont accordés sur le buis: un bois typiquement Breton présentant ici un motif tigré des plus plaisants. Probablement centenaire pour posséder un tel diamètre, il pourrait être qualifié de semi-précieux. Régulièrement entretenu à l'huile de lin, il acquiert avec les années une patine caractéristique qui n'est pas étrangère à son charme. La taille et le polissage des plaquettes ayant été réalisé une fois ces dernières rivetées à la soie, il est impossible de sentir la transition entre le bois et le métal autrement qu'à la chaleur des matériaux respectifs.

Le port… de Vannes

Sa nature inflexible lui interdisant l'accès à toutes les poches, ce couteau se dote pour le transport d'un étui en cuir réalisé, lui-aussi, sur mesure.

Ya pas à dire, c'est propre.
Ya pas à dire, c'est propre.

Ya pas à dire, c'est propre.

Idéalement dimensionné, il retient la lame même lorsque son collier à pression n'est pas refermé et permet un transport en toute insouciance (bien qu'illégal en dehors des limites fixées par le bastingage). Conçu pour un port à droite, il ne dispose hélas pas des modalités de fixation que j'avais demandé à l'artisan. Plutôt que de le sentir pendre verticalement à mes côtés (et s'accrocher aux aspérités du cockpit), j'aurais en effet préféré pouvoir le fixer horizontalement à ma ceinture. La situation n'est certes pas irrémédiable et de nombreux artisans compétents sauraient me fabriquer un nouvel étui répondant à mes attentes, mais j'aurais toutefois apprécié que mon interlocuteur initial soit en mesure d'exaucer mon souhait, quitte à sortir de la zone de confort dans laquelle il se confina à cette occasion.

Une fois dégainé, il est possible de sécuriser ce couteau à l'aide d'une dragonne, grâce à l'orifice passe-lanière aménagé à cet effet au niveau du pommeau.

Bien que notoirement illégal dans les pays limitrophes (France comprise) car faisant partie des lames dites "fixes" assimilées aux poignards, ce couteau dispose d'un excellent facteur d'acceptabilité sociale grâce à ses formes dénuées d'agressivité et au charme boisé de son manche. Il suscitera donc plus fréquemment les regards admiratifs ou curieux que réprobateurs.

L'argent du beurre… salé

Nous arrivons au sujet qui fâche: le prix. Lorsqu'il s'agit d'ouvrir le porte-monnaie, il est en effet aisé d'oublier les heures de travail qu'implique une réalisation 100% artisanale et de se concentrer uniquement sur la simplicité de l'objet et le coût de ses matériaux.

Oui, ce n'est qu'une plaque d'acier de qualité moyenne sur laquelle on a apposé deux morceaux de bois. Des fournitures que l'on pourrait sans doute se procurer pour quelques dizaines d'euros et assembler soi-même avec les outils adéquats… Mais le résultat ressemblerait-il à ceci?

Tu peux pas test

Tu peux pas test

Honnêtement, j'en doute.

Il y a derrière cette pièce unique un dessin, un savoir-faire, des heures de travail et une attention du détail qui justifie d'autant plus les 500€ demandés par l'artisan qu'à ce tarif, on bénéficie des conseils avisés d'un expert passionné et d'un suivi personnalisé de sa commande tout au long des étapes de sa création. Il ne s'agit donc pas tant d'acheter un objet que de s'offrir une expérience.

Est-ce pour autant un couteau d'exposition que l'on garde précieusement derrière une vitrine? Je suis fier de pouvoir dire que non: je lui en ai fait voir de toutes les couleurs à ce cabestan. En mer ou à terre, il m'a servi dans bien des situations et, malgré mes soins attentionnés, porte désormais les marques indélébiles de son expérience. A-t-il perdu de la valeur à mes yeux pour autant? Bien au contraire!

Cela ferait sans doute plaisir à monsieur Chémereau de le savoir… que son outil m'a permis à de nombreuses reprises de me sentir comme Robinson sur son île déserte.

Kenavo

C'est dans la langue de Nolwenn Leroy que nous nous disons au revoir, en espérant nous retrouver bientôt pour la prochaine étape de ce voyage sur la planète Kontell (couteau en breton).

Combien de kilomètres parcourrons-nous, combien de frontières franchirons-nous jusqu'à notre prochain arrêt? Je ne saurai le dire. Mais une chose est certaine, nous parlerons couteau.

D'ici là, passez une bonne journée et ne perdez pas le fil.

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